Nous pensions notre chroniqueur perdu quelque part dans les solitudes dépeuplées de la Creuse. Et voici que nous arrive, inspiré justement par un monument aux morts creusois, un texte absolument pacifiste, alors même que notre président — sur lui toutes les bénédictions du Prophète — prépare depuis trois mois un affrontement contre l’ours russe, et propose d’offrir l’arme nucléaire à l’Allemagne, fervent supporter de l’Ukraine comme elle a jadis été celle de la Croatie et de la Bosnie contre nos amis serbes. Mais quelle mouche l’a piqué ?
Je suis parti me mettre au vert, loin des villes tentaculaires. La Creuse, que je connaissais mal, m’a paru propre à ce dessein. Pensez, 3 habitants au km2 ! Des lacs, des forêts, des tourbières, et par chance, un grand soleil…
Je me suis donc installé dans le village de Royère-de-Vassivière, 572 habitants. Puis par curiosité touristique et passion photographique, j’ai un peu tourné autour…
À quelques kilomètres s’élève le village de Gentioux — 371 habitants, et un monument aux morts très célèbre. Et rare : les monuments qui crachent sur la guerre sont au nombre de trois, selon la spécialiste Annette Becker : Gentioux, Equeurdreville, Saint-Martin-d’Estréaux. Tous trois ont le même slogan : Maudite soit la guerre !
Celui de Gentioux, avec cet enfant tendant le poing vers la stèle supposée glorieuse, est le plus spectaculaire. Mais celui d’Equerdeville, avec l’inscription « Si vis pacem, para pacem », n’est pas mal non plus. Si tu veux la paix, par exemple, n’impose pas des sanctions idiotes à la Russie, demain à la Chine, tout en te faisant tondre par l’Oncle Sam. On ne fait la paix qu’en parlant aux ennemis.
En ce moment, à l’Elysée comme à Bruxelles ou Berlin, on en est revenu à la vieille maxime de Végèce (écrivain romain des IVe-Ve siècles, il écrivait au cœur des invasions barbares), « si vis pacem para bellum ». On ne parle pas à Poutine (pas même à Trump, d’ailleurs), on blablate entre soi.
(Je laisse le lecteur apprécier l’ironie des manufacturiers qui ont baptisé « Parabellum » la cartouche 9 x 19mm, et appelé « Peacemaker » (le Pacificateur) le colt Single Action Army (1872), celui des westerns de notre enfance, hymnes à la paix et à l’amour du prochain comme chacun sait.
Pour que la machine de guerre soit performante et bien tueuse, il faut que les industriels se mobilisent, et que des politiques leur fournissent les subsides nécessaires à faire repartir les usines, laissées en friche depuis quelques décennies, selon la vision très intelligente des eurocrates qui nous gouvernent. Et ces subsides, mes amis, c’est dans nos poches qu’ils iront les chercher. Le Covid n’ayant pas effrayé grand-monde, essayons Poutine.
La conjonction de ces réflexions optimistes et des monuments aux morts creusois (le département est de ceux qui ont payé le tribut le plus lourd en 14-18, avec 20% des mobilisés perdus dans les tranchées et le no man’s land) m’a rappelé le discours d’adieu prononcé le 17 janvier 1961 par le président sortant, Eisenhower :
« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. »
C’est le cœur du problème. De façon significative, c’est le générique de départ du film d’Oliver Stone, JFK, sorti trente ans plus tard. La collusion des généraux amateurs de médailles, de planqués à l’arrière, d’industriels à qui la paix ne rapporte plus assez, et qui essaient la guerre, et de petits génies qui se disent qu’un conflit même limité suspendrait la tenue d’élections en 2027.
Des technocrates, bien planqués dans leurs bunkers et dans leurs pantoufles, des hommes (et quelques femmes) qui ne feront jamais la guerre, propagent des rumeurs de IIIème conflit mondial. Ils insinuent qu’il serait bon de consacrer une part significative du budget au réarmement — quitte à piocher dans le bas de laine des Français.
Pas dans les super-bénéfices des banques. Pas dans celui des grandes compagnies. Pas dans les poches des boursiers. Non : dans les chaussettes trouées de ceux qui, il y a cinq ans, ont enfilé des gilets jaunes parce qu’ils avaient le pain quotidien de plus en plus hebdomadaire. Il faut domestiquer le peuple, quitte à le sacrifier. Faisons-lui peur une nouvelle fois. L’ours russe après le virus chinois.
D’autant plus de raisons de saluer les pacifistes qui ont édifié ces monuments de rage et de raison. Le maire de Gentioux, Jules Coutaux, était un jaurésien de la première heure, mobilisé lui-même, gazé et survivant : enfin un politique qui savait de quoi il causait ! Le monument a été longtemps exclu des cérémonies militaires : il a fallu attendre 1985 pour qu’un préfet qui passait là pour inaugurer la gendarmerie vienne saluer les morts.
À Royère-de-Vassivière, un nom manquait sur le monument (qui porte l’inscription fort rare mais pleine de sens, « morts pour la civilisation »), celui de Félix Baudy, fusillé pour l’exemple en 1914 et réhabilité en 1934. Une plaque célèbre sa mémoire dans le cimetière proche — et elle propose que « maudite soit la guerre ».
À Gentioux, quand j’y suis passé, le drapeau du Hamas était accroché à une fenêtre, presque en face du monument aux morts, qui avait été tagué des prénoms des « petits anges » tués par la police française, puis recouvert du même drapeau d’assassins. La référence à la « civilisation » que défendirent les Poilus prend alors tout son sens — et toute son actualité. En 1914, on appelait les Prussiens les « Huns ». En 2025, je vous laisse le soin de nommer les barbares qui veulent anéantir nos cités.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !