Accueil Culture Vincent Le Port: addiction juvénile

Vincent Le Port: addiction juvénile

« Bruno Reidal », en salles le 23 mars


Vincent Le Port: addiction juvénile
Dimitri Doré dans " Bruno Reidal, confession d’un meurtrier" (2022) de Vincent Le Port © Capricci

Inspiré d’un fait divers vieux de plus de cent ans, le cinéaste Vincent Le Port réalise un grand film sur la monstruosité sans jamais juger ou excuser. « Bruno Reidal », en salles le 23 mars.


En 1905, dans un village du Cantal, un paysan – séminariste âgé de 17 ans trucide à coups de couteau puis décapite un enfant de 12 ans. Le nom de l’assassin, qui n’a rien de fictif, fournit le titre du film inspiré par ce fait divers qui en son temps défraya la chronique : Bruno Reidal. Les cinéphiles de la vieille école rapprocheront immédiatement ce premier long métrage de Vincent Le Port, un ancien de la Fémis, du fameux chef d’œuvre qu’en 1976 feu René Allio tira de l’ouvrage éponyme du philosophe Michel Foucault Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère : un film basé sur un drame tout aussi réel, qui se produisit en 1835 dans un village normand.

Capricci

Masturbation compulsive et égorgement de cochons

Outre que le premier était en noir et blanc, le second en couleur Moi, Pierre Rivière… et Bruno Reidal, construits tous deux à partir d’authentiques mémoires rédigés alors par les jeunes assassins, sont pourtant deux films très différents l’un de l’autre. Chez Vincent Le Port, l’approche historico-sociologique est moins évacuée que délibérément ramenée à la marge. Accoutrements (coiffes auvergnates, sabots, vêtements sacerdotaux, aubes, chasubles, uniformes), chants et homélies en latin, accents du terroir : une anthropologie des naturels du cru s’y esquisse néanmoins, sans cet effet « carte postale » propre à tant de films en costumes.

A lire aussi, du même auteur: «Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air

Reste que le propos du cinéaste est manifestement ailleurs : centré sur l’énigme de cette incoercible pulsion meurtrière qui habite le garçon depuis le plus jeune âge, et dont celui-ci rend compte devant les psychiatres qui l’interrogent, après qu’il s’est rendu de lui-même à la police sitôt commis son forfait. Premier de la classe et, pour cette raison, hissé vers le séminaire par ses maîtres, l’élève taciturne et solitaire vivait en secret son tourment, associant, à travers une masturbation compulsive, l’égorgement des cochons, la petite mort et l’atroce tentation d’occire ses congénères dont il jalouse et vénère la beauté physique.

Capricci

Malédiction intime

Le crime nous est livré, dans sa sauvagerie, dès l’ouverture de Bruno Reidal. C’est avec une grande intelligence scénaristique que le réalisateur, esquivant la facilité d’un suspense qui conduirait pas à pas son héros de l’innocence vers la perpétuation du crime, pose au contraire une question plus intéressante : pourquoi – merci Sigmund ! – l’Homme n’est-il jamais « le maître de sa propre maison » ? Pourquoi demeure-t-il, quoi qu’il fasse, la proie de ses propres pulsions ? Par quelle énigme ne peut-il échapper à sa propre malédiction intime ? La réponse de Vincent Le Port se soustrait fort heureusement au poncif victimaire dont l’air du temps est si pesamment chargé. Le petit Bruno (interprété par trois acteurs, à trois âges de la vie du personnage, 6, 10 et 17 ans) s’est vu abusé, enfant, en pleine cambrousse, par un vieux vicelard des champs, mais ce « traumatisme » lui découvre, en même temps, le mode opératoire de la jouissance – ce sera sa première éjaculation. Certes la violence éthylique du foyer et l’hystérie maternelle le poussent vers les échappatoires de la religion et des études, mais c’est en vain : elles ne le sauveront pas de lui-même.

La révélation Dimitri Doré

Ajoutons que Bruno Reidal est l’occasion de découvrir, dans le rôle-titre, un jeune comédien tout à fait remarquable, Dimitri Doré. Pas facile de camper un tel personnage. Il parvient à investir ce petit monstre d’une humanité sensible, d’une délicatesse qui nous le font prendre en pitié, et presque aimer. Pour finir, on serait curieux de lire ce mémoire où le jeune psychopathe se confie si lucidement à ses juges, document qui a été, semble-t-il, été le conducteur du scénario. Avis aux éditeurs ?              

Bruno Reidal. Film de Vincent Le Port. Avec Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent, Roman Villedieu, Alex Fanguin. France, 2020, couleur. Durée : 1h41. En salles le 23 mars.




Article précédent Propos sur le «Non agir»: D’Henri Queuille à Lao-Tseu
Article suivant Corse: « Il y a fort à parier que ces petits casseurs ont parmi leurs proches des agents publics »

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération