À l’instar d’un chasseur de papillons, Bruno Fuligni compose, livre après livre, un étonnant tableau où s’épinglent les bizarreries de l’histoire et les incongruités de nos lois. Son nouvel ouvrage, Les lois folles de la République (JC LAttès) en fourmille. C’est réjouissant.
Autant le dire tout de suite, Bruno Fuligni est un auteur que nous aimons beaucoup. Haut-fonctionnaire, historien, écrivain prolifique, éminent pataphysicien, il est un plongeur en archives profondes. Des abysses de grimoires et de vieux papiers, il remonte les perles qui composent son œuvre. Flaubert disait que « ce ne sont pas les perles qui font le collier, mais le fil. » Le fil de Fuligni, c’est le bizarre et l’incongru, l’étrange et le grotesque, le petit événement qui explique le grand. En somme, tout ce dont l’Histoire ne se souvient pas, Bruno Fuligni nous le raconte, et avec gourmandise. Son livre sur les candidatures les plus farfelues à la présidentielle, de 1848 à nos jours [1], est un régal. On ne se lasse pas de celui qu’il a consacré aux excentriques qui ont siégé à l’Assemblée nationale [2], de même que ses quatre siècles dans les secrets de la police [3]. En fait, on pourrait tous les énumérer et faire le même éloge de la trentaine d’ouvrages qu’il a signés jusqu’à aujourd’hui.
Son nouvel opus, Les lois folles de la République (JC Lattès), est un cabinet de curiosités juridiques qui illustre à merveille cette phrase de Napoléon : « En politique, une absurdité n’est pas un obstacle. » On apprend ainsi que le Code pénal français ne prévoit aucune peine, même légère, pour celui qui cherche à recruter un tueur à gage ; que s’il est interdit au président de la République d’aller à l’Assemblée nationale, il a le droit d’entrer à cheval dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome, et qu’il peut aussi marier un mort ou élever quiconque à la dignité de maréchal de France. Fuligni dresse ainsi l’inventaire de ces lois désuètes toujours inscrites dans nos textes, telle celle du 5 juillet 1903 « relative à l’apprentissage de la dentelle à la main », qui s’appliquait aux écoles de filles, celle du 26 janvier 1910 « tendant à accorder la restitution du droit de consommation sur le sel employé dans la préparation des conserves de cornichons exportées », ou encore celle du 13 juin 1913 « autorisant la pêche à la ligne le 15 juin, lorsque cette date tombe un dimanche ». Tout est vrai. Il n’est toutefois pas nécessaire de remonter à des temps anciens pour constater une certaine constance de l’absurdité technocratique. Depuis le 10 octobre 2008, nous pouvons ainsi légalement « éviscérer des ragondins », et même procéder à cette activité sympathique en couple marié ou pacsé, mais pas en union libre ! Autre pépite, que l’on doit à François Mitterrand en 1953 : « les signes d’hermaphrodisme, l’absence ou la perte du pénis rendent inapte à tout emploi en outre-mer ». Une question s’impose : pourquoi ?
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Ceux qui en douteraient ont également dans ce livre la preuve que notre République a encore quelques problèmes avec son héritage monarchique. Ainsi, le 25 février 1983, un litige sur une baronnie accordée en 1709 était tranché par le Conseil d’État « au nom du peuple français » en ces termes : « le titre de baron ne peut être transmis à des héritiers français que de mâle en mâle, suivant les règles du droit nobiliaire français. » Et pas plus tard qu’en février 2021, la même juridiction, la plus haute de l’ordre administratif, rendait un arrêt (pour mettre fin à une revendication de titre ducal au sein de la famille de Broglie) où on lit : « vu les lettres patentes du roi Louis XV en date de juin 1742 enregistrées au Parlement de Paris le 20 août 1742 »… Les lois folles de la République permettent aussi qu’il soit toujours inscrit au budget annuel de l’État une pension d’Ancien régime que pourraient réclamer les descendants d’un certain M. Claude-Henri Linotte, mort en 1768, et de constater que le président est bel et bien le commandeur des croyants. En prenant ses fonctions à l’Élysée, il devient notamment proto-chanoine de la cathédrale d’Embrun, chanoine honoraire de la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne et proto-chanoine de la basilique Notre-Dame-de-Cléry. Ne pas oublier ses titres de chanoine ad honores de Saint-Maurice d’Angers, de Saint-Hilaire de Poitiers, de Saint-Julien du Mans, de Saint-Martin de Tours, de Saint-Jean de Lyon, de Saint-Étienne de Chalons et de Saint-Germain-des-Prés, à Paris.
Bruno Fuligni le souligne, « les lois françaises ne sont pas faites pour être appliquées mais pour être admirées. » M. Decombrousse l’a prouvé en son temps, sous le Premier Empire, en mettant en vers le Code Napoléon – véritable chef-d’œuvre littéraire qui lui a nécessité onze ans de travail. Mais que les amateurs soient prévenus, s’il fallait réunir l’ensemble de nos lois en vigueur, le livre compterait 23 000 pages.
[1] Votez fou ! Candidats bizarres, utopistes, chimériques, mystiques, marginaux, farceurs et farfelus : de 1848 à nos jours, les élus auxquels vous avez échappé, Éditions Horay, 2007.
[2] La Chambre ardente. Aventuriers, utopistes, excentriques du Palais-Bourbon, Les Éditions de Paris-Max Chaleil, 2001, puis CNRS Éditions 2020.
[3] Dans les secrets de la police. Quatre siècles d’Histoire, de crimes et de faits divers, L’Iconoclaste, 2008.