Notre chroniqueur a décidé de mouiller la chemise et d’offrir aux divers postulants le texte de leur futur discours, susceptible d’emporter l’adhésion du plus grand nombre. « Et je voterai pour celui qui le prononcera, littéralement ou en substance », nous dit-il. « Et pour nul autre. »
Je ne me lancerai certainement pas dans l’énumération inutile de tous les domaines dont je compte m’occuper prioritairement — parce qu’il n’y a que des priorités. Ni de tous ceux dont le sort me préoccupe au premier chef — parce qu’il n’en est pas dont je me désintéresse. Je vois mes concurrents distiller de vagues promesses que les jeunes, les femmes, les handicapés, les retraités, saisissent au vol — et chacun de partir jalousement avec ses lambeaux de phrase. Ce n’est pas de la politique, c’est de l’alimentation de volailles.
Je vous parlerai de la France.
Notre pays est un grand cadavre à la renverse. Dépecée au gré des intérêts d’un libéralisme mondialisé et sans âme, la nation qui fut naguère l’un des phares de l’humanité est aujourd’hui réduite au rôle de camp de vacances pour les populations laborieuses et méprisantes du nord de l’Europe. Terrain de jeu pour Allemands, est-ce encore un destin ?
Ravalée très loin dans les classements internationaux, la France fait sourire nos anciens amis et rire nos nouveaux ennemis. Nous n’existons plus qu’entre la condescendance des uns et la goguenardise des autres. On montre du doigt, en se gaussant, notre système éducatif impuissant à produire autre chose que des sous-doués, notre culture réduite à éditer Virginie Despentes ou Edouard Louis, nos revendications syndicales qui confondent systématiquement le toujours plus et le beaucoup mieux. Nous avions la première école au monde, nous voici à la traîne, loin des tigres asiatiques ; nous étions un phare culturel, nous en sommes réduits à balbutier notre langue et à nous excuser d’exister ; nous avions des chercheurs remarquables, et la France de Pasteur n’a pas été fichue de trouver un vaccin à la première épidémie venue.
Sans doute l’argent n’est-il pas allé là où il fallait…
Nous ne nous sommes pas suicidés, n’en déplaise à certains : nous nous sommes vendus. Ce qui frémit encore dans ce pays bien-aimé, c’est notre conscience d’esclaves, qui se rappelle encore un peu la liberté.
De ce frémissement je veux faire un espoir.
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Aujourd’hui, la France est morte. Je vous propose de la ressusciter. Ce n’est pas de réformes ni de révolution que nous avons besoin, c’est d’une renaissance. Si nous avons aujourd’hui une ambition, c’est d’entrer dans la dimension des miracles. Lève-toi, Lazare ! Lève-toi et marche !
Oh, ça ne se fera pas en un instant, ni en un jour — ni même en cinq ans. Ça ne se fera pas en regardant dans le rétroviseur. La connaissance du passé, le respect de nos ancêtres, n’ont de sens que s’ils nous fournissent les matériaux de notre propre reconquête. Inutile de pleurer sur notre grandeur passée, ni sur les blouses que portaient jadis les élèves. Il faut changer de méthode — et mon discours n’a d’autre objet.
Nous sommes des jacobins au petit pied, des bonapartistes d’opérette qui avons élu Napoléon IV, parodie d’une caricature dénoncée jadis par Hugo ou par Marx. Mais nous sommes aussi des girondins honteux, qui avons laissé prospérer dans nos régions des caciques gonflés de leur importance, habiles à reconstituer dans leur basse-cour les fastes élyséens : tout pour l’image, et aucun fond.
Il faut passer par-dessus la tête de ces petits coqs du village global qui s’époumonent pour exister. Passer par-dessus la tête des administrations centrales qui gèrent nos biens au mieux des intérêts des autres. Dénoncer ceux de nos partenaires européens qui se sont appuyés sur nous pour se redresser — et qui désormais nous passent par-dessus la tête pour aller quêter une improbable alliance outre-Atlantique. Comme si les États-Unis se souciaient en quelque façon de l’Europe, sinon pour légiférer dans nos entreprises au nom du dieu Dollar, et vendre leurs armements en regardant de loin les conflits qu’ils allument sur notre sol. Et pourquoi pas, dénoncer cette Europe qui n’est plus un concert des nations, mais un patchwork d’appétits concurrents. Il ne s’agit pas de nous draper dans un superbe isolationnisme. Il s’agit de mettre le feu à Bruxelles, où tant d’administratifs et de lobbyistes œuvrent au mieux des intérêts des autres. Toujours les autres, jamais pour nous.
La France est petite, comparée aux empires qui nous regardent. Mais la grandeur ne se mesure pas en kilomètres carrés. Elle se mesure à la créativité, à l’influence, au dynamisme dont une nation est capable. Elle se mesurera à notre capacité à retenir sur notre sol les jeunes gens les plus doués, qui aujourd’hui s’exilent dans des pays plus attractifs que le nôtre. Pas même par intérêt, mais par désespérance. Nous avons déçu l’espoir de nos enfants, en dilapidant l’héritage de nos parents.
Nous voyons filer nos élites, remplacées par des malheureux sous-qualifiés en quête de protection sociale. L’immigration a longtemps été une chance pour la France : qui parmi nous n’a aucun ancêtre venu jadis en France, attiré par la lumière ? Elle est désormais un fardeau, ce ne sont plus les Lumières qui nous illustrent, c’est notre incurable naïveté. La générosité fonctionne désormais à sens unique : l’étranger qui vient a des droits, et on ne lui impose aucun devoir. Du coup, il se croit libre d’apporter avec lui sa part d’ombre — et même sa part de nuit.
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Fini ! Faire renaître la France, c’est rallumer l’ambition, le travail, le mérite. C’est reconstruire ici les usines que nous avons imprudemment délocalisées ailleurs — et former les hommes qui y travailleront. C’est imaginer un système éducatif qui permette à chacun d’aller au plus haut de ses capacités. Et pas seulement à quelques privilégiés, qui se sont tout juste donné la peine de naître et d’habiter les beaux arrondissements, et se croient les légitimes héritiers des oligarques qui nous gouvernent. Ou plutôt, qui font semblant de gouverner, alors qu’ils se contentent d’obéir aux consignes que leur donnent leurs maîtres étrangers. Nous en sommes là : nos chefs d’État sont depuis des années les petits commissionnaires de leurs maîtres.
Le véritable danger, ce ne sont pas quelques milliers de malheureux qui ont tout quitté pour venir chez nous, et que nous intègrerons dès que nous aurons décrété la tolérance zéro. Ce sont les tyrans camouflés derrière les logos de compagnies et de banques avides, installées ailleurs, mais qui prétendent régenter notre cher vieux pays. Nous avons été pillés ? Faisons rendre gorge à ceux qui nous exploitent, débarrassons-nous de ceux qui nous piétinent. Nous avons des dettes ? Eh bien, ma dette, Monsieur du FMI, mets-la dans ta poche, et ton mouchoir par-dessus !
Je ne viens pas vous proposer la paix, mais la guerre. La guerre aux profiteurs, la guerre aux incapables, la guerre aux idéologues qui se parent de belles vertus pour mieux contenter leurs vices. La guerre aux fainéants, aux exploiteurs de générosité, aux menteurs, aux voleurs, et aux médias complices.
Cela fait beaucoup de monde. Mais en face, il y a un peuple— et c’est bien davantage. Vous êtes là deux cents, deux mille, dix mille, et le 10 avril, vous serez des millions. Si vous le voulez, vous le pourrez.
Car à la différence de toutes les autres puissances, la force du peuple réside dans son imagination. Et lorsque monte la colère, lorsque revient l’envie de ressaisir ses avantages et de planter des têtes au bout des piques, cette imagination donne au peuple la capacité de réaliser tout ce qu’il a imaginé. Et ce peuple, il est là, devant moi, deux cents, dix mille, et des millions bientôt.
Jean-Paul Brighelli
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PS. Bien sûr, cet exercice rhétorique est un canevas, sur lequel un nègre (pardon : une plume !) officiel saura broder (hmm… Igor Mitrofanoff saurait-il le faire ?). Mais surtout, qu’il ne fasse pas trop long. Qu’il se rappelle que Mirabeau a répliqué à l’envoyé du roi en une phrase, que les bulletins de la Grande armée ne faisaient que quelques lignes, que l’appel du 18 juin comptait à peine six petits paragraphes, et que l’art du discours consiste à signifier beaucoup en disant peu. Mais nous avons tellement tendance à confondre le quantitatif et le qualitatif…
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