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Pourquoi le Brexit reste une bonne nouvelle


Pourquoi le Brexit reste une bonne nouvelle
Une boutique de souvenirs à Venise en Italie (Photo : SIPA.REX40438440_000001)
Une boutique de souvenirs à Venise en Italie (Photo : SIPA.REX40438440_000001)

Le 23 juin, c’est un « goodbye » faramineux qu’ont prononcé à l’unisson les 52% de Britanniques ayant voté en faveur du Brexit. Un cri salutaire, poussé à pleins poumons, l’expression brute d’une rancœur couvée trop longtemps. Comme dans la chanson de Brassens, le chagrin a finalement lâché la bonde dans ces Midlands britanniques ravagés par le chômage et l’incertitude, dans ces friches post-industrielles où le fog n’a jamais laissé passer les rayons chaleureux de la mondialisation. Comme le forgeron de Rimbaud malmène Louis XVI et lui jette son bonnet rouge au front, alors qu’en bas la foule révolutionnaire tremble et roule comme une mer agitée, le peuple britannique a trouvé suffisamment de colère en lui-même pour jeter son bulletin de vote à la face de la bureaucratie bruxelloise, et sommer son gouvernement de quitter cette Union qui ne lui veut, dit-il avec force, rien de bon.

Quelques heures plus tard, tout ce que l’Europe compte d’européistes béats s’empressait de conclure au coup de chaud : comme d’habitude, comme toujours, le peuple n’avait pas bien saisi la question. Incultes et mal dégrossis, les culs-terreux de la campagne britannique s’étaient laissé embobiner par quelques politiciens roublards, s’étaient laissés aller – vous savez comment sont ces gens – à leurs penchants xénophobes, à leur obsession immigratoire, à leurs délires d’insulaires assiégés. Regardez l’Ecosse, regardez l’Irlande du Nord, voyez comme certains ont su se montrer raisonnables ! La presse française, qui a toujours un Velleda au chaud pour donner de la « bête immonde » à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une décision populaire, fit descendre fissa un tombereau d’ordures sur ces arrogants qui osent (comment osent-ils ?) revendiquer leur souveraineté.

En ce qui concerne les conséquences économiques du Brexit, peu importe qui a raison : l’important, c’est que le peuple a répondu clairement à une question qui lui a été posée. Que chaque votant dispose ou non de toutes les données du problème est accessoire : l’histoire politique n’est pas une affaire de soustractions et de pourcentages, c’est d’abord et surtout une affaire de cœur. Les Anglais disent « nous n’en pouvons plus, nous partons », et pour cela ils n’ont pas besoin de fournir un inventaire détaillé de leurs arguments. Voilà pourquoi le référendum est un magnifique outil de la démocratie moderne, peut-être le dernier à notre disposition. Non, c’est non. Dont acte.

L’échec de la stratégie de la peur

Mais ce « non » est un camouflet insupportable pour la clique des commentateurs qui font depuis des décennies de la défense des institutions européennes leur fonds de commerce. Citons-en deux en particulier : Jean Quatremer et Arnaud Leparmentier, respectivement correspondant à Bruxelles pour Libération et directeur éditorial du Monde, qui ont passé le dernier mois à discréditer l’idée même du référendum britannique, puis son résultat, de toute la hauteur autoproclamée de leur jugement. Le premier, dans un post de blog au lendemain du vote, salue dans un ricanement le « sens du sacrifice » de la nation anglaise et lui promet, hilare, « des années d’incertitudes, de tourmentes, de déchirements ». Le second, avec tout le sens de la mesure qu’on lui connaît, dessinait quelques jours plus tôt un panorama apocalyptique de l’Angleterre post-Brexit, dans lequel le « royaume désuni » entre en récession ; en conclusion de l’article, un Boris Johnson contrit demande, en désespoir de cause, « la suspension de la procédure de sortie de l’UE ». Tout cela étant énoncé sur le ton de l’humour, bien entendu…

Ces prédictions effarantes pourraient faire sourire si elles ne servaient, en réalité, un but très sérieux : faire frémir les citoyens, dissuader l’Angleterre, et tous les pays qui viendront derrière, de s’affirmer en tant que nation face aux instances de l’Union. Pourquoi s’attarder sur ces deux journalistes ? Parce qu’ils incarnent, par leur travail dans leurs journaux respectifs, par l’affolant mépris dont ils font preuve (on se souviendra, par exemple, de ce selfie railleur adressé aux manifestants réunis à Bastille lors du référendum grec à l’été 2015), l’obsession de la grande machine bureaucratique à organiser son petit commerce à l’insu des nations — ces vieilleries — et au mépris des populations qui les composent.

Pour cette coterie, la dénonciation du carcan de l’Union — et, au passage, de l’écrasante domination idéologique de l’Allemagne en son sein — n’est rien de moins qu’un crime de lèse-majesté, qu’il s’agit de sanctionner au plus vite. Pour cela, tous les arguments sont bons : inculture congénitale, gauchisme d’un autre temps, crypto-fascisme, vieille rancœur germanophobe, et on en passe. Il n’y a qu’à se souvenir, en 2005, du traitement qu’ils réservèrent aux 54,7% de Français ayant voté « non » au traité établissant une constitution européenne…

Non pas que le peuple anglais ait nécessairement raison sur toute la ligne : peut-être l’histoire dira-t-elle que l’Angleterre était plus heureuse au sein de l’Union. Of course, rien ne dit non plus que le chaos économique annoncé par toutes les chefferies éditoriales (The Guardian, Le Monde, Der Spiegel) adviendra dans les faits. De ce point de vue, l’incertitude est totale, et nos sommités médiatico-économiques ont suffisamment prouvé leur nullité lorsqu’il s’est agi de prévoir, puis d’expliquer, la crise des subprimes en 2008 puis ses multiples répliques dans nos sociétés ouvertes aux quatre vents, pour que l’on se méfie de leurs diatribes nostradamesques.

A dire vrai, il ne fallait pas s’attendre à autre chose de la part de médias aux ordres, propriétés d’industriels millionnaires et d’exilés fiscaux pour la plupart, qui doivent aujourd’hui être considérés pour ce qu’ils sont : la courroie de transmission d’une Union aux allures de monstruosité bureaucratique et vindicative, qui s’est arrogé le droit de vie et de mort sur chacun des Etats qui la composent. Les peuples n’y trouvent pas leur compte ? Ils devront bien s’y faire. Les eurocrates, tout pénétrés de la grandeur de leurs idées, peinent en fait à admettre qu’en Europe, les nations existent encore, et se scandalisent lorsque l’une d’entre elles ne marche plus dans la combine.

Ainsi l’Angleterre a fait un pas de côté. Nous verrons si elle deviendra, sous la pression des conservateurs et des requins de la finance, un paradis fiscal ou une zone de non-droit social, comme on l’entend un peu partout ces jours-ci. Nous retiendrons de tout cela que la majorité silencieuse a dit son fait, et que cela marque comme un retour de la démocratie sur le continent. Ce « goodbye » des Britanniques est une belle réponse à Jean-Claude Juncker, qui déclarait placidement pendant la crise grecque qu’il « ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Ironie de l’histoire, cette bravade hallucinante a peut-être été la première pelletée de terre jetée sur le tombeau de l’Europe de Maastricht et du traité de Lisbonne. Le vote pour le Brexit est l’occasion d’un rappel historique : ce sont les nations démocratiques qui ont fondé l’Union européenne, et non l’inverse. Que l’une d’entre elles, et non des moindres, décide d’en sortir, n’est que le retour de cette ancienne et attachante idée selon laquelle les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. Un crachat pour les élites déracinées et les encravatés de Bruxelles ; une excellente nouvelle pour nous, pour tous les autres.

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