Propos recueillis à Rio de Janeiro par David di Nota, septembre 2013
Comment évolue l‘insurrection populaire brésilienne qui a capté, un court instant, l’attention des médias internationaux ?
Les manifestations continuent d’être aussi quotidiennes, mais elles sont confrontées à deux obstacles. La première est l’indifférence de ces médias internationaux, la seconde est la gêne que ces manifestations provoquent au sein des organes officiels de la presse nationale, le groupe « Globo » en tête.
C’est-à-dire ?
Les manifestants ont décidé de prendre en main les reportages sur les manifestations en les filmant et en les diffusant en temps réel sur internet. C’est ce que nous appelons les « Media Ninja ». Le point intéressant est que la Télévision Globo est obligée, du coup, de rendre compte de certains faits dont elle se passerait très bien. Il ne s’agit pas simplement de montrer comment les manifestations sont quadrillées dans les faits, il ne s’agit pas simplement de témoigner de la tournure policière de ce quadrillage, mais de montrer la partialité grotesque des reportages officiels censés rendre compte des évènements.
Il s’agit moins de se battre en faveur de la liberté de la presse que de se battre contre la cartelisation des médias ?
Oui. Elle bat des records à Rio, où nous ne disposons que d’un seul journal national. Mais ce nouveau phénomène doit être replacé dans un contexte plus large. Bien que les manifestants n’obéissent à aucun leader, toutes les revendications convergent vers un point clé, le renouvellement en profondeur de la représentation politique au Brésil.
L’augmentation de 20 centimes du ticket d’autobus est devenue, aux yeux de la presse internationale, le symbole de l’insurrection populaire. Pas la disparition, le 14 juillet dernier, d’un maçon nommé Amarildo. Les manifestants attachent pourtant une très grande importance à son sort. Qui était Amarildo de Souza ?
Amarildo vivait dans la plus grande favela d’Amérique du Sud, Rocinha. Après son arrestation, personne ne l’a plus revu. Ce destin n’a rien d’inhabituel chez nous. Ce qui l’est moins, c’est le refus catégorique de passer l’éponge. Mais ce fait isolé mérite d’être replacé, là encore, dans son contexte. Pour la première fois peut-être, la classe moyenne se trouve l’objet de la répression policière, parce que c’est elle qui défile dans la rue. Cette situation crée un effet de solidarité inédite avec les habitants des favelas, qui permet de déconstruire le vieux paradigme de la répression qui opposait, traditionnellement, les pauvres, cette classe dangereuse et répugnante, aux bourgeois, cette classe pacificique et respectable. Voilà, me semble-t-il la grande nouveauté.
Cette situation crée-t-elle une chance accrue de changement ?
Il est incontestable que les manifestants ont déjà obtenu des résultats. Des hommes politiques importants sont sur la sellette, à commencer par Sergio Cabral, l’actuel gouverneur de l’Etat de Rio. Des pratiques de complaisance, ou de détournements de fonds, sont désormais interdites – comme cette pratique qui permettait à des députés de se déplacer en famille dans des avions affrétés sur les deniers publics. Il est certain que des espoirs seront trompés, déçus ou détournés. Mais il est non moins certain que la corruption d’Etat est soumise à un contrôle beaucoup plus élevé. Et ce point est la clé, chez nous, de tout changement possible.
*Photo: Media Ninja.
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