Et si la meilleure définition d’une monographie réussie se résumait à l’envie qu’elle suscite chez le lecteur de découvrir l’œuvre qu’elle nous présente ? A cette aune-là, l’essai de David Didelot est une parfaite réussite dans la mesure où elle donne immédiatement l’envie de jeter un œil (et pas qu’un seul !) à l’œuvre protéiforme et tellement décriée de Bruno Mattei dont quelques titres culte ont fait le bonheur des amateurs comme Virus cannibale, Les Rats de Manhattan ou Scalps.
David Didelot entreprend donc de réhabiliter ce cinéaste maudit en s’éloignant à tout prix de la posture de ceux qui n’aiment la série Z que pour en rire grassement et pour se faire mousser à peu de frais en pointant ses défauts les plus visibles (cf. François Forestier). L’auteur évite aussi les travers de certains fans aveuglés par la passion et qui cherche à tout prix à ignorer les ratages évidents de leurs idoles. L’amour qu’il porte au cinéma de Mattei est sincère mais raisonné et jamais le réalisateur ne nous sera présenté comme un « génie » ignoré. Il s’agit plutôt, et c’est là tout l’intérêt de ce bel ouvrage, de se plonger dans les méandres d’une filmographie plutôt dense et d’en pointer les qualités au-delà de ses défauts évidents (budgets minuscules, pompage des succès de l’époque — principalement américains —, recours intempestifs aux stock-shots, etc.)
David Didelot nous présente donc en détail la carrière de Bruno Mattei en revenant sur sa formation initiale (le montage), ses premières armes dans le cadre du cinéma populaire européen puisqu’il travailla régulièrement pour Sergio Grieco, Nick Nostro avant de devenir monteur sur certains films de Jess Franco (les versions italiennes de Venus in furs ou des Nuits de Dracula) ou de Joe d’Amato. De manière extrêmement pointilleuse, l’auteur suit les étapes d’une filmographie ou tous les sous-genres du cinéma d’exploitation trouvèrent naturellement leur place : le film de nazisploitation, le mondo movie (ces documentaires bidouillés, sexy et sensationnalistes), des péplums érotiques, des W.I.P (pour « Women in prison ») films, des films d’horreur avec des zombies ou des cannibales, des westerns, des films d’action et de guerre dans la lignée de Rambo 2, des thrillers érotiques dans la lignée de Basic instinct et j’en passe… Cette exploration des tréfonds du cinéma bis est passionnante et menée de main de maître par un guide dont l’érudition impressionne à chaque page.
S’il fallait absolument faire une petite réserve, nous dirions que la construction du livre peut éventuellement se discuter. En consacrant une longue première partie à la carrière de Bruno Mattei avant de proposer une analyse de chaque film, David Didelot prend le risque, parfois, de la redite. L’essai aurait donc peut-être gagné à intégrer l’analyse des films directement dans le corps du texte principal, en passant plus rapidement sur les titres ne méritant pas une analyse détaillée. D’autant plus que l’admirable épilogue de l’essai où l’auteur extrait les grandes caractéristiques de l’œuvre « mattéienne », aurait très bien pu servir d’armature à sa démonstration globale.
Mais encore une fois, je chipote et cette construction n’a pas que des défauts puisqu’elle permet aussi de faire entendre d’autres voix de spécialistes du cinéaste pour analyser certains titres (les excellents Didier Lefevre, Jérôme Ballay et Jean-Sébastien Gaboury).
Et face à cette somme impressionnante d’informations et de synthèse, il ne nous reste plus qu’à tirer notre chapeau : Bruno Mattei : itinéraire bis est un livre de « fan » qui ne se laisse pas aveugler mais dont la passion est diablement communicative…
Bruno Mattei : itinéraires bis, de David Didelot, Ed. Artus films, 2016.
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