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Burkini: il est possible de l’interdire


Burkini: il est possible de l’interdire
Plage de Villeneuve-Loubet, août 2016. SIPA. AP21942980_000009

Maillot de bain féminin, contraction des mots « burqa » et « bikini », le burkini couvre tout le corps en laissant le visage apparent. Il est vanté par ses inventeurs comme la conciliation de la pratique des sports nautiques et de la croyance religieuse musulmane, alors que ni le Coran, ni la Sunna n’en font mention. Soit.

Malgré les innombrables qualités que lui prêtent ses promoteurs, ce maillot islamique (salafiste) est de nouveau la cible de certains maires. Et, comme chaque année, son interdiction soulève son lot d’accusations d’islamophobie, de stigmatisation, d’amalgames, etc.

Il est vrai que ce vêtement n’est pas interdit par la Constitution qui garantit aux citoyens la liberté de croyance et autorise quiconque à se vêtir conformément à ses opinions religieuses. Le burkini n’est pas non plus interdit par la loi de 2010 relative à l’interdiction du voile intégral, alors qu’il en constitue le modèle balnéaire. Loi qui est d’ailleurs de moins en moins appliquée, de l’aveu même des forces de l’ordre, et dépourvue d’effet par le système de paiement de toutes les amendes par le milliardaire algérien Rachid Nekkaz.

Perçu pour ce qu’il est et non pour ce qu’il prétend être

Mais dans un contexte d’état d’urgence marqué par des attentats islamistes à répétition, le burkini met mal à l’aise dans le débat public. Il est davantage perçu par la population pour ce qu’il est en réalité, une marque ostensible de provocation identitaire, que comme ce qu’il prétend être, un symbole de tolérance, de liberté et de vivre-ensemble. Le burkini est dangereux en tant qu’il crée l’amalgame entre la grande majorité des musulmans français (qui ne s’en revendiquent aucunement), et la minorité salafiste qui n’en est pas à sa première provocation.

Le 26 août 2016, le Conseil d’Etat annulait un arrêté anti burkini pris par le maire de Villeneuve-Loubet, mais voici que le 3 juillet 2017, la Cour administrative de Marseille validait un même arrêté pris par le maire de Sisco, le 13 août 2016.

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En ce début d’été, voici que certains maires s’apprêtent de nouveau à l’interdire. La saison est lancée.

L’attentat survenu lors du feu d’artifice de Nice le 14 juillet 2016 avait amené plusieurs maires de communes du littoral à prendre (maladroitement) des arrêtés visant à interdire purement et simplement le port du burkini sur les plages. Mais ces interdictions reposaient pour la plupart sur des fondements juridiques fragiles ou inappropriés.

Villeneuve-Loubet, un échec…

A Villeneuve-Loubet, le maire avait pris un arrêté interdisant l’accès à la plage et la baignade à toute personne n’ayant pas « une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ».

Le 26 août 2016, le Conseil d’État a censuré l’interdiction prise par le maire de la commune de Villeneuve-Loubet, estimant qu’en l’absence de risques de trouble à l’ordre public, le maire ne pouvait prendre une mesure interdisant l’accès à la plage et la baignade à toute personne n’ayant pas « une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ». Le juge considérant qu’une telle mesure était de nature à porter « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».

Le Conseil d’Etat n’a jamais adopté de décision de principe par laquelle il aurait interdit à un maire de prendre un arrêté anti burkini.

La Haute juridiction administrative a répondu à la question qui lui était posée : un maire peut-il prendre une mesure interdisant l’accès à la plage et la baignade à toute personne n’ayant pas « une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité » ? Un mot est absent de sa décision : celui de « burkini ».

…qui ne fera pas jurisprudence

Le Conseil d’Etat s’est borné à relever qu’en l’absence de menace particulière à l’ordre public sur la commune de Villeneuve-Loubet, l’arrêté était illégal. C’est en ce sens qu’il convient donc de comprendre sa décision. Ne faisons pas dire au Conseil d’Etat ce qu’il ne dit pas.

Aussi, la portée de sa décision doit être appréciée au regard du contexte dans lequel elle a été rendue. Le Conseil d’Etat a été saisi dans le cadre d’une procédure d’urgence, le référé liberté. Il a donc répondu par une mesure présentant un caractère provisoire, une ordonnance, à la question de savoir si l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet était légal ou non.

La décision du Conseil d’Etat du 26 août 2016 n’a donc pas valeur de décision de principe qui pourrait « faire jurisprudence » : elle est tout au plus, un cas d’espèce.

Deux conditions nécessaires

Alors peut-on juridiquement interdire le burkini ? Comme le burkini n’est pas couvert par la loi sur le voile intégral (dans la mesure où le visage demeure pour l’heure apparent), le fondement juridique pour l’interdire est limité.

Un maire ne peut en effet prendre une mesure d’interdiction uniquement si deux conditions cumulatives sont réunies :

  1. Un trouble à l’ordre public

Le maire est une autorité de police et, à ce titre, est tenu de prendre par arrêté les mesures permettant de sauvegarder l’ordre public.

L’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales détermine le cadre de son action : « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

L’ordre public qu’il est tenu de protéger a des composantes strictement délimitées. Au nom de l’ordre public, un maire ne peut agir que si sont en cause la sureté, la sécurité ou la salubrité publiques. Il ne peut pas réglementer le port d’un vêtement au nom de la laïcité, des bonnes mœurs ou du vivre-ensemble.

Cela explique notamment l’annulation de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet, les raisons invoquées : « tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité » ne se rattachent pas à la protection de l’ordre public.

La laïcité ou les bonnes mœurs ne font donc pas partie de l’ordre public et ne peuvent donc pas constituer le fondement juridique d’un arrêté municipal d’interdiction.

En tout état de cause le principe de laïcité ne s’applique pas aux usagers (sauf cas particulier de l’école publique) et ne peut constituer le fondement d’une interdiction de port de signe religieux dans l’espace public (hors cas particulier du voile intégral, puisque l’interdiction est législative).

Le respect des règles d’hygiène pourrait être un fondement juridique envisageable et a aussi été mis en avant, dans la mesure où il justifie déjà l’interdiction de la baignade habillée (donc du « burkini ») dans le règlement intérieur des piscines publiques françaises, au même titre que le short de bain pour les garçons.

Ceci étant, le risque de trouble à l’ordre public est difficile à démontrer dans le cas précis du burkini. Il n’est pas démontré qu’un risque particulier à l’hygiène est encouru en raison du port de ce vêtement et tout le monde sait que s’il est envisagé d’interdire ce type de vêtement, ce n’est pas pour des raisons d’hygiène.

Certains maires ont enfin invoqué la sécurité, qui imposerait que les baigneurs ne soient pas entravés par leur tenue de baignade : le burkini pourrait ainsi, par lui-même, compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade. Cela paraît toutefois difficile à défendre, sauf à interdire également les tenues de plongée sous-marine.

  1. L’interdiction est limitée et proportionnée.

Le maintien de l’ordre public a une finalité : maintenir le cadre permettant d’assurer l’exercice effectif des libertés et des droits fondamentaux en garantissant les conditions propices à leur sauvegarde.

Une mesure prise pour maintenir l’ordre public peut aussi avoir pour effet de restreindre l’exercice des libertés publiques. S’agissant du burkini, une interdiction porte atteinte à la liberté de conscience et la liberté personnelle.

Une telle mesure ne sera donc légale que si l’atteinte ne présente pas de caractère excessif et qu’elle est adaptée au risque de trouble à l’ordre public auquel elle est censée répondre.

La mesure d’interdiction, en tant qu’elle porte atteinte à une liberté fondamentale, doit être le seul moyen de répondre au risque de trouble à l’ordre public relevé.

Pour cela, l’interdiction doit avoir un caractère limité dans le temps et l’espace et ne pas avoir de caractère général et absolu.

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Ces deux conditions étaient réunies à Sisco en Corse. Le 13 août 2016, une violente altercation était survenue entre plusieurs familles musulmanes, dont les femmes portaient burka ou hijab et des habitants de la commune.

Une centaine de CRS et de gendarmes avaient dû s’interposer, cinq personnes avaient été hospitalisées et trois véhicules incendiés. Les forces de l’ordre ont également dû intervenir le lendemain au cours d’une manifestation qui s’est déroulée à Bastia dans une atmosphère très tendue.

Sisco, parce qu’il le vaut bien

A la suite de ces événements, le maire de Sisco prenait un arrêté anti burkini le 16 août 2016.

Dans son arrêt du 3 juillet 2017, la Cour administrative d’appel de Marseille relève que ces faits, en raison de leur nature et de leur gravité, « étaient susceptibles de faire apparaître des risques avérés de troubles à l’ordre public justifiant légalement l’interdiction édictée par l’arrêté en litige de porter des tenues vestimentaires manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse ».

La Cour relève également que l’interdiction, qui était limitée dans le temps, jusqu’au 30 septembre 2016, et aux seules plages de la commune de Sisco, n’était ni imprécise, ni disproportionnée et qu’une mesure moins contraignante, telle que celle consistant à solliciter la présence d’une patrouille de gendarmerie aux abords de la plage, n’aurait pas permis d’atteindre le même objectif.

Un maire peut donc parfaitement interdire le port de tenues vestimentaires manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse.

Si l’arrêté du maire de Sisco a été jugé légal, c’est justement parce qu’il visait les bonnes raisons.

Le juge a donc explicitement reconnu que le burkini était un vêtement provoquant et de nature à troubler l’ordre public.

De nature à troubler l’ordre public

En réalité, une lecture possible de la décision de Marseille est que le burkini constitue intrinsèquement un trouble à l’ordre public : porté sur une plage, il induit par lui-même un risque de trouble à l’ordre public, puisqu’il peut générer des attroupements, discussions houleuses, voire rixes entre plagistes dans un climat de plus en plus tendu, avec une montée des extrêmes qui s’est manifestée notamment à l’occasion de la présidentielle.

On recommandera donc aux maires qui souhaitent interdire le port de ce vêtement de ne pas chercher à invoquer de mauvaises raisons ou de chercher à emprunter des voies détournées (volonté de faire respecter l’hygiène ou la laïcité).

Invoquer les bonnes raisons ne sera pas également la garantie d’une sécurisation juridique totale, puisque l’appréciation du juge administratif s’opérera toujours au cas par cas, mais sera plus facile à défendre au contentieux.

Cependant et dans le contexte de tensions que nous connaissons, il est évident que le burkini n’est pas un vêtement destiné à manifester une croyance mais bien une façon de faire passer un message à caractère politique et identitaire destiné à attirer l’attention sur soi et à provoquer des remarques hostiles.

Burkini, la saison 2 est lancée!

Certains nous diront que c’est une tenue comme une autre et qu’aucune loi ne l’interdit. Certes, tout comme aucune loi n’interdit de se promener à Oradour sur Glane en tenue militaire allemande.

Les maires peuvent donc l’interdire en tant qu’il représente une provocation, qu’il est susceptible d’engendrer des tensions et donc à ce titre créer des risques de trouble à l’ordre public.

Peut-être que l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille va faire l’objet d’un pourvoi en cassation et que le Conseil d’Etat sera amené à prendre une décision de principe. Elle serait bienvenue.

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Le risque de trouble à l’ordre public (sécurité, salubrité, tranquillité publiques) demeure cependant un fondement juridique assez restreint. Ceci étant, il est déjà arrivé au Conseil d’Etat, à titre exceptionnel, de considérer que la dignité humaine était une composante de l’ordre public.

En 1995, au nom de la dignité humaine, il avait validé un arrêté municipal interdisant un spectacle de lancer de nains alors même que le nain était consentant et acceptait de se faire lancer contre des matelas.

Le burkini est une provocation. C’est un obstacle au « vivre-ensemble ». Saisi de la question, le Conseil d’Etat se placera-t-il sur le terrain de la dignité humaine pour valider son interdiction, rappelant ainsi que le droit français assure l’égalité entre les hommes et les femmes, et garantit à ces dernières le droit à l’émancipation ? La saison 2 ne fait que commencer, la suite au prochain épisode !



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