Accueil Politique C’est le dernier jour…pour changer vos euros

C’est le dernier jour…pour changer vos euros


On l’avait prévenu mais il s’était laissé avoir et maintenant, il faisait la queue devant la banque de France, en face du Bon Marché. Ce n’était pourtant pas très prudent de rester dehors trop longtemps, même avec les masques de la sécurité civile et leurs filtres au charbon actif.

Oui, il aurait pu s’y prendre plus tôt. Depuis des semaines, les chaines d’info continues sur le Net faisaient passer les messages gouvernementaux. « Il ne vous reste plus que quelques mois, quelques semaines, quelques jours ». Les panneaux intuitifs dans le métro aussi, ceux qui affichaient votre nom quand vous passiez devant eux et vous recommandaient personnellement un produit qui correspondait aux informations contenues dans votre I-Phone. Cette technique de marketing intrusive était très critiquée par les associations et le gouvernement de Front Social mais les Firmes restaient puissantes.
De toute manière, ça ne le concernait pas tellement, les panneaux intuitifs : il lisait encore des livres-papiers, qui d’ailleurs ne se vendaient plus tellement…

En attendant, devant la Banque de France, la queue s’allongeait. C’était le dernier jour où l’on pouvait rendre les billets en euros qui traînaient encore chez soi. Il avait du mal à se dire que le temps avait passé si vite. Dix ans déjà que l’on était revenu au Franc… Dix ans… Ce plaisir qu’il avait eu, presque sensuel, à retrouver des coupures de 5, 10, 50 et 100, respectivement aux effigies de Blum, Aragon, De Gaulle et Jules Vallès. Il faut dire qu’à l’époque, on se contentait de peu.

On sortait des grands troubles. Sale époque, les années 2012-2015. Les Français avaient élu le socialiste en 2012. Il s’était contenté, évidemment, de faire sensiblement la même politique que son prédécesseur. Malgré le bon score de la gauche de la gauche, du candidat gaulliste et de celle de l’extrême droite qui à eux trois représentaient plus de la moitié du corps électoral au premier tour, le président socialiste avait décrété le changement dans la continuité : on continuait l’austérité pour rembourser la dette et on remplissait le tonneau des Danaïdes en pressurant la population. C’est à peine si quelques mesures de taxation financière contrebalançaient symboliquement « l’effort demandé à tous ».
Et puis tout s’était précipité.
Il y avait eu en janvier 2013 le coup d’état militaire en Grèce, soutenu par la Russie. Il avait été initié par des capitaines plutôt à gauche, comme au Portugal en 74. La Grèce était sortie de l’Union et de l’Euro par la même occasion dans l’euphorie, les anarchistes du quartier d’Exarchia fraternisaient avec les tankistes sur la place Syntagma.

La chancelière allemande, folle de fureur devant les faillites bancaires des établissements trop exposés, avait osé demander une intervention de l’Eurocorps. Le président socialiste, qui affrontait déjà un mouvement social monstre, avait donné son feu vert. Pendant ce temps, le mouvement social, avec ses millions de manifestants depuis des semaines, refusait la politique dite de « Grande Convergence » avec l’Allemagne (retraite à 70 ans, semaine de 45 heures, disparition du salaire minimum, privatisation programmée de la sécurité sociale). Il se transforma en un mouvement anti guerre et gagna toute l’Europe après le bombardement de Patras en mai par des Rafales et des Eurofighter qui fit une vingtaine de morts et plusieurs centaines de blessés. Tout cela, ajouté aux émeutes de la faim en Espagne, au Portugal, en Irlande et au Royaume-Uni, ainsi qu’aux menaces russo-chinoises de rétorsion, forca le président socialiste à organiser un referendum sur le maintien dans l’Union Européenne de la République Française. Il le perdit assez largement et démissionna dans la foulée.

Le recours fut incarné lors d’élections se déroulant dans une atmosphère de violence par un ancien Premier ministre qui, en 2005, avait été le seul homme politique de premier plan à se prononcer pour le non au referendum. Dans la foulée de son élection, après les législatives, il demanda à l’Assemblée de se transformer en Constituante. Largement soutenue par la gauche et les souverainistes, la Sixième République fit ses premiers pas en février 2014 et, par séries de referendum successifs, appliqua un programme que les historiens qualifièrent de « Nouveau CNR ». Le oui à la fin de l’euro (referendum de juin 2015) obtint une majorité de 87%.

Et voilà pourquoi, dix ans après, cette file d’attente devant la Banque de France n’en finissait pas. Il entra dans la banque. Quand le guichetier lui demanda combien il avait à changer, presque gêné, il répondit :
– 5000 euros…
Le guichetier sourit
– Sacrée somme !
– Oui, j’ai retrouvé ça chez ma grand-mère il y a quelques mois, après son décès.
– Elle faisait quoi votre grand-mère ?
– Ma grand-mère ? Fonctionnaire à la Commission Européenne…
– A la quoi ? demanda le guichetier qui paraissait très jeune.
– Laissez tomber, c’est de l’histoire ancienne.



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