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Bruno Bettelheim: tous des imposteurs?

Le billet du vaurien


Bruno Bettelheim: tous des imposteurs?
Bruno Bettelheim en 1990 aux Etats-unis © BARON JEAN/SIPA Numéro de reportage : 00184608_000001

Le billet du vaurien


C’était le 13 mars 1990, jour anniversaire de l’Anschluss, que le psychanalyste Bruno Bettelheim prenait congé de l’existence. Un médecin hollandais était prêt à l’assister, mais comble de dérision ce dernier mourra quinze jours avant que Bettelheim ne se rende aux Pays-Bas. Il lui avait néanmoins expliqué que pour décupler ses chances de réussite, il conseillait, après avoir absorbé des barbituriques, de s’enfermer la tête dans un sac de plastique, lui précisant que le gaz carbonique exhalé par la respiration était censé avoir un effet euphorisant.

Dommage que nous n’ayons pas son témoignage !

Bettelheim était né à Vienne le 28 août 1903. Son père était un négociant en bois, atteint d’une maladie encore incurable : la syphilis. À la fin de sa vie, lors d’une conférence qu’il donna à Lausanne, il heurta l’assistance en disant: « J’avais quatre ans quand mon père a découvert qu’il avait la syphilis. Pendant les vingt années qui suivirent, il n’a plus jamais touché ma mère. Les malades du sida n’ont qu’à faire la même chose ! » Quand un étudiant lui demanda ce qu’il pensait de la vieillesse, il lui répondit : «  N’y parvenez surtout pas ! »

Un personnage de Thomas Bernhard

D’ailleurs, plus il avançait en âge, plus il devenait un personnage à la Thomas Bernhard, capricieux, geignard, sarcastique et arrogant. Il montrait un goût prononcé pour la provocation, n’hésitant pas à comparer les étudiants contestataires des années soixante aux jeunesses hitlériennes, à fustiger le conformisme des adolescents élevés dans les kibboutzim ce qui lui vaudra de solides inimitiés en Israël, à critiquer  le Journal d’Anne Frank et sa niaise confiance en l’homme, à se gausser de la complaisance des intellectuels français face au communisme – « on en pleurerait si ce n’était pas si ridicule », écrit-il- et à soutenir que ce qui a fait des camps nazis (il a passé six mois à Buchenwald) un phénomène unique « c’est que des millions d’hommes aient ainsi marché, tels des lemmings, vers leur propre mort », ce qui lui vaudra d’être taxé par ses ennemis de « juif antisémite ».

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Comme si, au terme de sa vie, il retrouvait Theodor Lessing et cette « haine de soi », mise en scène avec un brio inquiétant par tant de juifs viennois.

Statue déboulonnée

Son vieux camarade Kurt Eissler, directeur des Archives Freud, disait méchamment de lui qu’il avait toutes les caractéristiques du génie, sans en être un. Peu après sa mort, Bettelheim, auteur de La Forteresse vide, le fondateur de l’École Orthogénique de Chicago, est accusé d’avoir été une brute raciste, un charlatan et un plagiaire: il a, en effet, pillé la thèse d’un professeur de psychiatrie pour en tirer sa célèbre Psychanalyse des contes de fées. Il aurait même trafiqué ses diplômes universitaires. Bref il aurait été un ambitieux sans scrupule, détruisant peu avant son suicide toutes ses archives. Et c’est ainsi que la statue du vieux sage sera déboulonnée par ses admirateurs les plus fervents. Je pense que Bruno Bettelheim avec son « old viennese arrogance » aurait été le premier à en rire: n’estimait-il pas que nous sommes tous des imposteurs et que les psychanalystes dans ce domaine n’avaient rien à envier à personne ?

Il n’aurait pas été surpris que cette profession soit aujourd’hui phagocytée par des femmes qui eussent été au siècle passé des dames d’œuvre. Pour avoir passé quelques heures en sa compagnie et avoir été sous son charme, je porte à son crédit l’effet de vérité qu’il a mis, sans doute malgré lui, en évidence.

Sans hypocrisie et sans bons sentiments.

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