Plutôt que de remettre en cause le résultat de la consultation populaire du 23 juin, David Cameron en a pris acte de manière élégante et a annoncé qu’il quitterait le 10 Downing Street dès le 9 septembre prochain, pour laisser place à un nouveau Premier ministre qui sera chargé des négociations de sortie de l’Union européenne. Quoi qu’on en pense et qu’on en dise, les responsables britanniques sont tout de même plus respectueux de la démocratie que ne le sont leurs homologues français. On ne cessera de se rappeler au référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne, massivement rejeté par les Français, et dont le résultat fut foulé au pied par Nicolas Sarkozy en 2008 en instituant le traité de Lisbonne par voie parlementaire.
Le droit de revoter ?
De manière surprenante, ce sont les électeurs du camp déchu qui réclament le droit de recommencer. Pour ce faire, ils ont fini par instrumentaliser une pétition en ligne qui avait été créée avant le référendum par un militant en faveur du Brexit afin de réclamer, de manière anecdotique, tout en pensant que son camp n’avait aucune chance de l’emporter au vu des derniers sondages dont il disposait, l’instauration d’un nouveau référendum si la participation devait être inférieure à 75% et qu’aucun des deux camps n’atteignait la barre des 60%. Autant dire qu’il s’agissait d’une pétition tout à fait fantaisiste, mais dont les partisans du « remain » ont cru bon de profiter.
Le premier souci est inhérent aux pétitions de ce type : il n’y a aucun contrôle de l’identité des signataires. Ainsi, il est possible de la signer une infinité de fois si tant est que vous créiez autant d’adresses mail que de signatures que vous souhaitez apposer à ladite pétition. Vous pouvez ainsi signer ce texte en tant que Superman, résidant au Vatican. D’ailleurs, un élément permettant de jauger le sérieux de ce type de consultation : on dénombrait ce week-end plus de 36 000 signatures en provenance du Vatican, ville-état qui ne comptait aux dernières nouvelles que 451 âmes pieuses. Le deuxième élément de remise en question est évident. Depuis quand demande-t-on légitimement à un peuple de voter une deuxième fois au motif que son premier vote n’était pas suffisamment bon ? L’Union européenne est-elle une forme de régime autoritaire remettant en cause le droit centenaire des peuples à disposer d’eux-mêmes ?
Quand l’émotion dépasse la raison
Les dirigeants européens, face à ce revers, bandent leurs petits muscles, sortent les crocs, et redoublent d’autoritarisme à l’endroit de ceux qui ont eu le tort de vouloir reprendre leur liberté. Ces mêmes dirigeants européens qui osaient moins ouvrir leurs gueules de loup face à Erdogan, cédant à toutes ses requêtes, malgré sa position ambiguë sur le fondamentalisme islamique. Ceux-là mêmes qui abondent la trésorerie grecque à coup de milliards depuis plusieurs années, noyant le pays dans le chaos social, sans apporter un début de solution à la faillite annoncée du berceau de la civilisation occidentale.
Il s’agirait donc désormais pour le Royaume-Uni de quitter de toute urgence l’Union européenne en activant la procédure de l’article 50 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dès que possible. Cette précipitation en dit long sur l’état des technocrates européens, et des dirigeants eurobéats. Elle consiste à adopter la stratégie du pire, à jeter le Royaume-Uni dans l’inconnu, sans préparation, sans concertation, le jeter du haut d’une falaise sans parachute ni filet de secours, comme s’il était désormais l’ennemi à abattre. Les Britanniques ont choisi leur destin, celui-ci se fera hors de l’Union européenne, or « un destin n’est pas une punition », comme l’écrivait Camus. Les défenseurs de l’Union européenne, contrariés par le vote souverain des Britanniques, souhaitent voir leurs prophéties cataclysmiques se réaliser. Cependant, le seul moyen pour que le désastre arrive est de le provoquer. Preuve s’il en faut que le Brexit n’annonce pas la fin du monde, alors que l’on prévoyait un « black friday » sur les marchés, la seule bourse à avoir tenu le choc a été celle de Londres, perdant en fin de compte à peine 2,5% ; situation quasiment rétablie depuis lors.
Gueule de bois européiste
S’il existe une urgence aujourd’hui, c’est celle de redéfinir ce que doit être l’Europe. On voit dans plusieurs pays membres de l’Union progresser les partis souverainistes, que les européistes convaincus se plaisent à qualifier de partis d’extrême droite, jouant ainsi sur le supposé retour des années 1930, et exploitant la peur d’une idéologie « nauséabonde » qui renvoie « aux heures les plus sombres de notre histoire ». Si les partis souverainistes enregistrent des scores de plus en plus importants dans beaucoup de pays européens, y compris en France, où le Front national a totalisé aux dernières élections régionales plus de voix que le Parti socialiste, qui n’a plus de socialiste que le nom, ce n’est pas par rejet de l’autre, ni en raison d’une xénophobie intestine, d’un racisme viscéral, d’une attitude réactionnaire rance. Si le souverainisme revient à la charge aujourd’hui, c’est parce que les peuples européens en ont soupé de devoir se soumettre à des décisions et recommandations plus ou moins contraignantes élaborées dans l’ambiance feutrée de la technocratie bruxelloise, par des eurocrates non-élus, déconnectés et ignorant tout des réalités nationales. Chaque peuple a son histoire, son identité, sa culture ; vouloir passer ces particularités à la moulinette européiste pour élaborer un gloubiboulga informe est un crime. Il n’est rien d’égoïste dans le désir d’un peuple d’écrire ses propres lois, d’élaborer son budget, d’avoir sa monnaie nationale, de contrôler qui entre et se maintient sur son territoire. Il n’est rien de xénophobe à souhaiter privilégier ses citoyens nationaux sur le marché de l’emploi, du logement, ou dans l’attribution des aides sociales financées par la solidarité nationale. Les bonnes âmes françaises – la plupart du temps, des artistes engagés, disons-le – n’ont pourtant aucun problème à s’expatrier aux Etats-Unis, pays on ne peut plus protectionniste, usant et abusant de stratégies monétaires à tout-va, protégeant ses frontières à la limite de la paranoïa, et où l’on s’est extasié de l’accession d’un Noir américain à la présidence, au seul motif de sa couleur et non par réelle adhésion à son programme.
Il est pourtant une chose que Bruxelles semble avoir oublié : les peuples se sont engagés de manière plus ou moins volontaire dans l’Union européenne, ils ne lui ont pas vendu leur âme sans concession. L’Union européenne n’est pas censée être une prison de laquelle on ne sort jamais après y avoir mis un pied. La sortie de l’Union est prévue par les traités, et les peuples sont libres de faire ce choix de manière souveraine. Les menaces, en revanche, n’étaient pas prévues par les traités. D’aucuns se permettent de dire que pour dissuader d’autres pays de s’engager dans la même voie que le Royaume-Uni, il fallait que son départ soit douloureux. Juncker annonce d’ores et déjà qu’il ne s’agira pas d’un divorce à l’amiable, lui qui fustigeait les premiers ministres trop à l’écoute des électeurs…
– @quatremer : « Pour éviter l’effet de contagion, il faut que le départ soit douloureux » #Brexit #EuropeHebdo pic.twitter.com/m6qkryLyKZ
— LCP (@LCP) June 22, 2016
La démocratie n’est pas un jeu
Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple est-il désormais nul et non-avenu ? Le citoyen lambda se rendant à l’isoloir pour décider de son avenir n’est-il qu’un pion sur l’échiquier bruxellois, en première ligne pour subir les conséquences désastreuses des joueurs assis de part et d’autre de la table ? Qu’avons-nous fait de la démocratie ?
La démocratie n’est pas un jeu. Elle est un outil de gestion de la cité. Les élections et les referendums en sont l’expression directe. Or, certains hommes politiques se laissent aller à des déclarations totalement démentielles. Alors que la France est sur le déclin depuis de nombreuses années, qu’elle n’a toujours pas réussi à se remettre de la crise de 2008, que François Hollande finance sa politique mortifère par de l’emprunt toxique qui nous ruinera à terme, que l’emploi et la croissance ont été perdus de vue, que les Français n’ont plus aucune confiance en leurs institutions et qu’ils réclament une prise en compte accrue de leur voix, Emmanuel Macron a avoué le mardi 28 juin au Club Bourbon que les politiques français « ne cherchent plus à proposer un projet aux électeurs, mais cherchent à ne pas perdre face à Marine Le Pen ». Quel aveu de vacuité intellectuelle. Il ne s’agit donc plus pour nos élites de chercher des solutions à apporter aux Français pour restaurer notre beau pays dans sa grandeur, nos dirigeants ne s’attelleraient donc qu’à contrer une candidate. Et tous les coups sont permis. Il est temps que cela cesse. Non, la démocratie n’est pas un jeu ; mais s’ils y tiennent… seul le peuple souverain doit en être le gagnant. Que son avis aille dans le sens de la doxa, ou contre elle. On ne remet pas en cause la vox populi.
Mais cela peine à trouver grâce auprès de ces fervents chantres des droits de l’homme et des « valeurs républicaines », pour qui les trompettes de l’Apocalypse résonnent déjà si fort dans le creux de leurs oreilles hallucinées, qu’elles en sont devenues sourdes à la moindre contradiction, pourtant socle du débat démocratique. Les seules contradictions auxquelles ces pauvres prêcheurs de mauvaises nouvelles parviennent encore à se confronter sont les leurs… Alors que les peuples demandent plus de démocratie et une Europe moins envahissante, allant dans le sens des intérêts nationaux, on leur sert une vieille soupe froide européiste allant vers une dissolution de plus en plus poussée des identités nationales et une intégration mortifère dans un costume commun trop grand pour les uns, trop petit pour les autres, Merkel et Juncker portant les casquettes de cuisinière et de tailleur…
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