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Au Brésil, les ONG font leur loi en vert et contre tous

Leur écologisme radical se heurte aux intérêts des agriculteurs et de nombreux Indiens


Au Brésil, les ONG font leur loi en vert et contre tous
Des membres de la tribu indienne des Waiapi, dans l'Etat de l'Amapa au Brésil, au nord de l'Amazonie, octobre 2017. ©Apu Gomes / AFP

Instrumentalisant la cause des Indiens d’Amazonie, ONG et mouvements indigénistes ont pris le contrôle d’un septième du territoire brésilien. Leur écologisme radical se heurte aux intérêts des agriculteurs… et aux aspirations de nombreux Indiens. Enquête. 


Les médias européens racontent souvent des histoires de bons et de méchants, notamment lorsqu’ils traitent de sujets lointains qu’ils connaissent mal, comme le sort des Indiens du Brésil. En janvier dernier, après son investiture, Jair Bolsonaro, le nouveau président du pays, a décidé de confier la délimitation des territoires indiens au ministère de l’Agriculture. Auparavant, cette mission incombait à la Funai, la Fondation nationale de l’Indien, un organisme créé en 1967 et rattaché au ministère de la Justice. Ce transfert de compétences a suscité une bronca des ONG et des mouvements indigénistes. À de rares exceptions près, la presse du Vieux Continent a pris leurs arguments pour argent comptant. À les entendre, le nouveau président s’apprête ainsi à détruire plus de cinquante ans de travail pour l’attribution des terres aux peuples indigènes pour livrer les territoires ancestraux à l’appétit vorace de l’ « agribusiness ». La preuve ? Lorsqu’elle était députée fédérale (de 2014 à 2018), la ministre de l’Agriculture choisie par Bolsonaro était le chef de file du lobby parlementaire « ruraliste », réputée défendre les intérêts des grands propriétaires terriens.

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Fin 2018, le Brésil comptait 896 900 Indiens (0,43 % de la population totale) répartis en 305 ethnies différentes. La constitution brésilienne (adoptée en 1988) accorde à ces populations un droit d’usufruit des territoires ancestraux sur lesquels elles sont installées et où la loi indigène fait foi. Ces terres restent néanmoins la propriété de l’État fédéral. Lorsqu’une ethnie revendique un territoire, l’État engage un processus de démarcation en plusieurs étapes. Si la première phase d’étude est concluante, la fondation délimite l’espace sur lequel le droit d’usufruit sera exercé. Ensuite, le ministère de la Justice rend public un projet d’homologation. Celui-ci peut alors être contesté par les occupants non indigènes des lieux (propriétaires en titre de foncier, locataires de bonne foi), qui sont menacés de devoir quitter le territoire délimité. Si les contestations sont jugées irrecevables, le chef de l’État homologue puis régularise les terres de réserve. Après une évaluation des pertes subies par la Funai, les expulsés peuvent cependant être indemnisés. Ces terres indigènes sont de véritables sanctuaires, dont l’accès est réglementé pour les non-Indiens et dont l’exploitation des ressources naturelles est interdite à toute personne ou entreprise venue de l’extérieur.

Quel exploitant s’engagerait à planter, à irriguer des terres ou à investir en équipements s’il court le risque d’être délogé ?

En trente ans, l’explosion des revendications des Indiens et la consolidation juridique de ces territoires ont permis d’accroître la dimension du foncier sur lequel des populations autochtones disposent d’un usufruit exclusif. En 1994, les 258 régions en cours d’évaluation par le gouvernement fédéral représentaient un peu moins de 800 000 km2, mais seuls 34 % se trouvaient en fin de processus et donc confirmés. En 2018, les 572 territoires homologués représentaient 1,18 million de km2, soit 13,8 % de la superficie du pays. En outre, il existait alors un « stock » de 115 autres dossiers en cours de traitement.

Comme on peut l’imaginer, cette extension des droits fonciers des Indiens n’a pas été accueillie avec enthousiasme par les autres populations vivant en milieu rural. Souvent victimes d’un racisme virulent, les bénéficiaires de la démarcation se sont d’abord heurtés à la résistance très violente des bandes criminelles qui vivent du commerce illégal de terres publiques dans les régions du Nord (Amazonie) où le cadastre est encore confus. Mais la résistance à la démarcation vient aussi de l’ensemble du monde agricole – pas seulement les grands propriétaires – pour qui le processus a été et reste une source d’insécurité juridique permanente. Quel exploitant s’engagerait à planter, à irriguer des terres ou à investir en équipements s’il court le risque d’être délogé ?

La politique de démarcation contrarie également les États fédérés, car elle fragmente le territoire et rend très difficile la construction de grandes infrastructures (routes, centrales hydroélectriques), des chantiers coûteux, longs et compliqués que les Indiens peuvent bloquer ou ralentir dès qu’ils ont un impact sur leur terre.

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Les tensions et les conflits autour du foncier sont aussi attisés par la politique d’un grand nombre d’ONG indigénistes. Dès les années 1960, des anthropologues et une fraction de la société civile mobilisée par l’Église catholique se mobilisent sur la question indigène et encouragent la création d’ONG de défense des Indiens. Au fil du temps, ce mouvement ajoute l’écologie à son argumentaire. Les Indiens sont alors présentés comme le meilleur rempart contre la déforestation de l’Amazonie, dont l’ampleur et le rythme deviennent des préoccupations mondiales. Ce recours à l’étendard environnemental confère une audience globale aux revendications des populations indigènes brésiliennes. Empreint d’une culture revendicatrice de gauche, inspiré aussi par une sensibilité écologique radicale, le mouvement national pro-indien défend une conception du développement durable centrée sur la préservation d’espaces de plus en plus étendus et protégés de l’influence du monde capitaliste environnant. Cette approche est aussi celle du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI), une organisation gauchisante très influente liée à l’épiscopat brésilien. Dans les années 1990, ces ONG nationales reçoivent le soutien d’agences gouvernementales européennes (Norvège, Royaume-Uni, France, Allemagne, etc.) ainsi que des grandes boutiques mondiales de protection de l’environnement (The Natural Conservancy, Conservation International, WWF, Oxfam, Greenpeace). Le CIMI bénéficie également du soutien d’institutions chrétiennes (CCFD en France, Cafod au Royaume-Uni). Bientôt, l’afflux de ressources financières permet au mouvement pro-indien de recruter des experts de toutes disciplines (anthropologues, communicants, économistes, linguistes). Dans les années 2000, ces experts participent directement à l’élaboration de la politique de démarcation comme consultants pour la Funai. Disposant de canaux de communication internationaux, utilisant des techniques de marketing, les associations indigénistes acquièrent un prestige médiatique qui dépasse de très loin celui de tous les autres secteurs de la société concernés par la politique de démarcation.

Pour ce mouvement très structuré et influent, les terres traditionnelles que doivent occuper les Indiens ne se réduisent pas aux espaces effectivement occupés à un instant, mais incluent l’ensemble des terroirs jugés nécessaires à la survie physique et culturelle des ethnies indigènes et au maintien d’un mode de vie traditionnel. Aux revendications légitimes de ces ethnies, les ONG adjoignent donc un réservoir illimité de demandes potentielles. Ainsi, plusieurs organisations soutiennent aujourd’hui que les 572 territoires déjà identifiés et homologués ou en cours d’homologation ne représentent même pas la moitié de la surface totale à démarquer, qui atteindrait selon elles jusqu’à 30 % du territoire national, soit près de quatre fois la superficie de la France métropolitaine.

Les dérapages d’un autre lobby puissant

Au début des années 2000, avec l’arrivée de Lula à la tête du gouvernement fédéral, le lobby des ONG indigénistes est devenu l’inspirateur direct de la politique conduite par la Funai qui a de ce fait cessé d’agir comme un service public indépendant et impartial. La cause des Indiens a été utilisée par des organisations qui mènent un combat politique anticapitaliste ou défendent des thèses écologiques radicales. La démarcation des terres indiennes est devenue une sorte d’industrie finançant et garantissant la capacité d’influence sur les pouvoirs publics d’associations dites de défense des communautés indigènes.

Selon la législation actuelle, un groupe vivant en milieu rural est considéré comme appartenant à une ethnie autochtone s’il le déclare et si un rapport d’expertise réalisé par des anthropologues le confirme. La réalisation des études préalables et le rapport lui-même sont commandés par la Funai qui engage et rémunère des anthropologues… souvent membres ou associés aux quelque 200 ONG de défense de la cause indigène ! Comme l’a montré une commission parlementaire constituée en 2017 pour analyser le travail de la Fondation nationale de l’Indien, la fin a souvent justifié les moyens. Pendant des années, des rapports d’expertise anthropologiques ont été établis sans la moindre rigueur scientifique pour illustrer les orientations idéologiques de leurs auteurs. Pour légitimer l’expulsion d’un territoire des populations non indigènes, des « experts » ont littéralement ressuscité des peuples indigènes dont l’extinction remonte au XVIIIe siècle. D’autres ont soudain identifié des ethnies sur un bassin agricole où il n’existait pourtant aucune trace historique de leur présence. La dérive a été telle que, dès 2006, le président de la Funai, pourtant nommé par Lula, réclamait un arrêt immédiat des procédures de démarcation qu’il affirmait ne plus contrôler.

Une politique indigéniste indépendante, efficace et juste ne peut plus être fondée sur l’octroi aux Indiens de terres de plus en plus vastes. D’abord parce que ce n’est pas le souhait de plusieurs ethnies qui veulent s’intégrer à la société environnante. Ensuite parce que la concession de droits fonciers et l’usufruit exclusif ne sont pas suffisants pour assurer aux communautés bénéficiaires une sécurité économique. En 2010, le recensement de la population brésilienne (le dernier en date) a montré que 42 % des Indiens vivaient en dehors des terres démarquées. Depuis, l’exode se serait accru. Ignorant complètement les droits originaires garantis par la Constitution, des Indiens abandonnent discrètement les terres ancestrales qui leur sont réservées pour s’installer à la périphérie des villes. Leurs motivations sont très hétérogènes : fuite devant les attaques subies, recherche de travail et de meilleures conditions de vie (santé, éducation). En 2003, la création d’un revenu minimum pour les familles les plus démunies scolarisant leurs enfants a favorisé le mouvement. Les Indiens se sont rapprochés des villes pour recevoir cette allocation et avoir accès à l’école.

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Des enquêtes ont montré que le souhait d’intégration de ces groupes (souvent en contact depuis des décennies avec la société qui les entourent) tranche avec les clichés véhiculés par des mouvements indigénistes. Les autochtones qui veulent rester sur des terres ancestrales préservées et protégées n’ont pas besoin d’une politique d’expansion infinie de leurs droits d’usufruit exclusif et excluant. Ils souhaitent même souvent maintenir des liens économiques et des relations de proximité avec les Blancs et les Métis qu’ils côtoient parfois depuis plusieurs décennies. Ils revendiquent encore un accès à des financements pour développer une agriculture moderne, des soins de santé de base, l’énergie électrique, l’eau courante et des écoles. Beaucoup ont le sentiment d’avoir été instrumentalisés par la lutte écologique radicale que mènent de nombreuses ONG, ce lobby puissant dont les médias occidentaux semblent ne pas connaître l’existence.

Même s’il en avait la volonté, le président Jair Bolsonaro pourrait difficilement rompre de son propre chef avec une politique de protection des Indiens bien installée. Il faudrait qu’il gagne l’appui du pouvoir législatif et que le système judiciaire ferme les yeux. En confiant à sa ministre de l’Agriculture la gestion de la politique de démarcation, il veut montrer que tous les agriculteurs lésés par les abus antérieurs ont été entendus. La ministre ne cesse d’ailleurs de répéter qu’elle s’en tiendra à la loi et au strict respect de la Constitution. Acteur politique majeur, le lobby des ONG sait qu’il va perdre en capacité d’influence. Il présente donc cette mesure comme un cadeau fait au lobby agricole. L’offensive médiatique orchestrée par le mouvement indigéniste dépeint volontiers Bolsonaro comme un génocidaire en puissance des communautés indiennes. Pendant que les médias européens se scandalisent du génocide annoncé, les errements et le jeu politique des ONG, des mouvements religieux et des organisations indigénistes ne sont pas auscultés, évalués, analysés. En concentrant les projecteurs sur un lobby, on en laisse d’autres, tout aussi sinon plus puissants, agir dans l’ombre.

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Mars 2019 - Causeur #66

Article extrait du Magazine Causeur




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Consultant à São Paulo. Anime un site en français sur le Brésil : https://www.istoebresil.org 

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