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Deux Lafourcade, sinon rien!

« Leur Jeunesse » et « Sac de Frappe » de Bruno Lafourcade (Jean-Dézert éditions)


Deux Lafourcade, sinon rien!
L'écrivain Bruno Lafourcade © Laurent Firode

Notre jeunesse victime du pédagogisme est-elle véritablement à plaindre ? L’ironie délicieuse de l’essayiste Bruno Lafourcade nous invite plutôt à la railler.


L’écrivain Bruno Lafourcade a enseigné le français et l’histoire durant quelques années dans un centre d’enseignement professionnel. Il a tenu un journal intitulé Leur Jeunesse [1] relatant sa dernière année avant de démissionner. En même temps, afin de « témoigner de [sa] stupéfaction croissante devant le monde », cet adepte du pancrace littéraire a confectionné un Sac de Frappe [1], sorte d’exutoire composé de pièces brèves, de notes ironiques, d’un relevé des propos et écrits de certains de nos contemporains parmi les plus nuisibles et abêtis par des relations endogames entretenues dans les viviers de la bêtise que sont les réseaux dits sociaux, les milieux dits culturels et les médias dits pluralistes.

Barbarie progressiste

L’auteur de Leur jeunesse propose dès l’introduction « d’enfoncer le clou », c’est-à-dire de continuer de dire et de répéter que notre école ne va pas bien et fabrique des crétins – pour reprendre l’expression de Jean-Paul Brighelli qui confirme ce terrifiant constat dans son dernier livre. L’idéologie égalitariste qui trône sur l’Éducation nationale depuis quarante ans a réduit en bouillie tous les apprentissages, aplatit toutes les ambitions, refusé la transmission de tous les savoirs : « Le “bac pour tous”, c’est comme la “culture pour tous” : ça commence avec Vilar pour quelques-uns ; ça finit avec Hanouna pour tout le monde. L’égalité, c’est le nom que les progressistes donnent à la barbarie. » Les élèves que Lafourcade doit préparer au bac pro ne savent quasiment pas lire ni écrire. Ils ne sont addicts qu’à leurs smartphones et à la glandouille. Ils ne sont pas foncièrement méchants mais ils ne comprennent rien et on ne les comprend pas non plus. Ils gargouillent une autre langue que la langue française. Ce n’est pas entièrement de leur faute, des scientifiques de l’éducation ont tout fait pour qu’on en arrive là. Si on ne leur a pas appris à lire et à écrire correctement, on leur a appris en revanche l’ouverture à l’autre et la tolérance, et l’enseignant doit faire avec des « programmes spectaculairement niais » : « Ainsi, en terminale, un chapitre s’intitule “Identité et diversité” » et la propagande pro-immigration ainsi que le nécessaire “respect de l’autre” sont confortés par la lecture de textes de Laurent Gaudé et de Jean-Jacques Goldman.

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En histoire, ce n’est pas mieux. Le récit national étant par trop réactionnaire, on demande au professeur d’aborder “la nuit du 4 août” entre l’indépendance des Etats-Unis et celle de Saint-Domingue. Les élèves ne sauront rien de la chronologie des événements qui ont mené à la Terreur, mais au moins leur aura-t-on fourré dans le crâne que la Révolution française a permis l’abolition des privilèges féodaux de l’affreux Ancien Régime, celui d’avant la République et de ses inestimables « valeurs ». Pour le reste, ce sera le néant et des élèves continueront de croire que « Stalingrad est un dictateur pendant la guerre de 1930 ».

Abominations syntaxiques

Dans les copies de ses élèves, ces cimetières de la langue française, Lafourcade note, entre autres désastres, l’absence quasi-totale de la ponctuation, des majuscules et des accents. Il est confronté à des abominations syntaxiques, des lambeaux de phrases incompréhensibles qui reflètent la pensée déstructurée de ceux qui les ont scribouillés. Les représentants du personnel administratif, eux, usent d’une autre langue, peut-être encore plus détestable que celle des élèves, mélange de charabia managérial et de style bisounours, d’acronymes et de novlangue. Ainsi, le professeur Lafourcade est convié à une réunion « Pôle alternance : Perspectives » dans laquelle on l’invite à « favoriser le feed-back opérationnel permanent » et à « se dire les choses » mais « toujours avec bienveillance et respect ».

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Bruno Lafourcade aimerait pouvoir dire qu’il plaint cette jeunesse mais il n’y parvient pas. Un soupçon de compassion passe aussi vite qu’il est apparu aussitôt qu’il est en présence de ces zombies scotchés à leurs téléphones, incapables de se parler sans s’insulter, incurieux, instagramisés, nombrilisés : « On n’a jamais vécu, il me semble, dans ce pays, et peut-être sur ce continent, dans ce culte de soi : on aurait eu honte de s’aimer à ce point », écrit-il en évoquant sa propre jeunesse, celle d’un homme né dans les années 60.

Mieux vaut en rire qu’en pleurer ?

Le style de Leur jeunesse alterne entre le désespoir et l’hilarité caustique que provoquent certaines situations ubuesques. Lafourcade ne cache pas son désarroi. Il rit jaune en constatant le résultat de quarante ans de pédagogisme, d’égalitarisme, de nivellement par le bas, de transformation de l’école en garderie sociale. Finalement, il envoie sa lettre de démission qui est une dénonciation définitive du “système éducatif” en même temps qu’un petit bijou d’écriture ironique et désabusée.

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Nous imaginons que c’est afin de ne pas sombrer totalement dans la dépression et l’alcoolisme que Bruno Lafourcade a tenu, conjointement à Leur jeunesse, un autre journal dans lequel il savate, uppercute et donne des coups de pied au cul. Sac de frappe évoque les hauts faits des représentants les plus affligeants des basses œuvres progressistes et wokistes, ces journalistes, écrivains, sociologues, philosophes ou artistes qui martèlent la propagande sur la théorie du genre, le “racisme systémique” de la France, le nouveau monde “inclusif”, l’immigration heureuse, le privilège blanc, l’islamophobie des Français, la tolérance et l’ouverture à l’autre, etc. L’écrivain se fait amateur du noble art et, pour notre bonheur, distribue quelques beignes.

La maison Edgar Morin, éditrice du nouveau catalogue des idées reçues

Ses notes drolatiques sont savoureuses. Parmi mes préférées : « Je viens de protester auprès de l’Autorité de Régulation de la Publicité : hier soir, dans un spot télévisé, j’ai encore vu un couple de Blancs. Bon, c’était pour la “Convention Obsèques”, mais quand même. »

Ou encore : « Joe Biden […] restera pour moi l’auteur de ce raccourci inouï : “Les enfants pauvres sont tout aussi brillants et talentueux que les enfants blancs”. » L’actualité confirme que Sleepy Joe, alias Joe la gaffe, est entré en phase terminale d’endormissement cérébral total.

Ou aussi : « Notre grand jeu-concours “Mélangeons des mots pour avoir l’air cuistre” est désormais terminé. […] Et le vainqueur est encore Edgar Morin pour : “La conscience de la complexité est une stimulation à l’improvisation créatrice et salvatrice en situation incertaine et dangereuse”. (Twitter, 6 nov.) » Lafourcade précise que « le nouveau catalogue des idées reçues est à retirer auprès de la maison Morin, impasse du Pont-Cif, Paris 6e, France ». J’ajoute que ceux qui désirent profiter de la pensée « complexe » d’un de nos plus brillants faussaires intellectuels peuvent se rendre directement sur son compte Twitter et lire le résultat de presque cent ans de réflexion complexifiante : « On ne devrait se faire une opinion qu’après avoir examiné les points de vue divergents ou opposés. » (Tweet du 26 mars).

Sur deux modes différents, Leur jeunesse et Sac de frappe vitupèrent contre ceux qui ont fait de nos enfants des barbares, contre ceux qui ont détruit l’école et défiguré la langue, contre ceux qui nous obligent de plus en plus à nous tenir en retrait d’un monde devenu littéralement invivable. Lafourcade décrit ce monde défait dans un style toujours tendu et entrelaçant l’expression tragique et la tonalité comique. « L’éclat de rire est la dernière ressource de la rage et du désespoir », écrivait Hugo. Lafourcade, enragé et affligé tout à la fois, s’esbaudit quand même en découvrant dans les « paramètres » une rubrique qui lui demande ce qu’il compte faire de son compte Facebook après sa mort. Il conclut dans un éclat de rire : « Le Christ et moi sommes inquiets pour notre avenir : on croit de moins en moins en nous. »


[1] Leur jeunesse et Sac de frappe sont disponibles uniquement sur le site de l’éditeur : jeandezert-editeur.fr

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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