Bruno Léandri relate quelques-unes de ses pires pérégrinations. Tout est vrai, et à mourir de rire.
Bruno Léandri annonce la couleur dès la première page : « J’aime pas les voyages. J’aime pas les aéroports, j’aime pas les avions de ligne, je déteste m’arracher à mon fauteuil chéri pour affronter des contrées hostiles, chez des gens qui ne m’ont rien demandé. J’aime pas les aventures. Dès qu’une situation tourne aventureux je me sens intrus dans l’histoire, ne prends aucun plaisir à y faire face, et n’ai qu’un désir : réintégrer mon fauteuil chéri. »
Pour un anti-aventurier, Léandri en a collectionné beaucoup, des aventures. À croire que, malgré lui, il les cherche et en redemande. Animateur dans un hôtel-club au temps radieux de la Roumanie de Ceausescu, en 1975, il découvre les joies du socialisme des pays de l’Est au cœur de l’été. Ce job d’étudiant lui apprendra notamment à frayer parmi les espions du Parti, à expliquer aux commissaires du peuple que ses sketchs à l’humour potache ne sont pas une atteinte à la sécurité de l’État, et à sauver son matériel audio des mains de douaniers ne reculant devant rien pour avoir leur bakchich. Son retour à Paris tient du miracle mais cela ne l’empêche pas, l’été suivant, de rempiler pour une même expérience en Tunisie.
Le voyageur malgré lui
Bien naïf, il pense que les plages du Maghreb sont à mille lieues de la répression politique et du flicage de leurs saisonniers. Les premiers barbus pointent leurs poils et, en plus, son séjour commence par des pluies torrentielles. Les pages consacrées à l’arc de triomphe érigé par son hôtel en hommage à Bourguiba (qui doit passer en voiture) sont d’une drôlerie rare. Mais l’on peut dire cela pour l’ensemble de ce livre savoureux.
À lire ensuite, François Kasbi: À cause d’une femme, « Mon maître et mon vainqueur », de François-Henri Désérable
Ainsi, son séjour au Vietnam et en famille, en 1997, sur les traces de son grand-père, fonctionnaire en Indochine, est une succession de scènes qui, racontées par notre voyageur-malgré lui, sont hilarantes. Et ça commence dès le premier jour, lorsqu’il réalise l’erreur qu’il a commise en choisissant de découvrir le pays avec un tour opérateur. Un groupe de Français constitué en majorité de profs. « Toute la brochette des spécimens : le vieux prof de maths maniaque, aigri et obsessionnel, que les moindres retards du planning bouleversaient plus que les découvertes du voyage, la prof de gym cheftaine scout voyageuse endurcie, qui nous prenait pour ses élèves et nous rabrouait de même, son mari, qui passait son séjour à comparer les prestations avec celles du séjour précédent, la gogole prof de lettres qui préférait lire son Guide Bleu plutôt que de regarder la réalité par la fenêtre, et puis, chez les pas profs, les deux niaiseux trentenaires, célibataires éthérés et bavards insupportables, le rigolo boute-en-train de rigueur, toujours la vanne navrante au bord des lèvres, et enfin, pour couronner le tout, le couple d’authentiques bidochons pur jus, gros, stupides, hargneux, en gilets baroudeurs. » La famille arrive à leur fausser compagnie et les expériences qui s’ensuivent – on pense notamment au repas de grenouilles dans un restaurant de montagne et à cet hôtel d’État gigantesque et désert – sont poilantes. Il est encore question d’Asie lorsque, en 2001, ce Marco Polo des temps modernes décide d’aller voir la Chine.
Cette fois-ci pas de groupe de Français mais un guide-cerbère, que Léandri et sa femme surnomment Choupette, et qui va tenter, en vain, de leur montrer la Chine pour touristes. Tensions palpables et fous rires assurés à la lecture des pages sur les restaurants et toilettes publiques de Pékin. Rire du malheur des autres, ce n’est pas bien, mais Bruno Léandri nous propose de rire du sien et en sa compagnie. C’est un régal, on en redemande et on prend déjà plaisir à le suivre dans un prochain livre qui, semble-t-il, emprunterait les mêmes sentiers.
J’aime pas les voyages – Aventures d’un anti-aventurier, de Bruno Léandri, Éditions du Trésor, 2021.
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