Le Brexit oblige les divers dirigeants des pays de l’Union européenne à une prise de conscience de la crise que connaît cette dernière. On constate que ce sont les dirigeants français qui ont le plus de mal à intégrer cette nouvelle réalité et à y faire face. La sortie du monde des illusions semble particulièrement pénible, que ce soit pour François Hollande ou pour Manuel Valls.
Pourtant, ce retour aux réalités s’impose car la question aujourd’hui posée n’est plus celle d’une « réforme » de l’UE mais de sa transformation radicale, actant par là la fin du projet fédéraliste. Tel était le sens de l’appel signé par vingt intellectuels, dont votre serviteur [1. http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/06/30/31002-20160630ARTFIG00290-brexit-vingt-intellectuels-eurocritiques-lancent-un-appel-pour-un-nouveau-traite.php]. La nécessité de maintenir entre les pays européens – tous les pays européens – des structures permettant des formes adaptées de coopération est évidente. Mais, les institutions de l’UE ne sont plus en mesure d’assurer cette fonction. En ce sens, l’UE est morte.
Cette mort de l’UE implique que l’on prenne conscience des réalités. Or, certaines d’entre elles sont particulièrement déplaisantes pour un cerveau qui fut abreuvé par la propagande européiste, comme c’est le cas pour une large partie de notre classe politique.
1) Le « couple » franco-allemand est mort. Cette mort est ancienne et il convient ici de dire que ce « couple » ne fonctionna jamais comme l’aurait voulu l’image complaisamment diffusée en France. Ce couple est entré en agonie dès que l’Allemagne a procédé à sa réunification. Les tentatives pour le maintenir se sont heurtées à cette réalité qu’une Allemagne ayant, quant à elle, recouvré sa souveraineté n’avait plus besoin d’une alliance particulière avec la France. Il est vrai que les hésitations, les palinodies, des dirigeants français, de Nicolas Sarkozy à François Hollande, ont fini par l’achever. Faute d’avoir eu le courage de parler fermement avec l’Allemagne et de la mettre devant ses responsabilités, nous devons aujourd’hui affronter une crise bien pire que si, en 2010 ou en 2011, nous avions mis les dirigeants allemands au pied du mur et dissous la zone Euro.
2) Les divergences entre Allemands et Français quant au futur de l’UE sont irréconciliables. L’Allemagne ne voit pas d’autres intérêts dans une UE renforcée que le contrôle qu’elle pourra indirectement exercer sur les choix budgétaires des pays voisins. Elle ne veut sous aucun prétexte s’engager dans la voie de plus de solidarité. La France, ou plus exactement les dirigeants français, qu’il s’agisse de François Hollande ou d’Alain Juppé, continuent de faire croire qu’une UE renforcée est possible alors que nous n’avons aucun moyen d’imposer à l’Allemagne les transferts budgétaires que cela impliquerait. Sauf, bien entendu, à envoyer une brigade blindée occuper Berlin… La seule forme d’UE renforcée admissible pour les dirigeants allemands est celle de l’extension de la politique austéritaire. Sinon, ils se replieront sur une Europe des États qui leur convient désormais fort bien[2. http://www.spiegel.de/international/europe/brexit-triggers-eu-power-struggle-between-merkel-and-juncker-a-1100852.html]. Le revirement de Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, n’a pas été réellement compris, ni même perçu[3. http://www.irishtimes.com/opinion/derek-scally-germany-signals-rethink-on-europe-post-brexit-1.2710212]. Son ralliement à l’Europe des Nations indique un changement important dans la position officielle de l’Allemagne.
3) Ces divergences ont été révélées crûment par le Brexit et la question de l’attitude à adopter vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Si le gouvernement français plaide pour un « divorce » rapide, il se heurte là au gouvernement allemand qui, tant par pragmatisme économique que par sympathie politique avec les conservateurs britanniques, entend, selon la formule, « donner du temps au temps ».
4) L’inachèvement structurel de la zone euro et de l’Union économique et monétaire a atteint désormais son point critique. La montée des mauvaises dettes dans le bilan des banques italiennes et portugaises, la crise fiscale qui s’annonce en Grèce pour la fin de l’été sont des symptômes d’une crise profonde.
Dans cette situation, il est évident que plus longtemps on restera dans l’incertitude et plus lourd sera le prix à payer.
Cette crise de l’UE aboutit à une situation où il n’y a que des mauvaises solutions pour l’ensemble des pays. Dans le bras de fer subtilement engagé par le gouvernement conservateur britannique avec l’UE, soit une position ferme est adoptée et la Grande-Bretagne pourra recourir aux diverses mesures de dumping fiscal pour faire en sorte que cette « fermeté » soit chèrement payée par l’UE, soit un compromis raisonnable est trouvé, et l’on se rendra compte que l’on peut sortir de l’UE sans connaître de catastrophes. D’ores et déjà, que ce soit aux Pays-Bas, en République tchèque et même en Italie, on peut voir monter les oppositions à l’UE. Dès lors, l’Union européenne est prise entre deux feux : soit elle cherche à minimiser le coût du Brexit et elle joue dans la main de ses opposants, soit elle cherche à « faire payer » la Grande-Bretagne, comme l’ont dit très imprudemment et très stupidement certains journalistes, mais alors elle entre dans une situation où les mesures de rétorsions britanniques lui coûteront cher, ce qui donnera d’autres arguments aux adversaires de l’UE.
La seule solution intelligente consiste à acter le décès de l’UE et, comme nous l’avons écrit, à organiser une conférence entre les pays qui voudront bien y participer pour élaborer un nouveau traité, remplaçant complètement les traités précédents, et même, en un sens, le traité de Maastricht, et mettant en place une communauté des Nations. Tel était le sens de cette initiative. Bien entendu, on peut ne pas se faire d’illusions sur cet appel. Mais, il faut savoir qu’un nouveau système de relations sera de toute manière indispensable pour les pays européens.
L’Union européenne est morte. Nous avons le choix de vivre avec son cadavre, et ses pestilences, avec tous les risques qu’une telle politique comporte, ou nous avons le choix de l’enterrer. Mais, pour cela, il faut un nouveau traité, non pas un traité de replâtrage mais un traité refondant une communauté à la place de l’Union. Tel était, et est toujours, le sens de l’appel signé. Nous ne serons réellement débarrassés de l’UE que quand son successeur sera en place. Mais, pour se mettre réellement au travail, il est clair qu’il nous faudra une autre classe politique que celle qui, dans la majorité ou dans l’opposition, existe aujourd’hui en France.
Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.
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