Accueil Édition Abonné Au Québec, le silence comme projet de société

Au Québec, le silence comme projet de société

Couvre-feu, reviens!


Au Québec, le silence comme projet de société
Québec © Unsplash

Bruitophobie. Les pays occidentaux, et singulièrement le Canada, semblent avoir pris goût au confort de la vie sous couvre-feu…


« Dès qu’on le prononce, il n’existe plus », souffle l’énigme. Qui aurait cru qu’un jour, le silence deviendrait un véritable projet au Québec, contrée où le vieillissement démographique s’est un peu trop bien accommodé des mesures sanitaires?

Parcs à chiens «démantelés», paniers de basketball trop bruyants remplacés, barbecues au charbon décriés, inspecteurs sonores chargés d’encadrer des spectacles: la multiplication des histoires de mobilisation contre toute forme imaginable de contrariété témoigne d’une société-chalet n’ayant plus d’autre projet que de s’éteindre.

Lever toute forme d’entrave à la tranquillité des citoyens désabusés: telle est la nouvelle finalité de cette communauté fatiguée.

La nostalgie du couvre-feu

Ces histoires ne sont pas anecdotiques, mais symptomatiques d’un Québec profondément marqué par la gestion de la crise sanitaire. D’un Québec dont le gouvernement s’est vanté d’appliquer les restrictions les plus sévères en Amérique du Nord, et dont l’imaginaire bureaucratique centré sur la sécurité le prédisposait déjà à adhérer au nouvel ordre silencieux.

C’est le retour du couvre-feu qui est réclamé inconsciemment.

A lire aussi, du même auteur: Canada: Du privilège blanc au privilège amérindien

Autrefois on se battait contre la misère dans le monde, maintenant on se bat contre des parcs à chiens dans des pays désenchantés du Nord, où un monde entièrement numérique est en train de prendre place en coulisses. Dans les pays aseptisés, l’avènement du métavers et de la réalité virtuelle en général concorde étrangement avec ce repli sur soi et le déclin de la socialité.

Autrefois on se battait contre l’exploitation des ouvriers, maintenant on se bat contre son voisin qui joue de la guitare un peu trop tard, tout en décriant l’étalement urbain et en réclamant de densifier les villes au nom de l’urgence climatique.

Pendant que la crise migratoire bat des records en Amérique et qu’on annonce des pénuries alimentaires à l’échelle du globe, les journaux québécois s’inquiètent de la «pollution sonore», de « l’explosion des moustiques » et de la possibilité pour des ados de se procurer des boissons énergétiques. La déconnexion est totale.

Bruitophobie

Ce n’est pas de la science-fiction: le Québec est devenu un endroit où une police du bruit est chargée par des villes d’évaluer le niveau de décibels produit par de rares spectacles se déroulant en plein air durant un été de trois mois.

Le 3 juin dernier, le Journal de Montréal rapportait par exemple que des citoyens de l’Ancienne-Lorette, en périphérie de la ville de Québec, « surveillaient étroitement le bruit à l’extérieur » où se tenait un troublant concert, et que les autorités étaient prêtes à « intervenir rapidement en cas de nécessité ».

A lire ensuite, Liliane Messika: La liberté ou Levi’s

« Sur la rue des Cèdres, la plus proche du site, le bruit était suffisant jeudi pour perturber le voisinage. Sous 12 °C, les fenêtres étaient toutefois fermées partout et la prestation musicale s’est terminée comme prévu à 21 h 30 », poursuit sans rire l’auteur de l’article.

Univers réglomaniaque

Dans ce pays «éco-anxieux» et bruitophobe, une réglomanie s’est imposée dans le discours public avec un naturel déconcertant, s’arrimant avec une volonté de contrôle social qui n’est pas près de disparaître. Contre toutes les « micro-agressions » vécues au quotidien, un désir d’inertie s’est emparé de la population, faisant de la Belle Province un vaste dortoir.

On se demande comment autant d’observateurs sur le terrain peuvent ignorer ce triomphe de la gérontocratie, tellement cette réalité semble évidente depuis l’étranger. Pendant ce temps, le gouvernement en place – la Coalition Avenir Québec dirigée par François Legault – se félicite de son bilan et du retour du « nationalisme », comme s’il n’avait pas fortement contribué à dévitaliser ce qu’il reste de l’Amérique française.

Un québécois à Mexico: Récit d'un double choc culturel

Price: 16,50 €

11 used & new available from 16,50 €




Article précédent Caroline Parmentier, de la presse aux marchés
Article suivant Retraites: le grand mensonge
Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération