C’était un temps ancien. Les étudiants arboraient des autocollants anti-fachos sur leurs sacs à dos. Ils reprenaient en chœur le refrain des Bérus expliquant que la « jeunesse emmerde le Front National » et ledit FN était rebaptisé F-Haine par des politologues en culottes courtes qui luttaient avec leurs mots à eux contre la bête immonde.
En ce temps-là, vers 1993-1995, on combattait l’extrême droite en scandant des slogans et on avait honte d’avoir un tonton marseillais ou meusien qui votait Jean-Marie et ne manquait jamais une occasion de gâcher les réunions de famille en n’ayant même pas peur de le dire à table.
L’étudiant, et par extension le jeune idéal, était le fer de lance de la lutte contre l’obscurantisme, la haine de l’étranger, le repli national. La mondialisation était son élément, l’Autre son ami. Le phénomène était planétaire : à l’époque, ce credo du « Tout ce qui est différent est forcément bon » fût férocement moqué par Tim Burton dans Mars Attacks !
Mais nous voici en 2012, et ne voilà-t-il pas que le jeune est tenté par le vote Front National. Alors, le nouveau jeune serait-il raciste, xénophobe, frileux, nationaliste, bref déjà moisi ? En tout cas, un sondage CSA, publié dans Le Monde lundi 9, est venu foutre le bordel dans une image de la jeunesse cajolée par la gauche, qui en fait le fer de lance de la lutte contre le président sortant. 24% des 18-24 ans sont tentés par un vote pour Marine Le Pen à la présidentielle. Un score jamais atteint dans ces proportions par son père.
Immédiatement la machine à explications officielles s’est mise en route : les jeunes les plus pauvres, les moins diplômés, les plus menacés par la mondialisation sont désespérés et donc votent pour l’extrême droite dans un mouvement de rejet. Les partis traditionnels, qui pourtant sortent l’artillerie lourde (le permis quasi gratuit, l’allocation autonomie, et bientôt la semaine des quatre mercredis) n’arrivent pas à les fixer. François Hollande est d’ailleurs, selon ce sondage, celui qui a perdu le plus chez les 18-24 ans.
Alors, où est le problème avec les jeunes ? Et bien le problème, une fois de plus, c’est ces salauds de pauvres. Ainsi le magazine l’Etudiant brandit son propre sondage qui montre que ceux qui vont à l’université, poursuivent leurs études longtemps, eux, votent Sarkozy, Bayrou et Hollande et ne sont pas « extrémistes », même s’ils sont à une courte majorité à droite. François Hollande rassemblerait 30% de leurs intentions de vote, Nicolas Sarkozy est à peine derrière, captant 28% de leurs voix. François Bayrou n’obtiendrait, lui, que 11%.L’étudiant peut donc être de droite, surtout dans les grandes écoles, et vote PS ou Mélenchon en fac de Lettres. Mais ne vote pas Marine Le Pen.
La vitesse avec laquelle les organisations de jeunesse (sous-entendu de gauche) sont montées au créneau après la publication du sondage, montre bien l’idée que des jeunes puissent voter à l’extrême droite les terrifie, les dégoûte. La stupeur journalistique devant le titre du Monde montre aussi que le jeune reste un inconnu, sauf quand il use ses fonds de Levis 501 à Louis-le-Grand, Dauphine ou Sciences-Po. Un jour sur deux, le media convoquera l’autre figure obligée du 18-25 le djeun de banlieue, de préférence né dans une famille immigrée, lequel sera potentiellement délinquant pour la droite, et honteusement discriminé pour la gauche.
Comme l’électeur moyen serait un quarantenaire bobo, cadre sup’ séduit par Mélenchon et Hollande, au pire Bayrou et s’informant sur Twitter. A l’instar de la Mémé de Vesoul, certains ont rêvé qu’on pourrait remonter le film électoral en virant du casting le cousin prolo de 22 ans chauffeur poids lourds en intérim, la cousine aide soignante qui travaille de nuit, ou celle qui, bac en poche, ne trouve pas de boulot ou alors comme saisonnière deux mois par an à Palavas-Les-Flots. Ceux-là n’existent pas. Ne sont même pas des vrais jeunes, en fait.
Pourtant les chiffres sont têtus, beaucoup de 18-24 ans, sont déjà sortis de l’école, sont au chômage ou travaillent. Evidemment, sauf exception, des petits boulots, des CDD, la galère de début de vie professionnelle, l’impossibilité d’avoir un logement à soi, le permis qu’on ne peut pas se payer sans l’aide de papy ou mamie.
Autant dire que pour ceux-là, la peur du déclassement n’est pas juste une phobie. Dans pas mal de cas c’est une réalité. Alors ils s’énervent et peuvent avoir envie de voter pour ceux qui promettent de rétablir un Etat protecteur, et d’inventer de nouvelles frontières. Il n’est même pas certain qu’ils croient que ça puisse se produire, ils veulent juste donner un peu plus qu’un signe.
Ces intentions de vote gênent, parce qu’elles renvoient à des jeunes pas propres sur eux, sans carte Amex ni même une banale Gold de base, n’ayant confiance ni dans le marché, ni dans l’Europe. Surtout, ces jeunes malvotants sont le signe que l’opération dédiabolisation menée par Marine Le Pen est peut-être en train de réussir. Les quotidiens, friands de ces nouveaux monstres qui sont allés en interroger leur font dire que « voter Marine c’est plus facile que Jean-Marie » et que sa tolérance de l’homosexualité, son personnage de femme divorcée, son modernisme séduisent. Ces jeunes là sont insensibles au discours crétin (pour rester polie) de Thierry Marchal-Beck le nouveau patron du MJS, ou aux tentatives hilarantes (pour rester gentille) de politique 2.0 des Jeunes Pop de Benjamin Lancar. Somme toute c’est une bonne nouvelle.
La mauvaise c’est qu’après avoir voté Le Pen une première fois, ils risquent de remettre ça, y compris quand jeunes sera passée. Et finalement les hauts cris, des exégètes autorisés trahissent peut-être autre chose qu’une indignation face à une jeunesse statistiquement décevante. Comme une angoisse que ces futurs ex-jeunes fassent les bataillons puissants à venir du Front National en 2017 et pourquoi pas 2022, oubliant au passage de s’abstenir. Cette fois là, les promesses sur le permis de conduire à un euro ou l’allocation d’autonomie à deux balles ne serviront absolument à rien. On en vient presque à regretter qu’ils ne s’abstiennent pas comme ils le faisaient d’habitude, ces jeunes cons…
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