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Coexister: les bonnes affaires du vivre-ensemble

Ou le bel avenir du management de la diversité


Coexister: les bonnes affaires du vivre-ensemble
Samuel Grzybowski (au centre), président de l’association Coexister, donne une conférence de presse au Mans, 2 juin 2014. © JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Faut-il lutter contre les fanatiques ou apprendre à vivre avec eux ? Sous couvert de dialogue interreligieux, l’association Coexister a choisi la seconde option et vend désormais le mode d’emploi du vivre-ensemble. Parmi ses clients, l’Éducation nationale. Grande enquête


Coexister est née en 2009, après un affrontement entre deux cortèges de manifestants, respectivement propalestinien et pro-israélien, près de la gare du Nord, à Paris, le 9 janvier. Suite à cet incident, une église, une mosquée et une synagogue du 15e arrondissement organisent une manifestation pacifiste au cours de laquelle Samuel Grzybowski, 16 ans, fils d’un journaliste de l’hebdomadaire catholique La Vie, prend la parole.

Depuis une visite à Auschwitz, l’année précédente, le jeune homme veut s’impliquer. En mai 2009, Samuel Grzybowski et une dizaine de jeunes organisent « Ensemble à Sang % », un don du sang par des juifs, des chrétiens, des musulmans et des athées. La symbolique est très appuyée, marquée du sceau d’un certain esprit boy-scout[tooltips content= »D’ailleurs assumé : Samuel Grzybowski raconte volontiers qu’il a été scout. Son père Laurent écrit des chansons chrétiennes à entonner le soir autour d’un feu de camp. Voir l’album Fais briller ta vie, sur YouTube, résolument premier degré. »](1)[/tooltips], mais la dynamique est réelle.

Coexister naît officiellement quelques mois plus tard. Seulement, pour dialoguer, il faut être au moins deux. Or, dans la grande famille de l’islam, quelques éléments turbulents veulent surtout faire parler les armes. D’autres encore, Frères musulmans ou imams salafistes, « dialoguent » exclusivement pour arracher des concessions visant à appliquer leur projet religieux et politique, non négociable et non amendable, car d’inspiration divine.

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Les premiers sont évidemment hors sujet, on ne dialogue pas avec des terroristes. Les seconds, moins sulfureux, posent un problème épineux, que Coexister n’a toujours pas résolu.

Immédiatement après les attentats de Paris de novembre 2015, l’association crée le collectif « #NousSommesTousUnis », où on retrouve, au côté d’élus, de syndicalistes, de rabbins et de quelques intellectuels, nombre de leaders de la mouvance frériste francophone, pourtant très minoritaire au sein de l’islam français[tooltips content= »Coexister a eu comme présidente d’honneur pendant quelques années Meherzia Labidi Maïza, députée tunisienne, figure du parti islamiste Ennahdha, qui se revendiquait des Frères musulmans jusqu’en 2016. Sa fille, Farah Maïza, est une des cofondatrices de l’association. »](2)[/tooltips] : Samy Debah, président du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Anas Saghrouni, président des Étudiants musulmans de France (EMF), ou encore Nabil Ennasri, président du collectif des Musulmans de France (MF).

Il ne s’agit pas d’une coïncidence fortuite. En de nombreuses occasions, on verra Samuel Grzyboswki et d’autres membres de Coexister s’afficher avec des représentants des Frères musulmans, dont le but avoué est d’arracher au législateur des « accommodements raisonnables ».

Souvent interrogée sur ces liaisons surprenantes, Coexister avait la possibilité de rejeter fermement l’islam politique. Elle laisse planer le doute. Peut-on avoir un dialogue interreligieux avec quelqu’un qui n’exclut pas d’appliquer un jour la charia en France ? « Il n’est pas question de changer le modèle républicain », assure Radia Bakkouch, actuelle présidente de Coexister. Sauf, éventuellement, si c’était demandé gentiment… En effet, selon elle, « suivre la charia, ça peut aussi vouloir dire être bienveillant et faire attention à son prochain. Alors après tout, pourquoi pas ? Il n’y a pas de définition unique de la charia. » Tariq Ramadan est-il fréquentable ? Non, mais à cause de « son traitement des femmes terrifiant », plus que pour ses opinions, car « les jeunes qui l’écoutent ont du recul ». La jeune femme, diplômée de Sciences-Po, décrit la ligne de Coexister comme « un chemin de crête, interconvictionnel, entre le discours sur la diversité et le discours sur l’unité ».

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Le numéro d’équilibrisme est devenu vertigineux en novembre 2019, lorsque le CCIF a lancé un appel à manifester contre l’islamophobie, contresigné et relayé par le gotha de l’obscurantisme musulman. « Il n’est pas question d’appeler à marcher contre une exclusion auprès de personnalités qui prônent d’autres exclusions et violences comme le sexisme ou la LGBT-phobie », assurait le bureau national dans son communiqué, avant de se contredire, deux paragraphes plus bas : « Nous vous invitons tout de même à participer à cette marche du 10 novembre dans le SEUL but de lutter contre l’exclusion » !

Massivement subventionné

En dépit de ces flottements invraisemblables, l’association Coexister est portée à bout de bras par les institutions. Elle perçoit environ 150 000 euros de subventions annuelles et quelque 500 000 de mécénat. Elle revendique le soutien de l’Observatoire de la laïcité, du ministère des Affaires étrangères, du Commissariat à l’Égalité des territoires (CGET), de la ville de Nancy, de la ville de Paris, du Rotary, du Secours catholique, de Total, de la Macif, etc.

Elle est également couvée par les Américains : en 2016, Samuel Grzybowski a été lauréat du prix international des « Jeunes leaders émergents » décerné par le département d’État américain. Il avait déjà été repéré par Ashoka, un réseau privé américain qui s’est donné pour mission de faire émerger des entrepreneurs du social et de la diversité dans des pays étrangers. Grzybowski est aussi un entrepreneur. Il est désormais à la tête d’un cabinet de conseil, Convivencia, qui vend de la prestation de conseil sur la laïcité, le vivre-ensemble et la déconstruction des préjugés à des entreprises, mais aussi à l’Éducation nationale.

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L’activité de ce cabinet, qui reverse ses bénéfices à l’association, est sans doute la clé qui permet de comprendre la feuille de route de Coexister. « On ne fait pas du dialogue entre les religions, admet sans détour Radia Bakkouch. On fait du management de la diversité. »

Vue sous cet angle, la marche contre l’islamophobie est nettement moins problématique. Les islamistes créent un marché. Enseigner l’art et la manière de vivre avec eux est tout à fait dans les cordes de Convivencia. L’infréquentable devient « bankable ». « Nous sommes en face de gens pour qui le vivre-ensemble et le séparatisme vont paradoxalement de pair, résume Charles Coutel, professeur émérite de philosophie du droit à l’université d’Artois et membre du Comité Laïcité République. Ils sont au-delà des idiots utiles de l’islamisme, d’une certaine manière. Nous sommes quelques-uns à tenter de faire passer un message de vigilance concernant ce fameux vivre-ensemble dans les allées du pouvoir, mais ce n’est pas facile. » « Coexister est en mission rémunérée dans les collèges, c’est surréaliste, renchérit Sophie Valles, du réseau 1905. On paye l’association pour élargir son audience chez les collégiens, par le biais d’un discours fédérateur, qui masque une conception clivante de la laïcité. Je doute que Jean-Michel Blanquer soit enthousiaste, mais il ne contrôle pas tout. Quelqu’un à l’Éducation nationale a dû se dire que le dialogue ne pouvait pas nuire dans la lutte contre l’islamisme. » Belles tranches de généralités sur l’entente universelle nappée de sauce managériale, la recette de Coexister était appétissante. D’autant plus que « le dialogue interreligieux permet réellement de désamorcer des conflits », souligne Amélie de La Hougue, responsable du service information de l’Aide à l’Église en détresse (AED). « C’est le cas en Centrafrique, au Liban, au Nigeria, à Gaza. Mais pour que la démarche porte ses fruits, il faut qu’elle émane du terrain, que chacun sache avec qui il dialogue, que la politique soit laissée de côté et qu’il y ait un discours de vérité de part et d’autre, sans chercher le plus petit dénominateur commun. »

DROIT DE REPONSE

Octobre 2020 – Causeur #83

Article extrait du Magazine Causeur




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