Huit mois après le 11 janvier, sur le front du vivre-ensemble, on en est où ? De mon expérience personnelle, ce n’est pas brillant. Comme tout un chacun, j’ai subi jour après jour le couvercle de fer du « pas d’amalgame », des tentatives du Premier ministre pour nous faire croire que l’extrême droite était un péril infiniment plus dangereux que l’islamisme, etc. Mais tout ça, c’est dans la sphère médiatique. On croit que c’est du spectacle, de la gesticulation. Eh non. C’est du conditionnement. Regardez comme j’intimide ceux qui ne pensent pas droit, nous dit-on sur les ondes, et faites la même chose ou – si vous figurez dans le camp des déviants – taisez-vous.
Visiblement, ce n’est pas tombé dans l’oreille de sourds. Aux imprécateurs télévisuels a répondu la masse des Fouquier-Tinville amateurs, qui se développe de façon inversement proportionnelle à l’évolution de l’emploi.
J’en ai fait l’expérience cette semaine. Mon exécutrice était une « amie » Facebook et la fille d’une amie dans la vie. J’ai fêté le Nouvel An avec elle, suivi sa grossesse et fait risette à son premier-né. Je suis quasiment de la famille. Qu’elle se transforme en flic et en juge m’a surpris, car les dénonciations entre amis, entre parents et enfants, c’est de l’histoire. L’URSS n’est plus. Mao est mort. Pol Pot est mort.
Or donc, Sybille – ainsi se prénomme ma procureure facebookienne – a tiqué en lisant la mésaventure que j’ai relatée lundi dernier. En voici les termes : « Aujourd’hui 17 août 2015, dans le tram en direction de la porte de Vincennes, cette silhouette était à côté de moi (NdR : le post était illustré par deux photos prises de profil avec mon téléphone où la personne photographiée, vêtue d’un voile intégral couvrant son visage, ne pouvait par hypothèse être identifiée). Une violation ambulante de la loi du 11 octobre 2010. Je l’ai regardée avec une expression neutre, elle a porté sa manche à son visage pour fuir le regard de l’homme que je suis, et s’est détournée. Je me suis déplacé pour la regarder à nouveau, et elle est sortie au premier arrêt. No comment. »
Fureur immédiate de Sybille, qui analyse l’incident à sa façon, sans prendre la précaution d’en vérifier la justesse auprès de moi. « Et après l’avoir bien fixé, tu l’as bien pris en photo, plusieurs fois sous différents angles, et ensuite tu postes allègrement ces photos sur Facebook en insultant cette personne – tu te rends compte que c’est du harcèlement ? C’est honteux et grave Hervé, et le pire c’est que je suis sûre que tu ne t’en rends même pas compte. »
Quand vous lisez ça, je passe pour une espèce de nazi. Qui plus est, trop bête pour réaliser son crime. Ah, il en faudrait des camps de rééducation, tiens ! C’était le bon temps. Or, les choses ne se sont pas du tout passées comme ça. Je voyageais debout à côté de la personne voilée. Si je l’ai regardée, c’est qu’un détail m’a intrigué : le feston ajouré de son voile, attestant d’un souci de coquetterie, me semblait peu compatible avec la fonction du vêtement, visant à lui ôter son identité. Et, oui, cette tenue m’agaçait. Bonjour le crime.
Quant à l’insulte, où est-elle ? Dans le fait d’écrire « une violation ambulante de la loi » ? Mais en l’occurrence, ce n’est pas une insulte, c’est un fait. Ou alors, quand un voleur est pris en flagrant délit, l’appeler « voleur » serait une insulte ? En revanche, l’insulte consistant à se couvrir le visage pour ne pas me voir, comme si j’étais une chose dégoûtante, Sybille n’y trouve rien à redire.
Ce n’est pas la première fois que Sybille me flique ainsi. Sur Facebook, elle ne me parle jamais, ne réagit à aucun des posts où je partage mes menues réjouissances du quotidien – vacances, sorties, etc. En revanche, elle pointe son doigt accusateur dès qu’une de mes opinions heurte ses convictions, lesquelles se confondent grosso modo avec la gauche libertaire, libérale et bisounours.
Cette fois, je m’énerve, et puisqu’elle me prend de haut, je sors les violons. « Sybille, cela s’est passé pas très loin de là où un adepte du même radicalisme que cette « personne » a assassiné des juifs. Dans un temps où nous sommes en guerre, parce que c’est une guerre, il faut choisir sa forme de résistance, et ses victimes. Je vois clairement de quel côté tu es, je trouve ça très triste (vlan). J’ai même honte pour toi de ta confusion mentale, et de ta lâcheté, Sybille ! (re-vlan, t’avais qu’à pas). »
Comme je sens qu’elle me joue le couplet « toi homme blanc européen oppresseur par essence, elle femme dominée victime d’islamophobie », je tente la concurrence victimaire – c’est comme ça qu’ils font, je crois. J’ai du bol, je suis homo, donc minoritaire moi aussi. Allons-y : « Les gens comme elle tuent les gens comme moi, quand ils ont le pouvoir ! Ils les précipitent du haut des immeubles, les pendent, les lapident, les enterrent vivants ! Réveille-toi !!! »
Va-t-elle, après ça, me foutre la paix ? Non ! Il faut croire que mon péché principal – homme, Français descendant de Français, donc coupable – l’emporte sur le label homo. Sybille : « Tu es en plein délire. J’espère qu’un jour Hervé, tu réaliseras que tes actes et tes commentaires sont complètement indécents. » Cette fois, seul le « délire » peut expliquer mon comportement. C’est presque une circonstance atténuante. Je devrais dire merci. Se rend-elle compte qu’en parlant d’indécence, elle se calque sur l’idéologie du voile intégral ?
Tout à fait énervé cette fois, et abasourdi par les propos de mon « amie », je me lâche : « l’indécence est de ton côté, l’aveuglement, le délire de contrôle, la bien-pensance recuite de suffisance. Je n’ai commis ni crime ni agression, j’ai mis cette femme face à sa provocation, et tu sais fort bien que c’en est une. La lâcheté bêlante de tes pareils font le jeu des extrémistes. Tu m’écœures. »
Là, Sybille bat en retraite. S’attendait-elle à ce que je batte ma coulpe, contrit ? Elle coupe court à notre échange – et à tout futur échange – : « Et bien c’est clair, on ne va plus être amis sur Facebook. Bye bye Hervé, j’espère qu’un jour vraiment tu te réveilles car tu es sympa par ailleurs. Mais là c’est de mon point de vue un délire paranoïaque dont j’espère que tu sortiras. »
Ah, mais, depuis un moment, ma chérie, je n’avais déjà plus l’impression d’être ton ami. Et tu as raison de souhaiter que je me réveille, car en te lisant, je crois rêver. Avec des amis comme toi, les Français – les musulmans comme les autres -, ont du souci à se faire. Et tant pis si ma conclusion n’est pas plaisante.
*Photo : DR.
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