Un tour du monde des irréguliers


Un tour du monde des irréguliers

bruno cessole ecrivains

Comment en sommes-nous arrivés là ? Au degré zéro de l’écriture, style sous perfusion et imagination en dérobade. Les stars de la Rentrée, satisfaites de leurs pâtés bien compacts, indigestes et non recyclables, parlent depuis septembre du métier qu’elles connaissent le moins, celui d’écrire. Croyez-vous que, pris de remords, tous ces gendelettres fassent amende honorable et s’excusent pour cette picrate déversée jusqu’à plus soif. Trop imbibés de textes approximatifs, ils continuent de danser sur la tombe de la littérature. Ils nous narguent les salauds, en plus, ils ont le livre mauvais. Et qu’on ne vienne surtout pas remettre en cause leur éthylisme littéraire, ces gentils humanistes peuvent se montrer féroces. Incontrôlables, irraisonnables comme des hommes politiques qui courent après un dernier mandat. Les vrais lecteurs préfèrent fuir cette bacchanale éditoriale.

À l’abri des prix, cloîtrés dans leur bibliothèque, ils ignorent crânement cette comédie qui se répète chaque année, à l’automne. Pour les critiques qui en ont encore la force physique et mentale, une reconversion professionnelle s’impose d’urgence. Pitié pas une saison de plus dans l’enfer des romans façonnés à la truelle et bouchés au plâtre ! C’est à se demander comment la littérature est enseignée dans notre pays pour arriver à un aussi pathétique résultat. Ça sent le renfermé, les fausses gloires pullulent, ça suinte de prétention intellectuelle et l’ennui nous emporte inexorablement. De l’air, vite ! Bruno de Cessole vient nous apporter un salutaire masque à oxygène sous la forme d’une compilation de portraits. Son Internationale des francs-tireurs publiée chez L’Editeur est un carnaval de fortes têtes, une colonie de splendides réprouvés qui font exploser les coutures de la littérature, de la bienséance et de l’imaginaire. Enfin, on respire ! Sous une plume harmonieuse, dans un français de haute tenue, le journaliste boucle un tour du monde des grands auteurs étrangers (Kipling, London, Orwell, Pessoa, Woolf, Durell, D’Annunzio, etc.).

Chaque escale, quarante-six au total, est l’occasion de retrouver un génie des lettres et de plonger, tête la première, dans une mer capricieuse, chahutée par les errements de l’âme humaine. Cette sélection internationale s’inscrit dans la lignée du Défilé des réfractaires sorti en 2011 qui était essentiellement consacré aux plumes françaises. Vous en avez marre des écrivains trop propres sur eux qui masquent, sous la panoplie du gendre idéal, le visage du redoutable commercial, du rançonneur de fêtes de mères. Bruno de Cessole vous venge avec maestria. Il a été pêché en eaux troubles des dynamiteurs des lettres, pas des rebelles fonctionnarisés qui mangent à la becquée du système. Du 100 % carnivore comme dirait Blier dans un film d’Audiard. En guide averti et érudit, de Cessole nous emmène sur des terres lointaines balayées par le vent du désespoir. La grande littérature n’éclot que sur des sols minables et des existences pouilleuses. Tous ces francs-tireurs ont en commun une liberté totale d’esprit, leur farouche indépendance leur a souvent coûté. « Courtisan de la Fortune, Casanova a escroqué à l’immortalité le prix souvent exorbitant dont elle se fait payer » écrit-il sur Giacomo, l’illusionniste. On suit partout de Cessole, chez Hemingway « le barbare, sensible et lettré », chez Thomas Bernhard auréolé d’un désespoir tonique ou du côté d’Henry Miller et de sa sombre jouissance. Et, à peine son Internationale refermée, on court acheter Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa « refusé par toutes les maisons d’édition auxquelles il l’adressa ». Quel voyage !

L’Internationale des francs-tireurs, Bruno de Cessole – L’Editeur



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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