Peu de temps après l’élection de Trump, Jean-Michel Aphatie débattant avec notre consœur Eugénie Bastié avait déclaré « s’interroger quelquefois sur le suffrage universel ». Il a provoqué une certaine indignation, voire une franche rigolade. Il s’inscrit pourtant, par une telle déclaration, dans une certaine tradition littéraire qui lui fait honneur. Qui aurait imaginé, ainsi, trouver dans la bibliothèque de l’homme qui voulait aussi, dans la foulée, raser le château de Versailles, ce cher Charles Baudelaire, lui-même un grand épouvanté du suffrage universel ? Baudelaire déclarait notamment, dans Mon cœur mis à nu : « Impitoyable dictature que celle de l’opinion dans les sociétés démocratiques ; n’implorez d’elle ni charité, ni indulgence, ni élasticité quelconque dans l’application de ses lois aux cas multiples et complexes de la vie morale. » Oui, la vie morale de Jean-Michel Aphatie, on le comprend, a du mal à supporter la brutalité des faits.
Mais Aphatie n’est pas, loin de là, le seul baudelairien de notre paysage politico-médiatique qui tient le suffrage universel pour une drogue dure qui rend les peuples tellement cruels qu’ils sont capables de refuser des traités pourtant si bons pour eux. On se souviendra ainsi, sans doute, d’un autre grand homme qui avait perçu tous les dangers de la démocratie directe : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », avait dit Jean-Claude Juncker après la victoire de Syriza en janvier 2015, prouvant ainsi, comme Aphatie, son absence de vision partisane. La démocratie est dangereuse, qu’elle amène au pouvoir la vraie droite (Trump) ou la vraie gauche (Tsipras).[access capability= »lire_inedits »]
Le courage de ces gens-là, Aphatie, Juncker et d’autres, comme par exemple notre ambassadeur à Washington tweetant « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige », c’est quand même d’appeler les choses par leur nom. Qui est la cause de ce « vertige » diplomatique très baudelairien ? Edgar Poe, traduit justement par Baudelaire, le dit clairement en racontant à sa manière l’histoire des États-Unis dans Nouvelles Histoires extraordinaires : « La chose néanmoins finit ainsi : les treize États, avec quelque chose comme quinze ou vingt autres, se consolidèrent dans le plus odieux et le plus insupportable despotisme dont on ait jamais ouï parler sur la face du globe. Je demandai quel était le nom du tyran usurpateur. Autant que le comte pouvait se le rappeler, ce tyran se nommait : La Canaille. »[/access]
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