Au Brésil, le 8 janvier, le président Lula déploiera toute une mise en scène pour évoquer les attaques au Congrès National survenues l’an dernier à la même date1, afin de se relégitimer et de rappeler le péril « fasciste ». Le peuple de droite, lui, est désorienté et désespéré. La correspondance de Driss Ghali.
Il avait promis de la bière et de la viande de première catégorie en cas de victoire. Au pouvoir depuis un an, Lula n’a pas tenu parole. Les Brésiliens n’ont pas vu leur condition s’améliorer, trop souvent le frigo est vide. Ils sont plus de vingt millions à souffrir de la faim et soixante-dix millions à connaître des difficultés à s’alimenter. Mais, leur nouveau président et la classe politique en général ont vécu une année faste. Et les délices ne sont pas près de s’épuiser.
Pour commencer, Lula a fait « chauffer » la carte de crédit attribuée à la présidence : il a dépensé en 2023 au moins trois fois plus que son prédécesseur en 2022 ! Il a également redécoré la résidence officielle et le palais présidentiel : un nouveau tapis pour plus de 20 000 euros, un sofa pour 10 000 euros, un parquet tout neuf dans les 20 000 euros etc. Au total, quatre millions d’euros ont été engloutis dans des travaux de rénovation, ni urgents ni nécessaires.
Bon vivant, Lula voyage beaucoup à l’étranger où il a passé plus de soixante jours l’an dernier. Il aime descendre dans les meilleurs hôtels et non dans les ambassades contrairement à son prédécesseur. Le seul voyage à New York pour participer à l’Assemblée Générale des Nations Unies a coûté 1,5 million de dollars aux contribuables brésiliens. Ces derniers ont été ravis d’apprendre que les voyages présidentiels ont coûté dans les 20 millions d’euros, hors frais de transport aérien.
Lula a carte blanche
Et peu importe que des budgets essentiels comme celui de l’alphabétisation ou de la santé aient été coupés pour contrôler le déficit. Personne n’a rien trouvé à dire.
La presse, jadis intraitable avec Bolsonaro, regarde ailleurs. Le « retour de la démocratie » et la proximité idéologique anesthésient l’esprit critique. Il faut dire aussi que Globo, le leader de l’audience TV, a vu ses recettes publicitaires commanditées par le gouvernement fortement augmenter depuis l’arrivée de Lula. Les artistes se taisent aussi, ils viennent de recevoir une excellente nouvelle : les subventions publiques pour le secteur culturel ont été multipliées par cinq en 2023, dépassant les cinq milliards d’euros. Cela explique certainement pourquoi ils ne protestent pas devant l’augmentation de la déforestation (+20%) dans le Cerrado, la savane brésilienne, considérée comme le château du Brésil. Ils nous avaient habitués à une conscience environnementale plus aiguisée du temps de Bolsonaro…
Du côté de l’opposition, l’argent coule à flot, réduisant à néant ou presque l’envie de s’opposer à Lula. Les députés de droite ont été, en grande partie, cooptés par le gouvernement au travers d’un mécanisme de corruption officiel et légal, nommé « emendas parlamentares ». Il s’agit de budgets attribués aux parlementaires qui peuvent les dépenser comme bon leur semble dans leur district électoral : en construisant des ronds-points, des dispensaires, des salles de sport etc. Cette année, ils ont reçu plus de quatre milliards d’euros ! De quoi modérer l’esprit rebelle de nombreux députés conservateurs.
Le chef suprême de l’opposition, lui, a été neutralisé. Bolsonaro a été déclaré inéligible en juin dernier. Il ne pourra participer à aucune élection durant les huit prochaines années. On lui reproche d’avoir critiqué le système de vote électronique devant un parterre d’ambassadeurs étrangers en 2022. Une broutille devant ce qui a été reproché à Lula à l’époque, décisions de justice à l’appui : corruption et blanchiment d’argent.
Justice d’exception
Et quiconque ose « moufeter » à droite s’expose aux terribles sanctions de la cour suprême (STF), de gauche et absolument acquise à l’agenda progressiste. Elle a condamné à des peines lourdes, 17 ans de prison ferme, des anonymes, hommes et femmes sans casier judiciaire, pour avoir participé aux émeutes du 8 janvier 2023 à Brasília. 17 ans fermes dans un pays où un homicide amène habituellement une condamnation de l’ordre de 6 à huit ans selon les cas… Une telle sévérité est d’autant plus insupportable que personne n’a été tué lors de la journée du 8 janvier 2023. Les émeutiers ont certainement été stupides et imprudents, mais ils n’ont pas fait couler le sang. Et de toute façon, ces peines sont illégales car prononcées par la cour suprême qui n’a pas compétence à juger de simples citoyens.
On a laissé mourir en prison, Cleriston Pereira, un homme de 46 ans, diabétique et hypertendu et au dossier médical lourd. Ses avocats ont alerté la cour suprême à plusieurs reprises, demandant sa libération immédiate mais celle-ci a refusé de lever sa détention préventive. Il est mort dans la prison de Brasília en novembre dernier. Un traitement inhumain dans un pays où l’on libère les barons de la mafia, au casier judiciaire long comme le bras, pour vice de forme.
Le message est clair : il ne fait pas bon être de droite et il est très imprudent de manifester contre le gouvernement quand on est de droite.
Il va sans dire que l’opinion publique de droite est dévastée. Elle ne comprend pas le silence de Bolsonaro qui n’a pas bougé le petit doigt devant les exactions de la cour suprême. Elle se sent impuissante devant l’apathie et la trahison manifeste de nombre de ses représentants au parlement et au sénat. Cruelle désillusion car les élections de novembre dernier avaient envoyé un record d’élus conservateurs aux deux chambres. Le peuple de droite est désorienté et désespéré. Les pasteurs évangélistes font profil bas et les rares journalistes et influenceurs qui osent critiquer le statu quo sont persécutés (démonétisation de leurs réseaux sociaux) et poussés à l’exil (tel est le cas de Monark, Paulo Figuereido, Allan dos Santos).
Cela dit, Lula ne se fait aucune illusion. Ses « lives » sur les réseaux sociaux sont des flops retentissants, tout le contraire des prestations de son prédécesseur du temps où il était encore aux affaires. Plusieurs marques qui ont embauché des artistes ou des influenceurs lulistes s’en sont mordus les doigts car le grand public les a punis via des campagnes de boycott massives. Ce fut le cas du chocolat Bis, lié à l’influenceur de gauche Felipe Neto. En ce début d’année 2024, le Brésil s’enfonce dans une sorte d’entropie politique. La légitimité des institutions est au plus bas, l’opinion publique se replie sur ses problèmes concrets (faim, chômage, insécurité) et la presse ainsi que la société civile sont plus que jamais déconnectées du pouls de la nation. La démocratie tourne à vide, insouciante de son impopularité, assurée que les impôts d’un pays riche et surtaxé se déversent sans faute à ses pieds. À Brasilia, la capitale honnie, séparée du peuple par plusieurs centaines de km, les loyautés se vendent au plus offrant, quitte à brader le semblant d’État de droit qui reliait encore les Brésiliens au monde civilisé. Oui : tristes tropiques.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Invasion_de_la_place_des_Trois_Pouvoirs ↩︎