Le couple présidentiel est un couple heureux. Rien ne semble l’atteindre, car il plane bien au-dessus de la meute. D’après Philippe Bilger, cela agace les Français qui peuvent se sentir abandonnés…
J’anticipe : c’est vrai, c’est de la psychanalyse collective de bazar !
Je sais : c’est le point de vue d’un citoyen qui est agacé par des attitudes et des comportements qui en général laissent les autres citoyens indifférents.
Je confirme : nous votons pour un président de la République et on a le droit de s’estimer, sans doute pour une part minime, dépossédé de son choix quand derrière le paysage officiel il y a des coulisses même les plus touchantes du monde qui révèlent qu’ils sont deux à penser, à s’influencer, à sélectionner et à prendre parti (et je ne vais pas radoter sur Eric Dupond-Moretti !!).
Une forteresse soyeuse…
Ce n’est pas d’aujourd’hui que je ressens cette impression de délaissement qui ne situe pas le couple Macron avec le peuple français mais ailleurs, à côté de lui. Il n’est pas un portrait intime du président ou de son épouse ou des deux ensemble qui n’ait pas mis en évidence, telle une donnée « non négociable » comme dirait Emmanuel Macron, le caractère fusionnel de leur complicité, de leur entente, non seulement acquis mais affiché, lancé tel un défi à la face d’un peuple demeuré plus ordinaire, clairement moins ostentatoire dans son bonheur ou au pire désespéré.
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Aussi bien le livre de Gaël Tchakaloff, Tant qu’on est tous les deux, ou la récente et remarquable analyse de la personnalité de Brigitte Macron dans M Le magazine du Monde, « L’influenceuse », confirment, pour qui se passionne pour la psychologie des êtres qu’ils soient modestes ou au sommet, qu’Emmanuel Macron et son épouse ont besoin de se vivre et d’exister dans une forteresse soyeuse et totalement rassurante parce que personne n’y entre et que peu ou prou, elle est délibérément conçue comme une distance, un éloignement.
Si mon analyse n’était pas la bonne, il y a des épisodes graves ou dérisoires, des réalités anodines, des indifférences, des hostilités, voire d’inadmissibles haines qui n’auraient pas vu le jour. Par exemple la relative banalité de l’univers amical et artistique dont le couple raffole ne risquera jamais de porter atteinte au culte de cette solitude à deux. Celle-ci demeure intangible, telle une sorte de roc, quel que soit l’environnement. Pas de risque de contagion puisque le commun n’est pas son genre.
Par exemple la péripétie avortée dans la station de ski de La Mongie, en pleine crise des gilets jaunes ; comment aurait-elle pu être conçue si l’intuition républicaine n’avait pas été dominée par le caractère impérieux d’une obligation sentimentale d’un tout autre registre ?
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Mais aussi la révolte de ces gilets jaunes tournant si rapidement, si odieusement à la fureur contre un couple « royal » parce que à tort ou à raison celui-ci (et cela continue sur un monde toujours aussi éclatant mais plus paisible dans son septième ciel amoureux) non seulement ne regrette jamais l’impression qu’il donne de n’être pas concerné par le quotidien de la multitude mais semble au contraire s’en délecter: nous sommes seuls contre le reste du monde. Mais dans ce reste, il y a la France.
La terrible et éclairante effervescence des gilets jaunes était aussi porteuse de beaucoup de dépit républicain. Puisque Emmanuel et Brigitte Macron battaient froid un certain peuple négligé parce que socialement invisible, on allait attirer leur attention sur lui. Bien au-delà du dissentiment politique, cette singularité que je juge détestable, car induisant inévitablement, à partir d’elle, un narcissisme présidentiel et dramatiquement solitaire, est la raison principale de ma déception. Comme si nous étions des laissés-pour-compte.
Conscience un peu condescendante d’être uniques
C’est à cause de cela que le président n’a jamais su ni voulu rassembler. Le seul rassemblement qui ait du sens, qui justifie sa vie, qui vaut la peine d’être porté à son comble chaque jour est celui qu’avec son épouse il crée, et tant pis pour les pisse-froid qui jugent une telle sentimentalité excessive et pour tout dire, aussi élégante qu’elle veuille apparaître, un peu vulgaire.
On pourrait me rétorquer que mon billet aurait pu concerner tous les couples présidentiels mais la réplique est trop aisée. Je n’évoque même pas les bruits de divorce, les multiples mariages, liaisons, infidélités, inconstances et virilités surjouées qui, à partir de Georges Pompidou, n’ont jamais pu inspirer aux citoyens la moindre jalousie. Ils avaient pu être de médiocres ou de bons présidents mais jamais aucun d’eux ne nous avait donné l’impression de nous oublier parce qu’il était trop heureux et que son couple pesait plus que tout le reste.
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Et cette fidélité, qui est une force, vient ajouter à la conscience un peu condescendante et exagérée qu’Emmanuel et Brigitte Macron ont d’être uniques. Et le peuple passera après. Si celui-ci en est venu à se sentir abandonné par le couple Macron, si cette fusion sur tout et tout le temps lui fait mal parce qu’elle donne le sentiment de le rejeter, je ne crois pas qu’il faille lui donner totalement tort.