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Bruno Lafourcade: un écrivain de salubrité publique

Contre la génération Mitterrand, il ne retient pas ses coups


Bruno Lafourcade: un écrivain de salubrité publique
Francois Mitterrand dans les Hautes Alpes en 1986 © CHESNOT/SIPA Numéro de reportage: 00135033_000001

Dans Les dents serrées, Bruno Lafourcade dresse l’inventaire des années Mitterrand qui ont conduit à la désagrégation de la France.


Un merlin est un outil qui est d’un côté une masse permettant de fracasser, de l’autre une hache permettant de fendre. Nietzsche philosophait à coups de marteau. Dans son livre, Une jeunesse les dents serrées (Éditions Pierre Guillaume De Roux), Bruno Lafourcade écrit à coups de merlin. Si l’on en ressort tout ensanglanté et meurtri, c’est que l’auteur nous rappelle, sans prendre de gants, ce qu’ont été les « années Mitterrand » : le début de la terreur progressiste, de l’antiracisme dévoyé, de la promotion du manager et des « artistes » engagés (Tapie et Séguela en bêtes de scène, et Yves Montand en monsieur Loyal du cirque patronal), de la radio nationale devenant tract propagandiste, des radios dites libres (NRJ) comme agents propagateurs des plus misérables bruits anglo-saxons et des émissions sur la sexualité javellisée destinées aux jeunes. 

Fiertés

Lafourcade ne retient pas ses coups. Il retrace les années de notre génération, celle de ceux nés dans les années 60, sans la moindre nostalgie. Seuls nos corps étaient alertes et robustes. Le corps de la société française, lui, commençait de pourrir sous les coups des idéologies mortifères et nous entraînait dans sa chute. Nous serions bientôt ces zombies décrits par Pauwels, « les enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats de Coluche et de Renaud nourris de soupe infra-idéologique cuite au show-biz, ahuris par les saturnales de “touche pas à mon pote”, et, somme toute, les produits de la culture Lang. » Quelques années plus tard, écrit Lafourcade, la jeunesse rebellocrate allait « inventer le proud et la pride – la fierté, celle qui n’est due à rien, à aucun mérite sinon celui d’être soi », gay, noir ou femme. Le « moi » s’installait dans le cocon paresseux de ce temps et s’auto-glorifiait d’être ce qu’il était, même et surtout lorsqu’il n’avait rien fait pour être ce qu’il était. « Pourquoi, tant que vous y êtes, si prêts du but, ne pas “être fier d’être en vie” ? »

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Ravivant les débuts de la destruction programmée de l’Éducation nationale, Lafourcade gifle et dénonce ces profs, « syndicalistes doctrinaires et vaniteux » qui nous « apprenaient à nous haïr, et à mépriser notre pays et son histoire », et qui, sous l’impulsion des ministres socialistes, firent de l’école un lieu dogmatique, égalitariste et grand pourvoyeur de jeunes gens incultes, bruyants, incapables d’admirer, d’avoir des héros , ou même de concevoir ce qu’avait pu être « l’héroïsme » de certains hommes d’antan dont ils n’avaient aucun souvenir puisqu’ils n’en avaient eu aucune connaissance.

Après la lutte des classes, la lutte des races

Lafourcade apostrophe cette génération d’avant la nôtre, celle de ceux qui « depuis 68, chiaient le soixantuitisme », les politiques rompus à l’exercice de prendre les postes rémunérateurs (symboliquement et pécuniairement), ou les « parasites et les plagiaires essentiels, incapables de rien créer, (grenouillant) dans les salles de rédaction, les bureaux d’éditeur. »

Regardez et écoutez : les enfants de ces parasites ont pris leurs places, ils grenouillent pareillement dans certains milieux politiques et journalistiques. « Vous avez toujours pensé par slogans, votre vie a toujours été publicitaire ; vous nous avez pris Le Monde, vous nous avez pris France Culture – vous en avez fait des tracts. […] Vous nous avez pris la presse, vous nous avez pris l’école, vous nous avez pris l’art – et vous nous avez pris les mots. » Rien n’a changé, au contraire. Pour qui n’est pas sourd, il est aisé d’entendre l’endoctrinement et la propagande actuels sur les ondes de nos radios nationales, dans les couloirs du ministère de l’Éducation nationale, dans ceux de nombre d’universités devenues, à la place des lieux du savoir, les tribunes militantes des thèses sur le genre, sur le supposé « racisme d’État », sur le « décolonialisme » et sur « l’indigénisme ».

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La lutte des classes a fait les beaux jours des soixante-huitards, celle des races fera le printemps puis l’été de leurs petits-enfants et de certains enfants d’immigrés, plus malins que les autres, et qui ont compris comment conquérir, paresseusement, politiquement, en profitant de notre faiblesse et de nos lâchetés, les places au soleil universitaires, journalistiques ou politiques.

C’est la vérité qui est féroce

Notre faiblesse, Lafourcade la décrit et la décortique. Elle est celle de quinquagénaires à qui, jeunes, on a laissé accroire que Lang était un homme cultivé qui allait sauver la culture ; que Duras était une enquêtrice de haut vol capable de reconnaître un infanticide à la seule lueur de ses fantasmes ; que l’idéologue July n’était pas une boule de bêtise hargneuse lorsqu’il écrivait dans sa feuille de chou : « Il fait partie des bourgeois, il ne peut qu’être l’auteur de ce crime », à propos du notaire Pierre Leroy dans l’affaire de Bruay-en-Artois ; que BHL était un philosophe ; que Mesrine était le Mandrin de l’époque ; que l’école nous apprenait autre chose que l’idéologie égalitariste dominante. Nous n’avions aucun héros à admirer et personne ne voulait que nous en eussions : « Les grands navigateurs, les grands soldats, les grands saints vous renvoyaient à votre lâcheté. Certains d’entre nous avaient eu des rêves anachroniques de conquêtes et de grandeur ; ils finirent comptables. »

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Lafourcade écrit avec férocité, il fignole au ciseau à fer rougi. Quel plaisir que de sentir le vent féroce de la vérité nous cingler les joues. Il parvient par avance à décrire le Président de l’Institut du monde arabe que nous aperçûmes tout récemment face à Zemmour, un homme qui se momifia vivant – l’époque était aux pyramides – jusqu’à devenir cette image virtuelle et fanée de lui-même : « vieux beaux de la réalité aux chairs tendues qui refusent la mort, déformés, botoxés, tirés jusqu’aux oreilles, avec le sourire permanent et démoniaque des cadavres, vous souriez du néant que vous avez dispersé autour de vous. Nous n’attendons plus que de vous voir crever – mais nous l’attendons sans joie, comme tout ce que nous avons espéré ici-bas. »

Le lecteur qui a apprécié le roman L’ivraie (Christopher Gérard en a dit tout le bien qu’il fallait en dire dans ces colonnes, le 4 novembre 2018) ou les portraits, à l’usage « des intrigants et des courtisans », des Nouveaux vertueux, se délectera également des textes du blog de Bruno Lafourcade : il y décrit idéalement, avec l’ironie du pessimiste carnassier, les âneries des hommes, les bêtasseries des femmes, et toutes les crétineries des enfants de ces quinquagénaires qui, rompus à l’art de détecter les aliments frelatés, tentent vainement de profiter d’une vieillesse la mâchoire crispée.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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