Notre illustre chroniqueur, Jean-Paul Brighelli, publie aujourd’hui la suite de La Fabrique du Crétin, son best-seller vendu à 150 000 exemplaires. L’école de la transmission des savoirs et de la formation du citoyen français n’en finit plus de mourir. Et 15 ans après le premier avertissement, la situation est encore pire.
C’est l’histoire d’un homme qui a passé quarante-cinq ans dans l’Éducation nationale et qui est en colère. En colère non pas contre son métier, ni contre ses élèves. En colère contre l’effondrement du niveau, contre la confrérie des « pédagos », contre les politiques complices qui depuis près d’un demi-siècle, enfoncent notre système scolaire dans le marécage de l’ignorance.
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Dès les années 1960, le terrain est préparé. Farouche adversaire de la souveraineté nationale, père de l’Union Européenne, Jean Monnet tient à faire « réécrire les programmes d’histoire, de façon à les débarrasser de tout ce qui ressemblerait à une exaltation patriotique », rappelle Brighelli. Mais c’est le 11 juillet 1975, sous la présidence de Giscard, que l’effondrement est vraiment lancé, avec la création du « collège unique ». « Une réponse à la demande du patronat et un instrument de sujétion sociale », écrira le philosophe Jacques Derrida.
Les effectifs des classes ne changeant pas, eux, l’alignement du niveau des élèves se fait par le bas. C’est très triste mais c’est comme ça. Ajoutons à cela le regroupement familial. Les futures cohortes d’ « esclaves taillables et corvéables à merci », comme les appelle Brighelli, attendent patiemment leur heure dans le ventre de leur mère. Aujourd’hui, les enfants et petits enfants de ces derniers s’abreuvent de smartphone et de jeux vidéos, utilisent la calculatrice pour faire leurs courses et n’ouvrent jamais un livre. Une cible de premier choix pour grossir le peloton des pédaleurs de Uber Eats.
La transmission appartient au passé
« Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine », écrivait Montaigne. Certes, encore faut-il que cette tête ne soit pas vide. Dès l’adoption du collège unique, les « pédagogistes », comme dit Brighelli, sortent de leurs tanières et s’attellent à briser la transmission verticale du savoir au profit de l’horizontalité. En juillet 1989, Lionel Jospin sacralise la parole de l’élève dans une loi, au nom de la liberté d’expression. Tandis que l’enseignant est rabaissé, mal payé et méprisé (ou bien pire), l’enfant devient un enfant roi. Or, « un roi, ça ne travaille pas », rappelle Brighelli.
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À chaque gouvernement sa réforme. La vitesse du train s’accélère, le précipice approche. En mai 1999, Ségolène Royal, alors ministre délégué chargé de l’Enseignement scolaire (ne riez pas) lance les premières « heures de vie de classe » et autres « emplâtres sur la jambe de bois du collège unique ». 2005. Cette fois c’est François Fillon, « qui ne connaissait strictement rien à l’école » souligne Brighelli, qui met en place le fameux socle de compétences au collège. Fini les notes, place aux couleurs ! « Savoir apprendre », « savoir faire », « savoir être » etc. Pour chacune de ces « compétences », les enseignants sont priés de mettre une croix dans la colonne « acquis » ou dans la colonne « en cours d’acquisition ». Les plus téméraires, au risque de passer pour des kapos auprès des parents d’élèves ou d’être mal vus par leur direction, peuvent s’aventurer à cocher la colonne « non acquis ».
Le fait que le terme de « compétence » se substitue à celui de « connaissance » est d’ailleurs un symbole fort. Dès 2015, la novlangue s’immisce dans le corps de l’Éducation nationale avant de pénétrer ses esprits : ne dites plus « dissertation », dites « expression écrite », ne dites plus « parler » ou « écrire » mais « produire des messages à l’oral et à l’écrit », ne dites plus « apprendre une langue » mais « aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs ». Ne dites plus « nager » mais « se déplacer de façon autonome, plus longtemps, plus vite, dans un milieu aquatique profond standardisé » etc.
Le naufrage Vallaud-Belkacem
En 2016, Najat Vallaud-Belkacem parachève ce grand bond en avant avec sa réforme du collège. Sous couvert d’œuvrer à la démocratisation du système scolaire, quarante ans de collège unique et de réformes n’ont fait qu’exalter les inégalités sociales, déplore Brighelli. Alors que faire ? Notre enseignant préconise, cela ne vous surprendra pas, le retour aux bonnes vieilles méthodes. Le par cœur. Apprendre des fables de La Fontaine par cœur, apprendre des passages du Cid par cœur, apprendre les tables de multiplication par cœur (pour ma part, si je suis reconnaissant envers ma professeur de quatrième de m’avoir fait réciter une partie de la tirade de Don Rodrigue à Don Fernand, le martèlement des tables de multiplications n’a jamais pris avec moi).
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En histoire, donner un nouveau souffle aux héros. Brighelli rend d’ailleurs grâce à François Bayrou d’avoir, quand celui-ci était ministre de l’Education, mis à l’honneur « vingt-deux figures historiques » parmi lesquelles Jules César, Clovis, Charlemagne, Christophe Colomb, Léonard de Vinci, Colbert ou encore, Napoléon. À force de céder aux sensibilités de chacun – certains déboulonnent Colomb, d’autres Colbert -, chaque région ou communauté refera sa propre liste, alerte Brighelli. C’est d’ailleurs déjà le cas : « privés de transcendance, les jeunes gens se sont réfugiés là où ils en trouvaient encore une. Plus de héros ici -alors on y importe Mahomet, qui fut un chef de guerre impitoyable, un tueur sans pitié ». On ne saurait dire mieux.
De la pénétration de l’islam dans les jeunes têtes et dans les salles de classe, il est aussi question. Mais pour cela, le mieux reste de le lire. Résolument sincère, sans langue de bois aucune, Brighelli distille un peu d’humour çà et là, au détour d’une fin de phrase ou d’une parenthèse mais c’est tout. Quand il vous arrachera un petit éclat de rire, parfois, c’est pour vous faire mieux supporter le désastre qu’il décrit dans ce second volet. Parce qu’il est très bien placé pour savoir à quel point la transmission du savoir est une affaire trop sérieuse pour être évoquée avec légèreté ? Possible. Avant d’être l’érudit Brighelli, Brighelli fut un petit Corse fils de policier et d’une secrétaire, ne l’oublions pas. On ne reste pas enseignant pendant plus de quarante ans par hasard. Quand Brighelli dit qu’enseigner est ce qui lui importe le plus dans la vie, ça peut sembler un peu étrange mais c’est vrai. Avant de vous plonger dans le second volet de La fabrique du crétin, lisez donc cet extrait, cette confession à destination de ses élèves : « Regarder les rails, dans une banlieue sinistre, avec concupiscence – et ne pas sauter parce qu’on a rendez-vous avec trente ou trente-cinq garnements qui ne maîtrisent pas encore l’accord du participe passé avec le COD antéposé : excellente raison de survivre. Au fond, c’est moi qui vous suis redevable ». Nous aussi, nous sommes redevables à Brighelli de ne pas avoir sauté.
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