On a entendu bien des sanglots longs, ces dernières semaines, pour déplorer l’arrêt de plusieurs émissions musicales sur le service public hexagonal de télévision. Au bout du rouleau, exsangues, des programmes tels que Taratata ou CD’aujourd’hui ne seront plus à l’antenne à la rentrée. Écouter de la musique à la télévision, dans de bonnes conditions, n’est pas une sinécure… Entre les tristes chaînes spécialisées « robinets à clips », les plateaux lugubres où règne en maître le playback, et les chanteurs à obsolescence intégrée nés dans les télé-crochets et qui disparaîtront dans les nouveaux cimetières de la télé-réalité, le paysage n’est pas très réjouissant…
Devons-nous attendre un renouveau de la variété télévisée par le service public ? (rires enregistrés) Non. Assurément pas… C’est du privé que nous vient une initiative singulièrement ambitieuse, le « Ben & Bertie Show » – conçu et animé par le réalisateur Benoît Forgeard et le chanteur, producteur, compositeur Bertrand Burgalat. Paris Première (groupe M6) diffusera demain à 23h30 la seconde édition de ce show archéo-futuriste, qui semble venir tout droit des années 70, mais avec une fraîcheur inédite à la télévision française ces dernières années. Le précédent show, diffusé en janvier, s’appelait « L’année bisexuelle »; celui qui sera diffusé ce soir « Ceux de Port-Alpha ». Chacune des émissions propose une série de séquences musicales incluses dans une fiction dont Forgeard et Burgalat sont les héros. Cette fois-ci nous voilà transportés dans la station balnéaire de Port-Alpha, dont le maire (Burgalat) entend monter un grand festival d’été. « Nous voulions raconter une province envoûtante et mégalomane, pas celle archi-rebattue des traditions pittoresques et des guerres de clochers » explique Forgeard. Port-Alpha vit à l’ombre d’une centrale nucléaire, dont elle est très fière, et entend célébrer cette présence en musique par un grand festival : « Une sorte de Woodstock de l’uranium 235 ». Intégralement tourné en studio, usant avec sobriété d’effets vidéos assez basiques (tel le fond vert permettant l’incrustation de personnages dans des paysages divers) le « Ben & Bertie Show » n’est pas sans évoquer la télé de papa… les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier qui étaient souvent construites autour d’une thématique, ou les grandes débauches esthétiques de Jean-Christophe Averty. Les séquences musicales sont évidemment enregistrées dans les conditions du direct, et une affiche à la fois complètement loufoque et très qualitative est proposée, pour ce festival de Port Alpha… mêlant entre autres les BB Brunes et la douce April March, La Grande Sophie et… Elie Semoun, Charles Dumont (l’homme qui a écrit Non je ne regrette rien à Piaf) et les jeunes toulousains d’Hypnolove. Le tout avec en fil-rouge les musiciens d’A.S Dragon, qui ont souvent accompagné Burgalat, notamment sur scène…
L’émission est présentée malicieusement comme une « œuvre de service public idéalisé ». On se délectera donc de ce show espiègle, diffusé astucieusement un jour avant le début de l’été, et son corolaire terrifiant… la Fête de la musique ! On goûtera surtout sans réserve la saveur de son esthétique globale, qui n’est pas celle d’une émission de variété industrielle formatée mais d’une œuvre à part entière…
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