Alexis Brunet nous revient du pays de celui qui nous a été présenté comme le « Führer lusophone ». Politique culturelle, ambiance à Rio, coups de feu, homosexuels, stratégie de communication de la Présidence… Voici ses impressions.
Je suis retourné au Brésil, dans les contrées de Jair Bolsonaro. Pensant poser ma valise sur la terre des 55,1% de fachos, je suis tombé de haut. J’ai vu une kyrielle de métis, une ribambelle de couples mixtes, des homosexuels et des personnes entre deux sexes. Devant la station de métro Botafogo, à Rio de Janeiro, un jeune travesti interprétait « Girls just want to have fun » par Cindy Lauper. Où étaient donc les miliciens au sourire carnassier et les tortionnaires aux mains ensanglantées ? Au pays du présagé Führer lusophone, les éditorialistes du quotidien O Globo ne se gênent guère pour écrire tout le mal qu’ils pensent de l’intention de nommer son fils Eduardo ambassadeur aux États-Unis.
Rien de nouveau sous le soleil
Les raisons de l’accession de Jair Bolsonaro au pouvoir ont déjà été relatées, notamment par Jean-Yves Carfantan[tooltips content= »Voir Causeur numéro 70 été 2019 Bolsonaro, un populiste contre l’armée, p26″]1[/tooltips]. L’ouvrage A eleição disruptiva de Mauricio Moura et Juliano Corbellini permet également d’y voir clair : rejet quasiment épidermique du Parti des travailleurs, incarnation du scandale de corruption Lava Jato, conquête des réseaux sociaux par l’équipe de l’ancien capitaine, progression de la violence urbaine. Dans un hôtel de la clinquante avenue Catete, au centre de Rio de Janeiro, j’ai été réveillé à deux heures du matin par des cris et un coup de feu. Le lendemain, RJTV évoquait des courses poursuites avec la police dans le centre, suite à des règlements de comptes entre bandes rivales. Même le quartier « bobo » de Santa Teresa était touché. Rien de nouveau sous le soleil de Rio. Des années de violence contagieuse ne s’évaporent pas suite à quelques paroles belliqueuses envers le crime organisé.
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Jair Bolsonaro n’est pas réputé pour porter les Amérindiens dans son cœur. Albert Camus écrivit il y a soixante ans que « l’histoire entière des hommes […] est, par elle-même, impérialiste. Nous sommes loin du bon sauvage du XVIIIe siècle et du contrat social ». La suite lui donne raison. Que ce soit au Venezuela, en Guyane française ou au Brésil, les Amérindiens qui souhaitent vivre comme au bon vieux temps ont la vie dure. Qu’en est-il des activistes indigènes du Brésil ? La lecture de Plantados no chão de la journaliste Natalia Viana nous apprend que « lors des trois premières années du gouvernement de Lula da Silva (2003 à 2006), 146 militants ont été assassinés à la campagne […] soit une augmentation de quasiment 100 % par rapport au gouvernement précédent » de Fernando Enrique Cardoso. Là non plus rien de nouveau donc.
Le secteur culturel menacé
Ce qui est plus cocasse, en revanche, c’est la rancœur assumée du président envers les productions culturelles. N’appréciant ni les dimanches au musée, ni le cinéma brésilien contemporain, Jair Bolsonaro a aplati les subventions du secteur culturel, plongeant des milliers de Brésiliens dans le bain glacé du chômage. Sur sa lancée, il a décidé de supprimer le Ministère de la culture. Dans L’homme révolté, Albert Camus observait « l’hostilité à l’art qu’ont montrée tous les réformateurs révolutionnaires ». L’histoire nous dira si Jair Bolsonaro rejoindra ces derniers. Lorsque son prédécesseur Michel Temer a eu la même idée, la grogne urbaine l’a contraint à se dégonfler et à remettre en place le ministère. Aujourd’hui, cette décision ne semble pas gêner les Brésiliens plus que ça. Sont-ils trop occupés à flâner sur Facebook ou à s’échanger des smileys amoureux sur WhatsApp pour s’en inquiéter ?
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L’ère des smartphones
D’après l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE), 138 millions de Brésiliens ont un téléphone portable, sur une population totale de 209,3 millions de personnes. À l’ère des smartphones, les sergents du capitaine ont bien saisi l’intérêt de dominer ces champs de bataille qu’incarnent WhatsApp, Facebook ou Twitter. D’après les auteurs de A eleição disruptiva, la maîtrise de ces terrains virtuels, en particulier celui de la messagerie WhatsApp, a été décisive pour propulser à la tête de la puissance mondiale celui qui, seulement trois mois avant l’élection présidentielle, n’était qu’un chaste prétendant. La trame émotionnelle et ludique de ces réseaux adhère harmonieusement aux confessions et indignations d’un président qui personnifie le citoyen honnête au parler franc. Contrairement aux prévisions de ses adversaires, ses déclarations polémiques, son inexpérience gouvernementale et son ignorance déclarée des questions économiques ont joué en sa faveur : Jair Bolsonaro est apparu comme un brave type qui dit ce qu’il pense, un citoyen authentiquement attaché à sa patrie, à la famille et à la religion. Peu après son agression au couteau, le 6 septembre 2018, son nom a été l’objet de plus de 380 000 mentions sur la toile. Un événement inédit dans ce monde parallèle. Aujourd’hui, son équipe publie quotidiennement des « posts » sur son compte Facebook. À l’heure où j’écris ces lignes, le président vient de s’y réjouir de la hausse du tourisme d’affaires et de la baisse de la criminalité par rapport au premier trimestre de l’année dernière. Il vient aussi de rendre hommage à ses parents ou encore, d’assister à une course de motos à Brasilia. L’essentiel étant d’être proche du peuple, le thème des publications importe peu.
Au travail, capitaine !
Est-ce vraiment suffisant pour perpétuer le mythe Bolsonaro ? D’après la dernière enquête de l’institut Datafolha, seul un tiers des Brésiliens seraient satisfaits du gouvernement actuel. En cause, la stagnation de l’économie et du chômage. Dans un entretien pour le magazine Veja, l’économiste Armínio Fraga, ancien directeur de la Banque Centrale du Brésil, estime que les principaux problèmes du pays sont « la polarisation politique, un énorme déséquilibre fiscal, le chômage, le désespoir, les inégalités qui augmentent ». À la sortie de Rio de Janeiro, en direction de São Paulo, des territoires où s’entassent ordures et déshérités livrés au crack se déploient comme des nuées de misère urbaine. Jair Bolsonaro étant un libéral, il n’a pas été élu pour faire du social. Cependant, pour avancer, le Brésil a sans doute des problèmes plus consistants à résoudre que la traduction en portugais du Guide du zizi sexuel illustré avec les personnages de Titeuf. De nouveaux soupçons de travaux publics sur tarifés dans l’état de Rio de Janeiro sont apparus à la mi-juillet. Le président anti-corruption a donc du pain sur la planche.
Pour les fidèles de l’ancien président Lula, ce dernier reste, malgré le rejet viscéral de son parti, celui « qui a volé mais qui a fait beaucoup » pour les pauvres. Au-delà de son slogan de campagne, « Muda Brasil de verdade », au-delà d’une rupture idéologique consommée, Jair Bolsonaro sera sans doute jugé sur ses actes. S’il ne lira assurément pas ces lignes, souhaitons lui bonne chance. Les postures idéologiques ne suffisant guère à remettre un géant sur les rails, il s’agit maintenant de se retrousser les manches. Au travail, capitaine !
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