Voilà : les primaires ouvertes et populaires à gauche ont l’air sacrément mal barrées. Autant dire qu’il faut presque faire une croix dessus. La faute à Claude Bartolone, fabiusien, député-président du conseil général de Seine-Saint-Denis qui, fin septembre, a lâché, l’air de rien, à la presse que Martine Aubry et DSK passeraient un accord pour éviter de se déchirer devant les militants. Et que la primaire serait de « ratification ». Tollé dans les rangs des putatifs petits candidats à l’affrontement à gauche (de Valls à Hollande en passant par Moscovici), recadrage de Martine Aubry qui assure que les primaires auront lieu et qu’elles seront transparentes avec « des candidats de qualité ». Mais dans le fond, personne n’y croit tellement. Parce qu’à gauche, tout le monde sait que ces primaires populaires, transparentes, ouvertes à l’ensemble des partis de gauche ne sont pas forcément une excellente idée. Et que le montage sorti des cerveaux d’Arnaud Montebourg, qu’on a chargé de la rénovation du parti, et d’Olivier Ferrand, le patron du think tank Terra Nova, ne tient pas la route une seconde.
[access capability= »lire_inedits »]D’abord, regardons froidement les autres pays où l’on a testé les primaires dites « ouvertes », c’est-à-dire lors desquelles n’importe qui peut voter, adhérent ou non du parti. Les deux seuls exemples européens qui sont allés au bout du processus − Italie et Grèce − sont disséqués en permanence à Solferino, entre spécialistes. On retourne les modes d’organisation de l’affaire, on regarde comment les partis se sont entendus pour arriver unis, on se demande comment faire voter un maximum de gens en un minimum de temps pour un coût réduit. Mais dans les réunions, il y a toujours un moment où quelqu’un fait remarquer que, dans ces deux pays, en dépit d’une stratégie sans faille, la gauche a fini par se faire étaler à la fin. « Autant dire qu’à chaque fois, on se dit qu’on est mal barré, et ces réunions se terminent dans un désespoir assez grand », remarque un participant. C’est juste que mettre autant de pognon et d’énergie à créer une machine à perdre dénote pour le moins une volonté de pouvoir discutable. En général, il se trouve alors quelqu’un d’autre pour faire croire que le modèle, c’est la victoire de Barack Obama aux Etats-Unis. Mais là non plus, l’argument ne résiste guère à l’analyse : systèmes politiques tellement différents, bipartisme, élection indirecte. On va arrêter là le bréviaire de science politique pour les nuls.
L’argument principal est de circonstance : le Président de la République est au plus bas, la droite semble en apparence s’enfoncer dans un chaos sans nom. Les chances de l’opposition de pouvoir enfin emporter une élection de Ligue 1 ont l’air un peu sérieuses. Et subitement, alors que le jeu s’ouvre, les petits partis sont censés sacrifier leurs ambitions présidentielles (en français, leur chance de faire 5% et d’exister au niveau national pour le quinquennat à venir) pour se ranger, dès l’automne 2011, derrière le champion du PS ? Difficile à croire. D’ailleurs, tout le monde sait que les négociations n’ont pas vraiment commencé. Mélenchon veut y aller, vu qu’il a neutralisé Besancenot et le PCF en même temps. Eva Joly se voit en grande épuratrice de la nation française, coupable, forcément coupable. Et les autres, j’imagine, ne vont pas se priver des temps de parole officiels et des invitations sur les plateaux télé une fois les signatures réunies. Alors, si les primaires sont ouvertes aux seuls députés PS pleins d’ambition, le sujet va un peu manquer d’ampleur − et le PS de voix au premier tour…
A-t-on vraiment besoin de démocratie dans un parti ?
Au sein même du PS, on ricane de cette invention : « Les primaires, c’est juste fait pour faire plaisir à Montebourg, dit un député socialiste. Or tout le monde sait qu’il ne représente rien, si ce n’est qu’il a vaguement aidé à élire Aubry. » Et on se demande si ce n’est pas la remise en route de la machine à perdre : cinq mois de chouettes débats internes, de querelles d’Allemands sur les nuances de projets entre François Hollande ou Manuel Valls. Alors que, pendant ce temps, Sarkozy, si c’est lui, foncera déjà tête baissée sur la voie du deuxième mandat.
Et dans le fond, qu’il y aurait-il de scandaleux à ce que les socialistes s’entendent entre eux pour présenter un candidat à la primaire dite « de ratification » ? Faut gagner ou pas ? A-t-on vraiment besoin de démocratie dans un parti ?
On va laisser aux socialistes le temps de trouver les arguments pour nous expliquer qu’en fait, après réflexion, ils vont laisser tomber leur chouette projet. Il faudra faire le gros dos le temps que les commentateurs politiques passent à un autre sujet. Mais ils devraient savoir faire. Surtout si la primaire de confirmation fait sortir DSK de l’urne. Le chouchou de la presse, le candidat favori des journaux de gauche n’aura qu’un geste à faire pour que personne ne lui en tienne rigueur. Au moins dans les éditos. À toutes fins utiles, je rappelle qu’il y a des électeurs, des vrais, à convaincre pour la présidentielle.[/access]
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