Les souverainistes québécois traversent de bien mauvaises années. Jamais l’indépendance du Québec n’a semblée aussi éloigné. La trudeaumanie gagne même leurs rangs. Ils se laissent séduire par un Premier ministre fédéral qui fait pourtant preuve de la même intransigeance que ses prédécesseurs à l’endroit du Québec, au point même de nier qu’ils sont une nation. Depuis la défaite crève-cœur du référendum de 1995 où ils avaient obtenu 49,4 % des suffrages (dont 61 % du vote francophone, renversés par le vote unanime de la communauté anglophone et des communautés ethniques), les souverainistes ne sont jamais vraiment parvenus à se relever. Ils gèrent péniblement une lente décroissance. La défaite défait et certains ressorts intimes du nationalisme semblent brisés, d’autant que la grande mutation démographique causée par l’immigration massive semble rendre de plus en plus improbable une victoire souverainiste dans les années à venir. Bref, on spécule ouvertement à propos de la mort du mouvement souverainiste.[access capability= »lire_inedits »]
Au cœur de la propagande administrée aux souverainistes québécois, il y a l’idée que l’indépendance ne serait pas une « vraie affaire ». Elle détournerait ceux qui la recherchent de l’administration tranquille des affaires courantes, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, de l’entretien des routes ou des services de garde d’enfants. Ce serait un fantasme entretenu par des nationalistes revanchards et déphasés. Alors on peut imaginer l’immense surprise d’un grand nombre de Québécois qui se sont réveillés le 24 juin, jour de la fête nationale au Québec, en apprenant que les Britanniques avaient voté la veille en faveur du Brexit. Comment était-ce possible ? On nous avait pourtant dit que les Britanniques choisiraient l’avenir contre le passé, l’ouverture contre la fermeture. Comment un peuple pouvait-il consciemment voter contre le sens de l’histoire ? On a vite trouvé la réponse : il n’a pas voté consciemment. Simple, non ?
Le peuple aurait été manipulé par des démagogues. Et il aurait été manipulé parce qu’il était manipulable : ce sont les catégories de la population les plus fragiles qui auraient donné sa majorité au Brexit. La démocratie révélerait ses limites. Les intelligents auraient voté pour le « Remain » et les idiots pour le « Leave ». Les instruits seraient dans le premier camp, les sous-éduqués, dans le second. De même pour les jeunes et les vieux. Et les urbains et les régionaux. D’un commentateur à l’autre, et, peut-on dire, d’un pays à l’autre, c’est toujours la même salade. On peut y voir une immense entreprise de disqualification médiatique d’un choix populaire. Mais on l’aura compris, le peuple est de trop lorsqu’il vote mal. Il devient une force réactionnaire qu’il vaudrait mieux congédier. On spéculera alors très ouvertement pour savoir comment neutraliser les résultats du référendum. Pourquoi ne pas en tenir un second corrigeant les résultats du premier ?
Il fallait aussi contrer toute tentation britannique au Québec. Le système médiatique a été catégorique : ce vote n’avait rien à voir, absolument rien à voir avec le Québec. La Grande-Bretagne serait déjà un pays cherchant seulement à restaurer sa souveraineté, le Québec ne serait qu’une province tentée par la rupture avec le meilleur pays au monde. C’est le drame des nations provinciales : rien de ce qui se passe dans le monde ne les concerne jamais. On avait aussi tenu le même discours aux Québécois, au moment du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, en 2014. Cette fois-là non plus, le destin du monde n’avait rien à voir avec eux. Les Québécois pouvaient continuer à s’occuper de leurs petites affaires : la vie des autres peuples ne les concernerait pas vraiment. Elle est loin, l’époque du Québec libre.
Et pourtant, certains souverainistes québécois parmi les plus éclairés ont trouvé les situations finalement ressemblantes. Dans les deux cas, on parle d’une mobilisation politique en faveur du cadre national. Imaginons que, d’ici une dizaine d’années, les souverainistes reprennent le pouvoir et parviennent à tenir un référendum. Les grandes figures de l’élite politique internationale viendraient faire leur tour en boucle au Québec pour dissuader son peuple de quitter le meilleur pays au monde. Les capitalistes et spécialistes des marchés financiers prophétiseraient une catastrophe économique en cas de sécession. Et les campagnes de culpabilisation idéologique, auxquelles les Québécois sont très sensibles, se multiplieraient à l’approche du vote. En son temps, Pierre Trudeau, le père de l’actuel Premier ministre canadien, avait qualifié à l’avance l’indépendance du Québec de crime contre l’humanité.
Imaginons même que les Québécois votent « oui » à l’indépendance. Qu’ils s’inspirent des Britanniques pour une fois et résistent à la campagne d’intimidation internationale contre leur droit à l’autodétermination. Imaginons qu’ils votent « oui » à 51,3 %. On peut être certain qu’à ce moment, nous assisterons à une réédition de la campagne post-Brexit. On fera tout, absolument tout, pour annuler les résultats. Le gouvernement fédéral proposera peut-être un référendum pancanadien pour annuler les résultats du référendum québécois. Une grande marche d’amour rassemblant des Canadiens de tout le pays sera organisée à Montréal. Les marchés financiers, pendant une semaine, trembleront, même si, plus tôt que tard, ils se rétabliront. On multipliera les sondages et les reportages nous expliquant que les électeurs du « oui » n’ont pas vraiment voulu la souveraineté mais seulement faire peur au Canada.
La gouvernance globale, dont l’Union européenne est un vecteur, est un dogme de notre temps et ceux qui défendent l’État-nation sont classés, qu’ils le veuillent ou non, parmi les réactionnaires. Prendre sa défense, c’est se condamner à rejoindre le camp des proscrits, des mal nommés, des déconsidérés. Imaginons que les Québécois sortent de leur sommeil dogmatique, qu’ils se délivrent de l’enchantement de Justin Trudeau et qu’ils saisissent leur dernière chance d’exister comme nation à part entière. À ce moment précis, alors qu’ils seront diabolisés par les idéologues progressistes de la terre entière, les partisans du Québexit pourront trouver un peu d’inspiration chez ceux du Brexit, qui semblent résister à la tempête, même si, inévitablement, la transition d’un régime à un autre ne se fait jamais seulement dans la douceur. On ne fait pas l’histoire en s’accompagnant uniquement d’une musique d’ascenseur. [/access]
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