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Les Italiens du quai de Conti

Exposition hommage à Bruno Barbey, "Les Italiens", 27 quai de Conti, Paris 6e


Les Italiens du quai de Conti
Palerme 1966 © Bruno Barbey/ Magnum

Jusqu’au 2 juillet, l’Académie des beaux-arts rend hommage au photographe Bruno Barbey (1941-2020) dans une exposition gratuite située Pavillon Comtesse de Caen…


C’était quoi l’Italie des années 1960 ? Des jeunes filles fières à l’œil sombre, des gamins pouilleux en cravate, des carcasses de Topolino, des terrains vagues, de la poussière, des soutanes, des putes et des gueules pas possibles. Il faudra précisément dater le jour où les hommes ont perdu sur leur visage, les traits d’une émotion naturelle, aucunement trafiquée par les modes et les médias, une vérité qui explose pleine face, qui saisit dans une rue de Naples ou de Milan, dans la misère des après-guerres qui n’en finissent plus ou l’opulence des fragiles résurrections économiques.

Bruno Barbey sous le charme de l’Italie des années 60

Bruno Barbey, figure historique du photojournalisme, pilier de l’agence Magnum, membre de l’Académie des beaux-arts avait photographié l’Italie entre 1962 et 1966 avant de couvrir tous les conflits de la planète, du Biafra à la guerre du Golfe. Ses reportages sur un pays balloté entre néoréalisme et Dolce Vita devaient alors constituer le troisième volume publié par l’éditeur Robert Delpire d’une série débutée par Les Américains de Robert Frank en 1958, puis suivie par Les Allemands de Réné Burri en 1962. Ce livre intitulé Les Italiens ne vit le jour que 40 années plus tard en 2002 et a fait l’objet d’une reparution l’année dernière préfacée par l’écrivain Giosuè Calaciura aux éditions delpire & co. Ces clichés en noir et blanc sont désormais visibles sur les bords de la Seine, au Pavillon Comtesse de Caen, dans l’antre de l’Institut, dans une exposition gratuite et libre d’accès. Pourquoi faut-il pénétrer dans cette chambre noire, ce confessionnal silencieux, à deux pas du tumulte touristique des quais et venir prendre, non pas un bain de soleil, mais plutôt recevoir une homélie de ce peuple ami ? Parce que Barbey a saisi l’essence même des Italiens, l’effronterie sauvage et le poids des siècles, la vie traditionnelle des campagnes et les prémices d’une américanisation, les bouleversements en gestation et les habitudes ancrées dans les mémoires, la foi et la paix des braves, le pain de fesse et la communion, les habits rapiécés et les uniformes carnavalesques, ce moment de bascule où le pays plongea dans la civilisation marchande jusqu’à perdre son âme. Barbey, du nord au sud de la Botte, prend le pouls d’une nation qui cahote sur les chemins de l’expansion ; les traces du désastre sont pourtant là, à bout touchant, les grandes bacchanales de la consommation ne sont réservées qu’à une poignée de privilégiés. Pour l’heure, l’Italie se réanime doucement, difficilement, dans la gêne et la sueur, le labeur et l’incertitude du lendemain, la précarité n’est pas un mot de technocrate lancé dans une assemblée d’experts, elle se vit au quotidien pour des millions d’Italiens.


Les temps nouveaux laissent bon nombre d’entre eux sur le carreau. Chez d’autres nations plus geignardes, ces difficultés de se nourrir, de se loger ou de trouver un travail pourraient être un frein à la légèreté et à la famille ; chez eux, la rudesse de l’instant présent s’accompagne d’un détachement quasi-fataliste et d’une pointe de morgue, il y a dans leurs yeux, la lumière des bannis qui ne sombrent pas. L’Italie souffre certainement, elle n’a pas décidé cependant de mourir. Sa jeunesse nécessiteuse flambe pour exister, les plus anciens courbent le dos dans les champs, et puis surtout, le plus étonnant dans un pays fissuré géographiquement, c’est une forme de cohésion qui semble naître, très étrangère à notre individualisme français, tous ces gens de peu ne se détournent pas de l’objectif, ils le fixent. Leur assurance nous fait du bien. Elle nous redonne espoir dans la dignité.

Beauté insolente

Et surtout, ils sont beaux. Les femmes parlent avec leurs mains, les gamins posent avec insolence, les vieux ouvriers ressemblent à des acteurs d’Hollywood, on monte à cinq sur une Lambretta dans les rires et un équilibre plus qu’instable, les belles de Milan en robe de soirée sont des lointaines cousines de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, on lit le Corriere dello Sport chez le coiffeur, les Cadillac immatriculées Corps Diplomatiques se garent au pied de la Piazza di Spagna, la casse est le décor idéal pour gaspiller son énergie, on vend des fumetti et des poulpes sur les étals de marché ; entre les processions et le Luna Park du dimanche, notre cœur balance. En sortant de cette exposition, j’ai repensé à cette phrase d’Henri Calet dans Jeunesses : « D’une façon générale, j’aime bien les gens qui n’ont rien à me dire ». Les photos de Barbey me font le même effet, elles se regardent sans aucune explication.  


Informations pratiques : https://www.academiedesbeauxarts.fr/exposition-hommage-bruno-barbey-les-italiens

Naples, 1966

Les Italiens

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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