La Commission européenne et Moody’s ont sévi, ces derniers jours, contre les choix budgétaires italiens. Au mépris manifeste de toute souveraineté populaire…
Le catoblépas est un animal légendaire si stupide qu’il est réputé se manger les pieds. Tant le monde de la finance que l’appareil bruxellois semblent faire partie de cette curieuse espèce animale : à quelques jours d’intervalle l’agence Moody’s a abaissé la note de la dette souveraine italienne et la Commission européenne a rejeté le budget de Rome.
« Les projets […] du gouvernement [italien] ne constituent pas un agenda cohérent de réformes »
Vendredi dernier, Moody’s a donc ramené la note souveraine de l’Italie (note attribuée à la dette à long terme émise par l’état italien) de Baa2 à Baa3 (échelon un cran au-dessus de la catégorie « spéculative », « junk » ou « non investment »). L’agence (une société à but lucratif) d’estimation des risques économiques, indique percevoir une dégradation des perspectives de déficit et l’arrêt des « réformes structurelles ». Certes, elle tempère son appréciation en l’assortissant d’une « perspective stable », ce qui exclut, à court terme (en théorie six mois), le risque d’une dégradation supplémentaire. Mais qu’en sera-t-il dans deux mois quand le budget sera voté, probablement tel quel ?
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Moody’s a expliqué être inquiet d’une simple éventuelle stabilisation et non d’une véritable diminution de la dette publique au cours des prochaines années. « Le ratio de dette publique de l’Italie va probablement se stabiliser autour de l’actuel taux de 130 % du PIB dans les années à venir, plutôt que de diminuer comme Moody’s le pensait », a indiqué l’agence, qui estime que la dette publique est d’autant plus problématique que les perspectives de croissance économique seraient faibles : « Les projets de mesures budgétaires et économiques du gouvernement ne constituent pas un agenda cohérent de réformes qui [résoudra] les problèmes de croissance décevante ». Moody’s ajoute qu’à court terme également, « le stimulus budgétaire apportera un dynamisme à la croissance plus limité que ce que le gouvernement estime ». Moody’s explique sa décision par « une dégradation marquée de la solidité budgétaire de l’Italie, avec des objectifs gouvernementaux de déficits budgétaires pour les années à venir supérieurs à ce que Moody’s prévoyait auparavant » et par « les conséquences défavorables pour la croissance à moyen terme de l’arrêt des projets de réformes économiques et budgétaires structurelles ». Moody’s estime que la croissance de l’économie italienne (troisième de la zone euro) « ne devrait bénéficier que d’un coup de pouce temporaire grâce à cette politique budgétaire expansionniste avant de retomber à un rythme annuel d’environ 1%… » Et que « même à court terme le soutien budgétaire apportera un soutien à la croissance plus limité que prévu par le gouvernement ».
Bruxelles pense à Bruxelles
L’Italie est notée BBB par les deux autres sociétés commerciales américaines internationales de notation, Standard & Poor’s (S&P) et Fitch Ratings. S&P, dont la perspective est stable, doit rendre sa décision sur une éventuelle modification le 26 octobre. Fitch, de son côté, a abaissé le 31 août à « négative » la perspective de sa note. Autre grigri chéri de la finance, l’écart de rendement (« spread ») entre les titres italiens et allemands a atteint, vendredi, son plus haut niveau depuis près de six ans à plus de 338 points de base.
Les agents de la finance – et Bruxelles – évoquent sans cesse le concept de « réforme structurelle ». Pour eux, il s’agit seulement des mesures budgétaires d’augmentation des impôts et de réduction des dépenses, investissements publics et prestations sociales incluses. Ils confondent donc, volontairement ou pas, la structure du budget et celle d’une économie.
Les Italiens, eux, ont choisi une politique globale de relance qui, augmentant la production et la consommation, accroît l’assiette imposable, et devrait tendre mécaniquement vers l’équilibre budgétaire. Le projet de budget italien pour 2019 table sur un déficit à 2,4 % du produit intérieur brut, très loin du 0,8 % promis par le précédent gouvernement. Ce projet de budget inclut l’instauration d’un « revenu de citoyenneté » pour les défavorisés, une baisse des impôts, une amnistie fiscale partielle pour ceux qui rapatrient et l’abaissement de l’âge de la retraite. Il s’agit bien d’une réforme structurelle, mais économique et sociale, intelligente, humaine et respectueuse des engagements électoraux.
La rivière Moody’s revient toujours dans son lit
Bruxelles a demandé des « clarifications » sur un dérapage « sans précédent dans l’histoire du Pacte de stabilité et de croissance ». La Commission dénonce « une non-conformité grave » avec les règles européennes, ce qui pourrait l’amener à rejeter ce budget, décision grave qui ne s’est encore jamais produite. Et après ?
Les opinions publiques doivent résister à la peur de sujets supposés trop complexes alors qu’ils sont assez faciles à comprendre, dès lors qu’ils sont débarrassés du matraquage médiatique, de ce bla-bla pseudo-technique, et expliqués.
Enfin, on rappellera, parmi d’autres, des éléments édifiants d’histoire financière : en 1931, Moody’s fut à l’origine de la crise grecque et, indirectement, de l’arrivée au pouvoir du général Metaxas, cinq ans plus tard. L’agence de notation décida en effet d’abaisser la note de la Grèce. Résultat : augmentation des taux d’intérêt, départ des capitaux et défaut de l’Etat, la Société des Nations ayant refusé son assistance financière. Comme récemment, le peuple grec ne fut pas épargné : faillites de banque, émeutes et finalement coup d’Etat. Mieux, les banques italiennes avaient été parmi les plus durement touchées par le défaut grec et Mussolini en tira prétexte : l’armée italienne envahit la Grèce. Les dirigeants de Moody’s jurèrent mais un peu tard qu’on ne les y prendrait plus et promirent de ne plus noter les Etats. On sait ce qu’il en a été en 2007… Les « agences » furent à nouveau accusées du gonflement de la bulle puis de son éclatement. Début août 2016, Moody’s a même porté un jugement (!) sur les programmes de Donald Trump et Hillary Clinton :
« Alors que le programme de la démocrate permettrait la création d’emplois, celui de son rival entraînerait des destructions en masse, et une fragilisation de l’économie américaine. »
L’économie est faite pour les humains
Sans commentaire ? Si, trois :
– une bonne économie réelle est bonne pour la finance ; une finance dévoyée est mauvaise pour l’économie.
– l’économie est faite pour les humains et les nations : les Italiens vont le rappeler ; et la finance spéculative qui fabrique les bulles et s’en prend aux nations devra être ramenée par la loi à sa place.
– Bruxelles est le dos au mur. Que fera le peuple italien, soudé à 55 % derrière ses leaders? Que va-t-il se passer en Espagne lors du vote du budget du gouvernement Sanchez, minoritaire, utopiste et discrédité ?
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