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Quels citoyens voulons-nous former? (1/3)


Quels citoyens voulons-nous former? (1/3)
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Je suis un peu confus de proposer aux passants de ces chroniques un pensum si indigeste, mais après tout, si je ne m’y colle pas, qui le fera ?

J’ai donc rédigé un programme complet pour sauver l’Ecole de la République. Depuis le temps que je critique ce qui s’y fait, autant que j’essaie de faire des propositions constructives.

À l’origine, ce qui suit avait été rédigé pour Debout la France, Mais bon, si j’attends que ça bouge, là-haut…

Bonne lecture — et n’hésitez pas à critiquer vertement tout ce qui suit : je l’amenderai en ligne au fur et à mesure des propositions.

Un projet pour l’Ecole

 

Introduction

Un projet pédagogique n’a aucun sens s’il n’est pas d’abord un projet politique : quels citoyens voulons-nous former ? Et pour quelles fins ?

Les réformes qui se sont succédé depuis vingt ans n’avaient qu’un objectif, parfaitement clair : adapter la formation au marché de l’emploi tel que les institutions européennes le prévoyaient. En clair, sous les incantations « Elever le niveau général », « Amener 80% des élèves au baccalauréat » ou « Tous licenciés ! », il fallait lire l’ambition restreinte de produire 10% de cadres, et 90% d’une main d’œuvre malléable et destinée à courir de CDD en CDD.

Pour mémoire, rappelons qu’aujourd’hui le secteur le plus créateur d’emplois est celui des services sans qualification particulière — aides ménagères, accompagnateurs de personnes âgées, techniciens de surface et de manutention, etc. C’est cet état de fait que l’Europe a camouflé sous une phraséologie démagogique. D’où la grande idée européenne telle qu’elle a été formulée dès le protocole de Lisbonne en 2000 : unifier les politiques éducatives sous la bannière des « compétences », de façon à éliminer des « savoirs » trop pointus et parfois trop nationaux pour s’accorder aux nécessités du marché. C’est cette orientation particulièrement néfaste qu’il faut d’abord changer.

Le second mantra des politiques, depuis quarante ans, est de réduire la fracture sociale et de proposer une école plus égalitaire. Pour cela, on a eu recours à une idéologie égalitariste, dont les résultats, apparemment paradoxaux mais prévisibles, ont été un renforcement des inégalités sociales. Les classes populaires (petits paysans, ouvriers, employés) représentaient 20% des élèves des grandes écoles à l’époque (1965) où Bourdieu et Passeron regrettaient la main-mise des « héritiers » sur le système, parlant de « reproduction ». Aujourd’hui, après quarante ans de lutte contre les inégalités, on en est à 9% en moyenne. Le résultat n’est pas décevant : il correspond au fond à ce que souhaitaient les élites au pouvoir. Bien sûr, il n’est pas satisfaisant.

Les 10% d’élites nécessaires seront actuellement recrutés parmi les enfants de l’élite — c’est plus simple. Depuis que la « démocratisation » de l’Ecole a été décidée (sous Giscard d’Estaing principalement, avec la réforme du « collège unique » en 1975), depuis qu’elle a été renforcée par la création des ZEP, la réforme des examens — du bac en particulier en 1999 — et les réformes a minima du lycée (2010) puis du collège (2016), depuis donc que l’on s’occupe prioritairement des déshérités, jamais les héritiers n’ont été si nombreux dans les formations hautement qualifiantes, classes préparatoires, grandes écoles, et autres cursus d’excellence. La « démocratisation », sous couvert d’égalitarisme, a renforcé jusqu’à la caricature les inégalités que dénonçaient avec raison les sociologues dès les années 1960.

C’est ce mouvement continu vers une école à deux vitesses — l’une pour les pauvres, l’autre pour les riches — qu’il nous faut inverser. Les responsabilités de la gauche et de la droite dans ce mouvement régulier vers une pérennisation des statuts sociaux, au détriment des talents véritables, sont d’ailleurs partagées, et correspondent à l’inféodation de la gauche et de la droite à des principes extra-nationaux.

Notre projet vise à amener chaque élève au plus haut de ses capacités, indépendamment de ses origines sociales. Pour cela, il faut cesser de se voiler la face et le dire nettement : si l’on veut que les élèves, culturellement défavorisés ou non, s’élèvent au plus haut de leurs capacités, il faut dissocier l’offre de formation, en offrant plus à ceux qui ont moins, tout en poussant au maximum ceux qui peuvent davantage.

La troisième tendance lourde a été de régionaliser et autonomiser le plus possible les établissements. Pratiquement, cela revient à abandonner la maîtrise des collèges et des lycées à des groupes de pression porteurs de pédagogies hasardeuses. Il faut que l’Etat donne des lignes directrices claires et constantes, et que ses représentants locaux veillent à l’unicité de l’offre d’enseignement.

Enfin, les directives pédagogiques ont visé à alléger au possible les contenus des programmes et le travail des élèves, ce qui a accru les inégalités sociales entre ceux qui arrivaient avec en eux du contenu hérité et ceux qui arrivaient les mains vides. Il faut réhabiliter la valeur Travail, quitte à en demander davantage à ceux qui ont moins de facilités au départ. Il faut les aider au maximum à aller au bout de leurs capacités.

Le maître-mot de ce projet, au niveau pédagogique, est donc la remédiation : l’établissement de passerelles et de cursus temporaires pour aider et propulser les élèves les moins réceptifs. L’Assistance Personnalisée que promet aujourd’hui le ministère n’assiste en rien, et n’est pas davantage personnalisée, puisqu’elle concerne de très larges groupes, parfois toute la classe.

C’est là toute la philosophie de ce projet. C’est paradoxalement en instituant une école proposant et imposant une vraie rigueur, dans la discipline comme dans la transmission des savoirs, que nous parviendrons à laisser s’exprimer les talents en donnant à chacun toutes ses chances.

Réforme des programmes

Pour cela, il est essentiel de revenir sur l’idéologie des « compétences » et de favoriser la transmission des savoirs, étant entendu que jamais une compétence ne donne de savoirs réels, mais que des savoirs bien assimilés se transforment toujours en compétences.

De nouveaux programmes seront définis, après consultation non des experts mais des praticiens. Il est inconcevable, mais significatif, que des programmes soient énoncés sans qu’aucun enseignant des niveaux concernés ne soit présent dans les instances supérieures de décision.

Ces praticiens sont à chercher — il en est qui sont incontournables, d’autres qui réussissent sans publicité. C’est à eux qu’il faut demander quelles sont les bonnes pratiques, et les exigences raisonnables : on s’apercevra souvent que des exigences élevées sont en fait très raisonnables, pourvu que les méthodes le soient. Il faut par exemple que tous les enfants sachent lire, écrire et maîtriser les formes simples des quatre opérations de base à la fin du CP. L’expérience des maîtres les plus efficaces montre que ce n’est pas là une ambition démesurée.

Les syndicats d’enseignants ont toute leur place dans la discussion des modalités de carrière. Ils ont une légitimité réduite dans les discussions pédagogiques, tant qu’ils subordonnent la pédagogie aux avantages circonstanciels de leurs membres. Il s’agit d’élever le niveau scolaire de la France, pas de discuter du point d’indice — une discussion nécessaire, et qui comme nous le verrons pourrait aller bien au-delà des revendications syndicales, mais qui ne concerne pas directement la pédagogie.

Ces nouveaux programmes seront définis en termes de savoirs, et non de compétences. Les parents savent ce que signifie la maîtrise de l’orthographe (essentielle dans une société où l’on écrit chaque jour de plus en plus), ils ont plus de mal à comprendre ce que signifie « s’exprimer » ou « construire une argumentation ». Le « tout oral » des programmes actuels doit être remplacé par un équilibre entre oral et écrit — étant entendu que les parents comprendront bien mieux les annotations portées sur une copie que l’appréciation vague d’une capacité orale… — sinon la récitation des textes fondamentaux de la poésie française. Parce que le français s’apprend aussi par l’exemple, et qu’il vaut mieux dès le départ mettre sous les yeux des enfants, et dans leur mémoire, de bons exemples.

La logique « curriculaire » mise à l’œuvre ces dernières années doit être abandonnée. On lui substituera une logique annuelle, avec des objectifs clairs qui permettront de repérer précocement les difficultés, sans compter sur les collègues des années suivantes pour les résoudre. Une insuffisance en lecture repérée en CP peut être traitée par remédiation en tout petits groupes. Colportée sur les années suivantes, elle devient une haie infranchissable et amène à l’échec global.
Ainsi en est-il par exemple des méthodes de lecture. Sans vouloir imposer telle ou telle méthode à des enseignants rétifs, il faut se donner pour objectif la maîtrise de la lecture/écriture à six ans, et toute méthode qui y parviendra sera bonne — étant entendu que toutes les recherches ont prouvé que la méthode alpha-syllabique était la plus efficace, particulièrement auprès des populations loin de la culture, contrairement à ce qui a été prêché durant des années. Mais d’excellents maîtres peuvent varier les approches — peu importe, si les résultats sont là.

L’essentiel, à tous les niveaux, est qu’à la question « Qu’as-tu appris à l’école aujourd’hui ? », chaque enfant, chaque adolescent puisse apporter, chaque soir, une réponse précise et circonstanciée.

Parents d’élèves

Les parents ont toute leur place à l’école en ce qu’ils sont chargés d’éduquer leurs enfants et de veiller à leur comportement. Ils n’ont pas de droit de regard sur les enseignements ou les modalités de contrôle des connaissances — pas plus qu’ils n’en ont à l’hôpital sur les soins. Ils sont responsables de l’attitude de leurs enfants, de leur présence effective, et des mesures sérieuses, qui peuvent aller jusqu’à la suspension des prestations familiales, doivent être prises dès qu’ils tolèrent des absences trop nombreuses ou un comportement inadmissible. C’est à eux de responsabiliser leurs enfants.

Au primaire, priorité à la langue française

Le premier facteur, dont découlent tous les autres, est la maîtrise de la langue. Non seulement parce que le français est notre langue, la clé de notre culture, mais parce que sans maîtrise de la langue, on ne maîtrise rien. Les errements en sciences viennent trop souvent d’une incapacité à bien déchiffrer les problèmes. Etre français s’apprend par le français. Et ce qui s’énonce bien finit par se concevoir clairement.

Ce qui implique l’arrêt immédiat de l’ELCO (Enseignement des Langues et Cultures d’Origine). Inventé en 1974 quand on s’imaginait que les immigrés avaient vocation à rentrer « chez eux », le système produit actuellement du communautarisme dès le plus jeune âge, comme l’a récemment prouvé la décision d’élargir cette offre à tous les enfants. On s’intègre par le français, pas par l’arabe ou le turc. Cela amènera le renvoi immédiat dans leurs pays d’origine des enseignants « prêtés » par les pays avec lesquels la France a des conventions (Algérie, Turquie, Portugal, Serbie), qui sont trop souvent des propagateurs de codes culturels et religieux peu compatibles avec la République laïque qui est la nôtre.

Du seul point de vue de la maîtrise de la langue, les inégalités de départ sont flagrantes. Un élève issu d’un milieu culturellement favorisé arrive en classe avec un bagage linguistique (vocabulaire, correction de l’expression et références) bien plus considérable qu’un enfant issu d’un milieu dont le français classique n’est pas le vecteur principal.

Plutôt que d’abaisser le seuil général d’exigences, ce qui ne fait aucun bien aux déshérités et gâche les talents de tous sans profiter à aucun, il faut dissocier dès le départ, après une phase nécessaire de repérage, les enfants de maternelle en fonction de leur bagage culturel et linguistique. Et imposer des apprentissages supplémentaires à ceux qui en ont besoin. L’Ecole n’a pas vocation à se substituer aux parents en matière d’éducation. Mais elle doit les compléter au niveau de l’instruction.

À ce titre, l’idée de démocratisation qui a servi de caution au « collège unique » a abouti à l’inverse de ce que l’on était en droit d’attendre. Si l’on ne donne pas plus à ceux qui ont moins, il n’y a aucune chance qu’ils aient un jour autant. Les programmes de Maternelle et de Primaire doivent donc avant tout se soucier de faire progresser tous les enfants, mais en tenant compte qu’ils n’arrivent pas en classe avec les mêmes capacités.

L’idée-phare de ce projet global est la remédiation : dès qu’un manque ou une insuffisance sont repérés, il faut dissocier l’enfant du groupe, au moins pour quelques heures par semaine, pour lui donner une vraie chance de rejoindre ceux de ses camarades qui ont moins de mal.

La semaine de quatre jours, au primaire, doit être repensée en fonction de ce projet. Plutôt que d’offrir deux heures de récréation pompeusement baptisées « réforme des rythmes scolaires », il faut utiliser une demi-journée entière du mercredi ou du samedi à remettre en selle, dans telle ou telle matière où des manques auront été constatés, les élèves en perdition. Les vacances scolaires même pourront être utilisées, avec des enseignants volontaires, à remettre en selle les enfants déboussolés, afin d’éviter qu’ils se transforment en enfants perdus. On aura à cœur de proposer ces formations parallèles de remédiation à des maîtres spécialisés, payés en conséquence.

Il est à noter qu’une telle disposition devrait éviter les redoublements, dont il est acquis qu’ils sont, en primaire, le plus souvent contre-productifs et enlisent l’enfant qui en est le bénéficiaire ou la victime dans une spirale d’échec.

Au français, élément fondateur de l’instruction, seront consacrés 50% du temps de classe. Il s’agit d’enseigner non pas à « s’exprimer », mais à bien s’exprimer. Pour cela, l’apprentissage systématique de la grammaire, c’est-à-dire de l’ordre essentiel de la phrase, est fondamental. Et l’acquisition d’un vocabulaire varié est un outil prioritaire. La connaissance, dès le primaire, de textes classiques, la répétition, le par-cœur, sont des outils nécessaires.

À noter que dans les autres disciplines, on n’obtient rien sans travail soutenu ni patiente répétition. On n’a pas à compter sur les services illusoires des machines pour pallier les carences que l’on aurait laissé subsister. L’informatique est un outil qui suppose de vraies compétences, mais qui ne les génère pas. Son utilisation doit être réservée pratiquement à l’enseignement supérieur.

>>> Lire ici le deuxième volet de ce texte.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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