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Brexit: et à la fin c’est le foot anglais qui gagne?

Loin des catastrophes annoncées, il pourrait profiter au football national


Brexit: et à la fin c’est le foot anglais qui gagne?
La jeunesse de Manchester United (bien aidée par la vidéo) a humilié le Paris Saint-Germain au Parc des Princes, le 6 mars 2019. ©Francois Mori/AP/SIPA / AP22310281_000112

Loin des catastrophes annoncées, le Brexit peut profiter au football anglais. Sans forcément nuire aux clubs de Premier League, il pourrait être une bonne nouvelle pour la sélection nationale. 


Les effets potentiels du Brexit sur le football anglais font l’objet de divers articles en France depuis le printemps 2016, reprenant plutôt le catastrophisme qu’inspire le Brexit en général. France football vient de sortir son petit dossier spécial, ce qui aura le mérite de pousser les footeux à s’intéresser à des sujets sérieux.

Le premier carton de Gary Lineker

Il est vrai que le milieu du football anglais n’est lui-même pas vraiment rassuré. Gary Lineker, fameux attaquant anglais des années 80 et 90, évoque par exemple « le cauchemar que serait une sortie sans accord avec l’Union, qui verrait la livre sterling plonger d’un seul coup, comme elle l’avait fait en juin 2016, ce qui aurait un effet sur le pouvoir d’achat des clubs ». Un rapide coup d’œil sur le marché estival des clubs anglais lors de l’été 2016 permet de nuancer l’ampleur de la catastrophe. A cette époque, Paul Pogba rejoignait Manchester United pour 100 millions d’euros, l’Allemand Leroy Sané et l’Anglais John Stones rejoignaient Manchester City pour 50 millions d’euros chacun, des sommes que peu de clubs continentaux de la zone euro, même parmi les plus riches et les plus glorieux, se hasardent à déverser.

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Jusque dans les profondeurs du classement, les clubs de bas de tableaux de la Premier League peuvent s’offrir quelques « pépites » (le promu Fulham, cet été, a dû débourser un peu plus de 30 millions d’euros pour acquérir le Marseillais Zambo Anguissa), des sommes que les clubs du ventre mou de la Ligue 1 française sont incapables d’aligner.

Tout le monde veut voir la Premier League

Car la source des revenus du football anglais, ce n’est pas son appartenance à l’Union européenne (UE), ni les fluctuations entre la livre et l’euro : ce sont ses droits télé, qu’achètent à prix d’or non seulement les chaînes anglaises et européennes, mais aussi celles des pays footballistiquement émergeants, parmi lesquels les Etats-Unis, les pays du Golfe et surtout la Chine. C’est ainsi que, d’abord pour lutter contre l’alcoolisme des supporters, les matches de Premier League furent disputés de plus en plus tôt. Quand le coup d’envoi du match est donné à midi à Londres, ce qui arrive de plus en plus fréquemment, il n’est jamais que vingt heures à Pékin, horaire idéal pour suivre une partie devant une Tsing-Tao. D’ailleurs, au bord du terrain, les pancartes publicitaires vantant bières ou sites de paris sportifs ont petit à petit délaissé l’alphabet latin pour des messages en mandarin ou parfois en russe. Les revenus télé ont pris une importance telle pour les clubs de l’élite anglaise que la moitié d’entre eux pourrait jouer devant des stades vides à longueur de saison sans que leurs finances n’en soient affectées. Et à cette audience mondiale, le Brexit n’y changera pas grand-chose.

Quid des joueurs communautaires ?

Ce que le Brexit peut changer, c’est à la fois le statut des joueurs britanniques qui évoluent dans l’Europe des 27, et celui des joueurs communautaires qui jouent en Angleterre (et accessoirement en Ecosse). Le cas des joueurs britanniques en UE mérite un minimum d’attention, même si dans les faits, ils concernent très peu de joueurs : on peut citer le jeune attaquant du Borussia Dortmund Jadon Sancho, et l’ailier gallois du Real Madrid Gareth Bale, et c’est à peu près tout. Le joueur britannique, contrairement à ses homologues français, néerlandais ou brésiliens ne s’est jamais beaucoup exporté ; sur les 23 anglais inscrits pour la Coupe du monde 2018, tous évoluaient en Angleterre, alors que seuls 9 joueurs français évoluaient en France avant le sacre mondial. Si jamais un exode massif de joueurs anglais devait avoir lieu vers l’Europe continentale, à la suite d’un effondrement de la monnaie ou d’une pénurie de médicaments entraînée par le Brexit, leur statut poserait néanmoins question. Dans la plupart des championnats des pays de l’UE, il existe des quotas limitant le nombre de joueurs communautaires à trois ou quatre. En revanche, aucune contrainte depuis le milieu des années 90 et le fameux arrêt Bosman pour les joueurs communautaires : c’est ainsi que l’on a pu voir le FC Barcelone[tooltips content= »A la fin des années 90, sous l’ère Louis van Gaal, bien avant que les joueurs formés au club (Puyol, Piqué, Xavi, Iniesta, Messi) ne prennent le pouvoir. »]1[/tooltips], Arsenal ou le PSG jouer des matches de Coupe d’Europe sans un seul joueur national au coup d’envoi. La question est de savoir si ces joueurs anglais seront considérés comme communautaires ou non au lendemain du Brexit. Signalons tout de même que les règles, en France, sont assez souples à l’égard des joueurs ressortissants d’Afrique et d’Europe orientale grâce aux accords dits de Cotonou et de Malaja (du nom d’une basketteuse polonaise à peine plus obscure que Jean-Marc Bosman) qui permettent aux joueurs d’Europe orientale ou africains d’être considérés comme des joueurs communautaires, pourvu qu’ils aient porté à une reprise le maillot de leur sélection nationale : alors, pourquoi pas pour les joueurs anglais ?

Le gazon est vert chez les voisins

Le cas inverse, celui des joueurs communautaires exilés en Angleterre, posent davantage problème. Plusieurs champions du monde français sont concernés, parmi lesquels Hugo Lloris, Ngolo Kanté, Paul Pogba et Olivier Giroud. Dans l’hypothèse la plus souriante on pourrait imaginer l’adoption du modèle helvète : en Suisse, sont considérés comme « nationaux » tous les joueurs de l’Union européenne ainsi que ceux de l’AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein), ce qui élargit nettement le champ des possibles. Cette hypothèse permettrait aux clubs anglais de garder leur coup d’avance et de continuer à attirer les meilleurs joueurs continentaux. Dans une hypothèse très pessimiste, les joueurs communautaires cesseraient automatiquement d’être « admis » en Premier League ; ils devraient alors se plier à la même condition que les joueurs du reste du monde qui rejoignent aujourd’hui le championnat d’Angleterre (par exemple les joueurs brésiliens et argentins), c’est-à-dire obtenir un permis de travail ; tout geek ayant un peu joué à Football manager connait bien cette petite contrainte. Pour les joueurs d’envergure, qui ont joué au moins 75% des matches de leur équipe nationale lors des deux dernières saisons, il ne s’agirait que d’une formalité : Pogba, lors de son retour en 2016 à Manchester, n’aurait pas eu plus de mal à obtenir son permis de travail que l’Argentin Kun Agüero lorsque celui rejoignit l’Angleterre en 2011. Une fois le fameux permis obtenu, un club peut très bien aligner onze extra-communautaires, les onze joueurs de la sélection d’Argentine ou de celle du Brésil si cela lui chante : c’est à peu près ce que fait Manchester City tous les weekends.

L’Europe a fait plonger le football anglais

Pour les joueurs de deuxième plan, une sortie un peu brutale de l’UE pourrait rendre l’accès à l’Eldorado plus compliqué. Quand Ngolo Kanté débarqua, anonyme, en Premier League en provenance de Caen, en 2015, personne ne se doutait qu’il allait remporter presqu’à lui tout seul les deux championnats suivants, l’un avec Leicester, l’autre avec Chelsea. Mais pour un Ngolo Kanté, combien de Papy Djilobodji ? Papy Djilobodji, c’est le nom d’un honnête joueur de Nantes qui à la suite d’une saison plus ou moins réussie, s’est vu transféré à Chelsea, juste avant la clôture du mercato d’été 2015. Quelques jours après ce transfert, l’entraîneur Mourinho se demandait bien ce qu’il allait bien pouvoir faire de sa nouvelle recrue (« Nous serions malchanceux d’avoir besoin de Djilobodji en phase de poules de C1 »). Peu importe, acheté 3,5 millions d’euros, il est revendu 9 millions d’euros un an… et 59 secondes de jeu plus tard. Le simple fait de porter en début de saison le maillot de Chelsea pour la photo officielle aurait multiplié sa valeur par trois. Le cas Djilobodji est une caricature de la dérive spéculative du marché du football. L’un des initiateurs de cette politique fut certainement le Français Arsène Wenger, qui redressa Arsenal à la fin des années 90. Celui-ci ne se contenta pas d’aller chercher dans le championnat de France, les fameux Henry, Anelka, Petit, Pirès ou Vieira ; il engagea aussi des joueurs moyens de Ligue 1, des Rémi Garde, des Gilles Grimandi, des Pascal Cygan, des joueurs déjà formés, pas très coûteux, à l’hygiène de vie plus sûre que le joueur anglais médian à l’époque (le club des buveurs du mardi soir des joueurs d’Arsenal des années 90 est tellement resté dans les mémoires qu’il a même le droit à sa page dans le Wikipedia anglais), qui acceptent un rôle de remplaçant sans broncher. Peu à peu, tous les clubs d’Angleterre l’imitèrent plus ou moins. C’est aussi cet afflux de joueurs étrangers depuis la fin des années 90 qui a complètement bloqué le développement de générations entières de joueurs anglais[tooltips content= »Mais aussi des joueurs écossais, irlandais et gallois : Dennis Law, George Best, Billy Bremner, Kenny Dalglish, Graeme Souness, Pat Jennings, Roy Keane, Ryan Giggs ont fait partie des stars du championnat anglais des années 60 aux années 90. Puis avec la Bosmanisation du football, ces nationalités ont disparu de la Premier League. Durant l’Euro 2016, on a vu les deux Irlande et le Pays de Galles jouer essentiellement avec des éléments venus de deuxième ou troisième division anglaise, ce qui ne les a pas empêchés de faire bonne figure. »]2[/tooltips]. En quelques années, les joueurs anglais avaient pratiquement disparu des compos de Premier League ; le poste le plus handicapé fut celui de gardien de but, au point que la sélection nationale devint incapable de trouver un successeur digne au mythique David Seaman. Le point culminant de cet effondrement fut la non-qualification pour l’Euro 2008, accélérée par une bourde du malheureux gardien Scott Parker, lors du dernier match de la campagne, contre la Croatie, à Wembley.

Le beurre et l’argent du beurre ?

Ces échecs de la sélection n’ont pas laissé les instances du football anglais complètement inactives. Depuis 2015, la Fédération anglaise a discrètement instauré un « protectionnisme footballistique », dans un esprit pré-bosmanien, ou brexiter avant l’heure. Au démarrage d’une nouvelle saison, chaque club de Premier League doit inscrire un maximum de 25 joueurs, dont 8 formés au pays, et parmi lesquels 4 doivent être formés au club lui-même. Les joueurs de moins de 21 ans (pas forcément anglais) ne sont pas concernés par ces restrictions, ce qui permet aux clubs d’aligner si besoin est de jeunes pousses encore en formation. Le PSG a d’ailleurs pu faire dernièrement connaissance avec l’équipe des moins de 19 ans de Manchester United… Depuis quelques années, quelques bons joueurs nationaux, tous nés après 1993, ont pu s’imposer dans les équipes de niveau Ligue des Champions : Keane, Alli et Dier à Tottenham ; Rashford et Lingard à Manchester United ; Sterling à Manchester City. Avec eux, l’Angleterre a retrouvé pour la première fois depuis 1990 le dernier carré d’une phase finale de Coupe du Monde. Dans le même temps, à la veille des quarts de finale de la Ligue des Champions, quatre des huit équipes encore en lice sont anglaises. Le football anglais peut espérer avoir dans les années qui viennent une sélection à la hauteur tout en gardant le championnat le plus compétitif du monde. De quoi se constituer un solide opium du peuple avant les grandes catastrophes promises par le Brexit.



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