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Bruno Lafourcade mitraille sec dans sa « Littérature à balles réelles »


Bruno Lafourcade mitraille sec dans sa « Littérature à balles réelles »
L'écrivain Bruno Lafourcade © Laurent Firode

De son propre aveu, Bruno Lafourcade est un fanatique, un jaloux qui règle ses comptes avec ses contemporains…


Chaque mois des tombereaux de livres sont versés sur les étals des libraires. Ils forment des tas desquels émergent le plus souvent des livres médiocres promus par des publicités consanguines et complaisantes. Le style régulièrement bâclé de ces pensums reflète la pauvreté récurrente des thèmes abordés.

Notre littérature actuelle résonne de la charge éléphantesque des belles âmes

L’actualité racoleuse (migratoire, solidaire, féministe, incestueuse ou “sociétale”) se glisse entre les réflexions nombrilistes. Certains auteurs surpassent tous les autres: parlant de rien dans le style commercial qui contente l’étudiant manquant de culture ou la cadre dynamique pressée, ils écrivent régulièrement des livres-bibelots qu’on pose sur la table basse à côté du Télérama qui les a consacrés. Des journalistes accouchent, dans le style journalistique qui a fait leur succès médiatique, de romans manifestement destinés aux journalistes et lectrices de Elle. Des politiques « communiquent des messages » à travers des personnages grotesques dans des livres ridicules. Enfin, en utilisant l’autofiction, d’autres littérateurs se libèrent du carcan des écrivains d’antan – décrire le monde dans toute sa splendeur et dans toute sa crasserie, et sa galerie de personnages possibles – puisqu’ils ne parlent que d’eux. À peine né, l’ensemble de ces œuvres sent déjà le renfermé.

Il fallait une pointe acérée pour décrire les productions des plus éminents représentants de ces catastrophes littéraires. Bruno Lafourcade a par conséquent transformé son stylo en arme de destruction massive des écrivassiers qui encombrent les rayons des librairies et des supermarchés. Dans sa Littérature à balles réelles, il n’y a pas de faux-fuyants ni d’attaques en biais. « J’ai du meurtrier en moi », écrit-il. Par chance il est un meurtrier qui prend le temps d’enluminer les balles qu’il destine à tel ou tel de ces gribouilleurs. Ces derniers transparaissent alors sur la feuille, grotesques, suffisants, drôles malgré eux, gonflés comme des outres pleines de vent, prêtes à éclater. Alternant les coups de pelle et de fusil, Lafourcade vise juste et décime avec appétit : « Il n’y a pas que de l’aigreur en moi, il y a aussi du fanatisme. »

Livres faisandés…

Le premier que Bruno Lafourcade colle au peloton d’exécution s’appelle Olivier Adam : « Il n’est pas fade, il est la fadeur ; comme il est la tristesse, et comme il est l’ennui. Pour le dire autrement, il affadirait la fadeur elle-même si on le laissait faire, comme il ennuierait l’ennui, comme il ferait pleurer de tristesse la bruine des dimanches après-midi que l’on regarde tomber, impuissant, derrière sa fenêtre. » Quand ça commence comme ça, on n’a plus qu’une envie, poursuivre la lecture ; on sent que le bourreau, à l’inverse de l’exécuté, est de la race des écrivains : il zigouille avec style, il trucide avec élégance, il enterre avec raffinement. Rien ni personne ne retient ses coups. Il y a du Léon Bloy sous Lafourcade – une « irrévocable volonté de manquer essentiellement de modération » et de « dire la vérité à tout le monde, sur toutes choses et quelles qu’en puissent être les conséquences. » (Le Pal, Mercure de France)

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Selon l’ampleur imbécile de l’œuvre incriminée, Bruno Lafourcade assassine l’auteur d’un coup de pelle expéditif ou de mille petits coups de stylet vifs. Christine Angot a droit à plusieurs dizaines de lignes avant le coup de grâce ; David Foenkinos à quelques lignes, et je ne résiste pas à l’envie de rapporter la dernière: « Foenkinos est traduit dans le monde entier ; dans un monde juste, il le serait devant les tribunaux. » De Frédéric Beigbeder Lafourcade dit que « son insignifiance croisa celle de l’époque », rappelant au passage que la littérature « qui se vend » ne pouvait pas échapper à la médiocrité putassière de ce temps. Il note que Philippe Sollers a constamment adapté son style à la mode en cours « entre deux cabotages d’avant-garde, stérilement formalistes, écrits dans un style de fiche technique pour robots ménagers », et que Julia Kristeva, « spécialiste du “substrat infrasignifiant de la langue”», a écrit une des quatrièmes de couverture les plus désopilantes de l’histoire du livre (Thérèse mon amour, Fayard). Il faut lire ça pour y croire, et comprendre ainsi qu’il existe des maisons d’éditions qui ne savent plus distinguer ce qui relève de la littérature de ce qui relève de l’outrecuidance bouffonne.

« Un lecteur expérimenté hume dès le premier adjectif le livre faisandé », écrivait Nicolás Gómez Dávila. Bruno Lafourcade avoue n’avoir pas toujours lu entièrement les livres critiqués: « Il en va des livres comme des bananes: la peau dit tout – je ne mange pas de fruits blets, et je ne lis pas de livres intitulés “Les lendemains avaient un goût de miel” ». La quatrième de couverture et le visage de l’auteur peuvent être des indicateurs supplémentaires; l’absence de points-virgules finit de ranger dans la case des malfaisants et des illettrés qui écrivent (les pires) l’auteur qui fait l’économie de cette ponctuation « si essentielle à la construction du raisonnement ». De son propre aveu, Lafourcade est un fanatique, un meurtrier, un jaloux qui règle ses comptes. Il va d’ailleurs jusqu’à les régler avec lui-même puisqu’il consacre dans son abécédaire destructeur un chapitre à… Bruno Lafourcade, écrivain aigre « qui s’est improvisé puriste », à la « phrase lourde d’archaïsmes, d’affèteries et de pronoms relatifs. »

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Comme il est impossible de vivre constamment l’estomac retourné et le fusil chargé, Lafourcade n’oublie pas de citer quelques auteurs qui valent la peine d’être lus: il a un faible, et on le comprend, pour Patrice Jean, le « romancier le plus lucide du temps »; il aime bien Pierre Jourde (lui-même auteur d’une Littérature sans estomac réjouissante) mais lui reproche de « ne pas se couper assez » et d’être un peu trop humaniste à son goût; il admire, comme beaucoup d’entre nous, Alain Finkielkraut, « notre conscience inquiète et douloureuse », notre maître à penser par nous-mêmes, dirait Cyril Bennasar, pour « sa lucidité et son courage » ; il apprécie à sa très juste valeur Benoît Duteurtre, « notre Marcel Aymé », le pessimisme et la férocité en moins ; il dit son admiration pour Renaud Camus qui lui a fait prendre conscience « que la beauté est avant tout une forme et la laideur une idéologie. » Ces auteurs et leurs livres sont nos bouées de sauvetage au milieu de la Mer d’Immondices des rentrées littéraires. Merci à Bruno Lafourcade d’avoir rappelé leur salvatrice présence entre deux salves meurtrières.

La littérature à balles réelles est disponible sur le site des éditions Jean-Dézert (12 euros, port compris)

Bruno Lafourcade propose également son excellente revue « à parution aléatoire », L’Irrégulière, pour la modique somme de 4,50 euros. Il suffit d’en faire la demande via cette adresse: jeandezert.editeur@gmail.com. Toutes les âneries de l’époque y sont répertoriées avec la même verve que celle de son dernier livre.

La littérature à balles réelles

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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