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« Débat stérile », « polémique indigne », « querelle hystérique » : après la publication des premiers arrêtés anti-burkinis[1. S’agissant d’un habit qui évoque furieusement la burqa et pas du tout le bikini, on devrait plutôt écrire « burqini ». Où se niche la bien-pensance…], début août, toutes les grandes consciences du pays et environ 95 % des journalistes ont martelé sans relâche les mêmes éléments de langage. Sujet sans intérêt, circulez. Attention, contrairement à ce que pensent certains, fort excités, sur les forums de discussion, on n’est pas un traître, un salaud ou un vendu-aux-barbus parce qu’on est hostile à l’interdiction. Mais l’argument assené en boucle pour clouer le bec de tout contradicteur laisse rêveur. On n’aurait pas le droit d’interdire le burkini, mais il faudrait interdire d’en parler ? On aimerait comprendre en quoi la promotion d’un costume de bain islamique, jusque-là inconnu sous nos cieux, serait un sujet moins digne de débat que la hiérarchie des normes dans la loi travail, dont nous avons mangé à tous les repas pendant des semaines. Les grands démocrates qui s’émerveillaient des interminables et autarciques logorrhées de Nuit debout, rebaptisées « débats citoyens », sur des thématiques le plus souvent absconses et confidentielles, voient d’un fort mauvais œil que l’on débatte d’une question qui intéresse sacrément une majorité de Français, et pas seulement des méchants de droite : au-delà du burkini, la progression d’un islam radical qui nourrit ou encourage le terrorisme.

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On aimerait comprendre, façon de parler, vu que le même mécanisme de censure est à l’œuvre depuis quarante ans – même s’il perd assurément de son efficacité. Identité ? Islam ? Immigration ? Questions dangereuses, idées puantes, lepéno-sarkozysme. Pouah, pas touche. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire : après dix-huit mois d’expérience de la terreur, nos innombrables petits singes croient encore faire disparaître les choses qui leur déplaisent en interdisant les mots. Il n’y a pas de problème, répètent-ils en guise de formule conjuratoire. Comme l’analyse Marcel Gauchet, il n’y a pas de problème parce que, dans leur logiciel intellectuel, il ne peut pas y en avoir. Ou alors, il vient de nous, de nos idées étroites et de nos peurs rances.

On croyait que les attentats et ce qu’ils nous ont appris sur la société musulmane en France feraient l’effet d’un coup de réel. Las ! Tout occupées à dispenser des leçons de maintien multiculti, les VIP de la gauche politique et médiatique (qui comptent, faut-il le rappeler, des tas de gens de droite) ne voient pas qu’une guerre culturelle a commencé. Ce n’est pas, ou pas seulement, pour faire parler d’eux que des maires ont décidé d’interdire le burkini, mais pour répondre à la demande sourde de leurs administrés qui, depuis Nice, expriment de diverses manières la même opinion, ou le même sentiment : ça suffit ! Assez de complaisance ! Arrêtons de céder du terrain !

Cette guerre ne sera pas menée par des forces armées mais par la société, elle ne vise pas à conquérir des territoires mais des esprits, elle ne combat pas les musulmans mais l’islam fondamentaliste et séparatiste qui veut les empêcher d’être français. Du reste, si nous devons la livrer, c’est d’abord pour ceux – et peut-être plus encore pour celles – qui subissent, dans notre pays, le joug des « Frères » et ne peuvent compter que sur la France pour y échapper. Que doit-on dire à toutes ces femmes qui assurent que, si on n’interdit pas ce nouveau carcan qu’est le burkini, elles seront contraintes de le porter ? Chacun sa vie ? Edwy Plenel, semble-t-il, n’a pas daigné répondre à Fatiha Daoudi, juriste et chroniqueuse au HuffPost Maghreb qui, en quelques phrases, a ridiculisé son interminable et prévisible plaidoyer pour ce « vêtement comme un autre » : « À vous entendre pérorer sur la liberté vestimentaire des femmes musulmanes, confortablement installé dans une démocratie centenaire dont les institutions sont solidement ancrées et où les libertés individuelles sont sacralisées, je sens mes cheveux se dresser sur ma tête non voilée et la colère m’envahir. » Droit dans les gencives.

De peur de froisser les spécialistes, on se gardera de se demander si ceux qui endoctrinent des gamins et pourrissent la vie de leurs concitoyens dès qu’ils sont majoritaires sont salafistes, wahhabites ou islamo-déséquilibrés. Leur islam est certainement plus identitaire et politique que strictement religieux. Pour une partie des enfants d’immigrés, il est un état d’esprit, une façon de voir et de diviser le monde entre « eux » et « nous » plus qu’une spiritualité. Reste une certitude : au cours des dernières années, cet état d’esprit s’est répandu, poussant un nombre croissant de musulmans à vivre dans une société parallèle devenue, stricto sensu, une contre-société. En effet, il ne s’agit pas seulement d’entre-soi, tel que le pratiquent les Juifs religieux ou beaucoup de Chinois, mais de sécession hostile. Ainsi, à en croire nombre de représentants communautaires interrogés par Bertrand Pasquet, c’est seulement après Nice que la rue musulmane s’est sentie concernée par les attentats.

On aurait tort, toutefois, de croire à une évolution spontanée. Nous sommes en présence d’une offensive qui n’est pas menée par un commandement unifié mais par des myriades d’individus et de factions, d’associations, d’amicales, de médias, sans oublier des sponsors plus ou moins transparents. Comme le souligne Marcel Gauchet, cette nébuleuse ne cherche nullement à prendre le pouvoir comme le Ben Abbes d’Houellebecq. Ses activistes s’emploient à renforcer leur contrôle sur le groupe, en particulier sur sa partie féminine, tout en menant un combat idéologique qui se traduit régulièrement par des campagnes destinées à tester notre capacité de résistance. C’est ce qui s’est passé avec le burkini.

Le Conseil d’État a tranché, le droit a parlé, dit-on. Après le Washington Post, le New York Times et toute la presse convenable de la Terre, le Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est permis d’engueuler la France dans un tweet comminatoire, appelant les maires non concernés par l’arrêt à abroger au plus vite leurs mesures discriminatoires. De quoi je me mêle ? C’est bête, mais quand le machin droits-de-l’homme de l’ONU et le Conseil d’État parlent en chœur de liberté, j’ai une furieuse envie d’interdire. Pourtant, on ne saurait le faire de gaieté de cœur. Ma fibre libérale souffre doublement, pour le burkini et pour son interdiction.

En attendant, et n’en déplaise à tous ceux qui veulent nous obliger à vivre ensemble avec n’importe qui, la « dérisoire affaire » du burkini marquera peut-être le début de la reconquête culturelle des territoires perdus – du Kulturkampf, comme aurait dit Bismarck. À nous de décider collectivement si nous voulons qu’elle se fasse à la manière corse ou dans les formes républicaines. Si la République se montre mollassonne, compassionnelle et accommodante, beaucoup de ses enfants déçus commenceront à lorgner avec envie sur les défenses identitaires spontanées des Corses, oubliant qu’elles se déploient grâce à l’intimidation collective orchestrée par des manifestations silencieuses mais punitives, organisées en représailles dans les cités où résident les auteurs d’actions violentes.

Je préfère pour ma part la manière républicaine. La force de la loi, la puissance de la Raison –pour les câlins, on verra plus tard. Si la bataille est engagée, on ne recule plus, comme disait l’autre. Peut-être faudra-t-il, si le Conseil d’État s’entête, légiférer sur le burkini. À moins, bien sûr, que les islamo-activistes qui nous cherchent entendent finalement l’appel à la discrétion que leur a lancé Jean-Pierre Chevènement. Amusant, les réactions outrées que ce mot a suscitées – encore qu’à l’ère des prides, on pouvait s’y attendre. Discret, moi, répète si t’oses ! La discrétion, il y a des maisons pour ça ! Pourtant, ne pas jeter ses croyances à la tête de ses concitoyens, en particulier quand on sait que leur affichage – en l’occurrence celui de l’infériorité des femmes – heurte la sensibilité majoritaire, ne devrait pas être considéré comme une humiliation, mais comme une forme de courtoisie républicaine. On peut parfois dire « après vous », s’effacer devant l’ancienneté, au lieu de revendiquer sans cesse une visibilité maximale.

Reste que le burkini ne fait pas une politique. Il est temps, entend-on de toute part, de redéfinir les règles du jeu et de renégocier (ou de négocier) le pacte entre la France et son islam. Dit ainsi, cela paraît simple. En réalité, c’est un inextricable casse-tête. Bien sûr, on peut compter sur Jean-Pierre Chevènement pour faire œuvre utile à la tête de la Fondation pour l’islam de France. Qu’il nous permette de lui suggérer le lancement d’un vaste audit des milliers d’associations qui bénéficient de fonds publics et dont un nombre conséquent contribuent non pas au développement de la jeunesse mais à son décervelage.

Pour négocier, encore faut-il définir les parties en présence. On connaît la difficulté qu’il y a à faire émerger une représentation légitime de l’islam de France, et il est à craindre que la nouvelle relance du chantier, aussi bien intentionnée soit-elle, ne parvienne pas à régler le problème. Il est fort bon de discuter avec Tareq Oubrou et d’autres personnalités tout aussi respectables, mais cela ne sera d’aucune utilité pour regagner une jeunesse perdue qui les considère à peu près comme des juifs – et ce n’est pas un compliment. C’est l’encadrement intermédiaire de la société musulmane – animateurs culturels et caïds subventionnés – qu’il faut évaluer et, si besoin, neutraliser.

Quant à la France, seconde partie au dialogue, on voudrait bien son numéro de téléphone. Comment dire ce que nous attendons de nos compatriotes musulmans, quand nous sommes loin d’attendre tous la même chose et d’avoir la même définition des différences que nous tolérons et de celles dont nous ne voulons pas ? Cette pluralité qui fait le charme de notre société est plus problématique au sommet de l’État où le président laisse, comme à son habitude, se développer une cacophonie qui lui permet d’avoir plusieurs fers au feu. Mais alors, qui parle au nom de la France : Manuel Valls qui a soutenu les arrêtés anti-burqini, ou Najat Vallaud-Belkacem qui, soucieuse de ne pas s’aliéner les électeurs de Villeurbanne, a décrété qu’il s’agissait d’une intolérable atteinte aux libertés ? Jean-Pierre Chevènement ou l’inénarrable Thierry Tuot, cosignataire de l’arrêt du Conseil d’État, chantre de la « société d’inclusion », qui veut en finir avec la suprématie du français à l’école ?

En attendant, nos dirigeants et ceux qui aspirent à le devenir devraient s’interdire de flatter la fibre victimaire de jeunes Français qui n’ont jamais subi la colonisation en leur serinant que nous sommes coupables de tous leurs maux. C’est en tenant, depuis trente ans, ce discours, infantilisant et condescendant sous son air compatissant, qu’on a semé dans des esprits faibles la graine de la haine et du ressentiment, et abandonné la majorité silencieuse à la loi du plus fort. Pour l’islam, la bataille de France a commencé. Comme le disait Churchill le 4 juin 1940 devant la Chambre des communes, « We shall fight on the beaches »« Nous nous battrons sur les plages ». Et nous ne gagnerons pas à coups de bon sentiment.

Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°38.   

Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.