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Le burkini, un coup de poignard dans notre imaginaire


Le burkini, un coup de poignard dans notre imaginaire
(Photo : SIPA.00766561_000001)
(Photo : SIPA.00766561_000001)

La plage a pris, depuis qu’elle a été mise à la mode au début du XXème siècle, une importance considérable dans l’imaginaire occidental et spécialement français. Les « trains de plaisir » de 1936 l’ont fait découvrir aux masses laborieuses du Front populaire, Mai 68 l’a trouvée sous les pavés du Quartier latin, la mairie de Paris transforme chaque année à grands frais les quais en station balnéaire. Nombre de films ont pour cadre le joli sable au bord des flots qui procure tant de bonheur et tant d’émois, de La Plage de Danny Boyle aux Petits Mouchoirs, très utiles quand on pleure sur la médiocrité du cinéma français actuel.

La dénudation des baigneurs sur la plage n’est pas du tout le geste anodin qu’on pourrait croire. La nudité a terrassé chez nous la pudeur, chrétienne ou bourgeoise,  au terme d’un processus tout à fait logique. Se mettre nu devant les flots, ce n’est pas seulement affirmer sa liberté, c’est aussi se dépouiller des conventions et oublier les catégories sociales puisque entre un PDG et le plus modeste de ses employés en maillot de bain la différence s’efface. Les différences politiques et la plupart des différences religieuses ne se voient pas davantage : la plage impose une trêve aux oppositions qui pourraient nourrir des conflits, la plage est un lieu de paix. Les femmes et les hommes diffèrent bien sûr au premier coup d’œil, mais les unes et les autres estiment qu’ils ont le même droit à une place au soleil, et la même part de peau à lui offrir, pour peu que ces dames enfilent un monokini.

On pourrait ricaner de cet hédonisme occidental enduit de crème solaire et dénué de spiritualité, et on aurait grandement tort. De même que les Grecs de l’Antiquité furent selon Nietzsche « profonds à force d’être superficiels », la symbolique de la dénudation sur la plage est beaucoup plus riche qu’il n’y paraît. Se déshabiller devant la mer, c’est rechercher (sans le savoir, évidemment) une innocence paradisiaque puisque la nudité était la tenue vestimentaire imposée par Dieu à Adam et Eve. Se déshabiller devant la mer, c’est revendiquer l’amitié d’un Dieu aimant qui n’est pas encore punisseur. Pas le moindre bout de tissu pour gêner le rayonnement de l’amour de Dieu sur ses créatures. En ce sens, on peut dire sans paradoxe que le nudisme est l’une des activités humaines les plus chargées de spiritualité, et que la nudité totale est le terme logique de la dénudation à l’occidentale. Les ascètes de l’hindouisme qui s’assemblent en foules impressionnantes pour la Kumba Melah au confluent du Gange et de la Yamuna  nous rappellent que se mettre nu, c’est aussi  se dépouiller des vanités de ce monde.

Se déshabiller devant la mer, c’est aussi revendiquer l’amitié et la proximité du monde. Pas le moindre bout de tissu pour empêcher le vent, le soleil et la mer de me toucher. « Elle est retrouvée, quoi ? L’éternité. C’est la mer alliée avec le soleil », nous dit Rimbaud. Or quelle meilleure métaphore de l’éternité qu’un coucher de soleil admiré depuis la plage de Soulac ou celle de Malibu (je choisis à dessein des plages tournées vers l’Ouest) ?

Se déshabiller devant la mer, même pour celles et ceux qui ne ressemblent pas vraiment à la Vénus de Milo ou à l’Apollon du Belvédère, c’est affirmer à la suite de la statuaire grecque que le corps humain est beau, que son effacement sous les vêtements est une absurdité esthétique. Son dévoilement n’est pas une exhibition, c’est au contraire mais une ostension de la dignité humaine et du prix inestimable de chacun des corps humains.

La Bible nous parle de la nudité paradisiaque, les statues grecques nous parlent d’humanisme, et pour compléter ce cocktail fondateur de l’Occident, on pourrait ajouter que la pudeur chrétienne n’a jamais été si intraitable que cela. Beaucoup de peintres fort chrétiens et fort homosexuels ont exalté en même temps leur foi et leur orientation sexuelle en peignant de beaux et jeunes saint Sébastien nus et percés des flèches d’un amour à la fois mystique et charnel. Et ce n’est pas renier l’amour du Christ que de dire que certaines représentations de sa nudité sur la croix lui donnent de jolis pectoraux et de jolis abdominaux. Bref, les relations du christianisme et de la nudité occuperaient des bibliothèques de thèses (des millions de mégabits), celles d’une autre religion centrée plus à l’est tiennent en une courte et sèche phrase de condamnation (½ bit).

Autre chose. Les Anglo-Saxons qui ricanent de cette polémique franco-française et se scandalisent de voir des policiers verbaliser à Nice certaines femmes dans certaine tenue feraient bien de méditer sur le troisième terme de la devise républicaine, « fraternité ». La citoyenneté française est plus exigeante parce qu’elle est plus généreuse. Quel citoyen de Manchester d’origine britannique se sent moralement obligé d’éprouver de la fraternité envers les citoyens d’origine pakistanaise de sa ville ? Aucun, je présume. La réception dans la nationalité française implique que l’on demande au nouveau frère de ne pas afficher tout à coup sa différence par une tenue exotique. Que cette conception française de la nationalité soit peut-être utopique et finalement dangereuse, c’est un autre problème. En attendant, on peut dire que la polémique sur le burkini est tout ce qu’on veut, sauf frivole et inutile.

Burkini, par magazinecauseur



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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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