C’est par hasard que je me suis retrouvé dans les parages de La Madrague, proche du port de Saint-Tropez. Enfin, par hasard, pas si sûr. Quand on suit une fille blonde, aux yeux clairs, comme le chante Johnny Hallyday, ce n’est jamais par hasard. On prend un verre de rosé chez Sénéquier, on regarde le soleil tomber derrière les yachts de milliardaires, on espère voir surgir la flamboyante Brigitte Bardot.
B.B., c’était la liberté absolue
La belle blonde est là, elle vous prend la main, et votre vie n’est plus la même. On peut en arriver à écrire différemment, avec plus d’énergie. C’est ça, le miracle de l’amour. J’ai acheté ce livre sur un coup de tête. Pas envoyé par l’éditeur, non, comme ça, tout simplement, comme on décide de se jeter à l’eau, sous le soleil. Presque un titre de Sagan. Un peu de soleil dans l’eau froide. Bardot, elle m’a vraiment touché quand, malade, ne pouvant se déplacer, elle a fait déposer sur la tombe de Sagan une couronne de fleurs avec ces mots : « à ma sœur jumelle ». C’était terrible, la mort de Sagan. Une époque qui s’effondre, avec des admiratrices et admirateurs qui décident de la copier, d’écrire comme elle, et qui se plantent. Sagan, comme Brigitte Bardot, résumée par deux initiales, B.B., c’était la liberté absolue, l’intelligence vive comme le rosé de Ramatuelle, qui oxygène l’esprit, l’allure sans aucun adjectif à rajouter. Oui, l’allure.
Ce que la vieillesse sans chirurgie esthétique permet
Alors je lis son livre Larmes de combat. On est bien, la mer est calme, le soleil clément. C’est son testament. Elle est fatiguée, son corps est fripé, elle tient la mort en respect. Pas de Botox, aucun régime, un franc-parler. Des cheveux de sorcière, oui mais de Salem. On attend Delon, on guette Montand, on espère Dieu qui, on le sait, créa la femme, c’est-à-dire Bardot dans un short vichy. On redoute Gainsbourg et sa moto flamboyante. L’amour est un jeu perdant. C’est la règle.
Il faut lire ce livre-testament. En pensant, j’insiste, qu’elle a enterré sa sœur, Sagan, la fille qui disait que la mort est un scandale. Les rues de Saint-Tropez n’ont pas oublié. Quand les voitures de luxe repartent, quand l’hôtel de la Conche se souvient de son passé, trois, quatre chambres minables, et pourtant un charme fou. Alors, ce livre, il dit quoi ? Toute la question est là. Une actrice, ça pense pas, ça joue, ça suit les ordres du metteur en scène. Eh bien si, Bardot, elle pense. Et elle n’a pas peur de ce qu’elle pense. Aucune autocensure. C’est dingue ce que la vieillesse sans chirurgie esthétique permet.
Bardot, la française la plus connue dans le monde, a quitté le cinéma définitivement durant le printemps 1973. Pas de caprice, mais une décision mûrement réfléchie. L’envie d’en finir avec un univers superficiel, où tout est faux, où l’on est une bête traquée, sans cesse photographiée par des individus qui ne veulent qu’une chose : saisir l’instant où vous vous effondrerez en larmes. Bardot n’a pas offert ce spectacle digne des jeux du cirque. Elle est partie avant la mise à mort, et elle n’est jamais revenue. Toute sa vie durant, elle a choqué, elle continuera de le faire jusqu’à son dernier souffle. Bardot a modifié l’image de la femme et sa place dans le cinéma avec Et Dieu…créa la femme, film réalisé par Roger Vadim en 1956.
Qu’on foute la paix aux animaux
Vadim, enterré dans le cimetière de Saint-Tropez, sa tombe entretenue par son ex-épouse, Bardot, la fidèle en amitié. En mettant en retraite anticipée l’actrice Bardot, Brigitte est devenue la protectrice de tous les animaux maltraités, engraissés dans des conditions atroces, sacrifiés, égorgés, mutilés vivants pour permettre à l’homme d’asseoir sa suprématie, de jouir sans culpabilité et de détruire sans honte la planète. Dans ce livre, malgré le découragement qu’elle avoue, Brigitte continue de dénoncer le massacre systématisé de trois millions d’animaux tués par jour en France. Elle le fait avec ses tripes, son cœur. Le mythe Bardot, elle s’en fout. Son image, ça fait belle lurette qu’elle ne la regarde plus. De toute façon, elle ne s’est jamais vraiment aimée. Elle veut qu’on respecte les animaux, elle veut qu’on cesse de les empoisonner, car les empoisonner, c’est intoxiquer l’homme. Un jour, avec sa diction inimitable, elle a balancé : « J’ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes et maintenant je donne ma sagesse et mon expérience aux animaux. » Ainsi est née la Fondation Brigitte Bardot.
Brigitte a épousé Bernard d’Ormale, un ami des Le Pen. Elle a été sensible aux thèses du FN. On l’a traitée de facho, comme on l’a traitée de salope, de pute, de mauvaise actrice. Elle regarde tout ça avec un détachement certain. À propos de la politique, elle lâche : « Si jamais un communiste prenait position contre une cause qui me tient à cœur, comme l’hippophagie, je courrais à sa rencontre pour le remercier. » Toujours le même but : qu’on foute la paix aux animaux.
Un mythe reste avant tout un monstre
Brigitte revient sur la naissance de son fils, Nicolas. Dans ses Mémoires, elle avait écrit qu’elle aurait préféré « accoucher d’un chiot plutôt que d’un humain. » Scandale ! Ici, elle s’explique. Elle était traquée par les journalistes, une nouvelle fois, et a dû accoucher chez elle. « Ce fut un choc, précise Bardot, une blessure, une déchirure, je n’étais plus moi-même, je ne m’appartenais plus. » Elle ajoute : « Il ne faut jamais forcer une femme à faire un enfant. » Puis dans un ultime aveu, elle conclut : « Ce moment où la bête inquiétée que j’étais alors se tordait de douleur, sur le lit de sa délivrance, a beaucoup abîmé de choses dans ma vie. » L’instinct maternel ne se décrète pas, il s’apprend.
Un mythe reste avant tout un monstre. Au sens étymologique, celui qu’on montre, qu’on exhibe. Il ne faut pas le juger. Il peut rejeter ses enfants, les déshériter, ou, dans ses rêves les plus impudiques, faire l’amour avec sa mère.
Bardot évoque également Samy Frey, Gainsbourg, Jean-Louis (Trintignant). Elle confesse : « La ferveur contrôle ma vie et en premier lieu les sentiments. L’amour en tant que tel ne vaut rien s’il n’est pas passion. »
C’est la tombée des ombres sur le port de Saint-Tropez. Mon verre est vide, et la lecture achevée. Le portail bleu de La Madrague doit être fermé. La brise marine apporte la fraîcheur tant désirée l’été. Mais nous ne sommes pas en été. Sur le mur blanc d’une maison jadis de pêcheur, Piccoli allongé sur le lit, en T-shirt, et Bardot, nue. D’une voix trainante, elle demande, chatte fragile : « Qu’est-ce que tu préfères : mes seins ou la pointe de mes seins ? » Inoubliable B.B.
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