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Brésil : le retour de la monarchie impériale ?

Une idée qui n’a jamais disparue de la scène politique locale.


Brésil : le retour de la monarchie impériale ?
Le président Jair Bolsonaro, le 22/10/22 / PHOTO : Andre Penner/AP/SIPA / AP22732407_000001

Le 7 septembre 2022, en pleine campagne présidentielle, le Brésil a commémoré le bicentenaire de son indépendance. En grande pompe. Dans la tribune d’honneur, aux côtés de Jair Bolsonaro, un homme est tout sourire devant le spectacle qui s’offre à lui. Dom Bertrand d’Orléans-Bragance est le descendant des empereurs brésiliens qui ont régné entre 1822 et 1889. Il est à la tête du mouvement monarchiste qui agit comme une ombre constante derrière le dirigeant sortant et qui s’est progressivement imposé durant tout le premier mandat de ce dernier. Aujourd’hui, il œuvre pour sa réélection.


En juin 2022, São Paulo a accueilli un congrès anodin. Réunis dans un hôtel de la capitale de l’État du même nom, des centaines de personnes se sont rassemblées afin d’accueillir des hôtes de marque. Face à la tribune centrale, un drapeau aux couleurs de l’Empire brésilien. Le Brésil n’a connu que deux empereurs, Dom Pedro Ier et Dom Pedro II, aux styles différents, mais dont les règnes (entre 1822 et 1889) ont marqué le subconscient des habitants de ce pays d’Amérique du Sud, le plus grand du continent. En entrant dans la salle de réunion de l’hôtel, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, héritier au trône, est chaleureusement applaudi par les participants. Tous sont convaincus que les maux du Brésil se volatiliseront avec le retour de la monarchie.

À 81 ans, l’héritier au trône peut se réjouir des résultats accomplis. Avec l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, ce sont ses idées conservatrices qui ont triomphé au Brésil et qui ont pénétré dans les plus hautes sphères politiques du pays. Dans l’ombre du tonitruant leader d’extrême-droite, Olavo de Carvalho, un essayiste devenu une référence chez les traditionalistes. Considéré comme le gourou du gouvernement, il dénonce régulièrement la « pensée unique de la gauche » et le marxisme culturel dans les médias et universités du pays. Rejetant la théorie darwiniste de l’évolution, il est celui qui a favorisé la nomination d’Abraham Weintraub, ministre de l’Éducation (2019-2020,) et d’Ernesto Araujo, ministre des Affaires étrangères (2019-2021), deux monarchistes notoires. Ce dernier a même organisé une rencontre, quelques jours après sa nomination, avec le prétendant au trône et quelques élus du parlement acquis à sa cause. Olavo de Carvalho, qui est également un partisan acharné du retour de la monarchie, n’a pas hésité à proclamer en 2016 sur son compte Twitter qu’il « se tiendrait aux côtés de la maison impériale si celle-ci se bat pour la restauration ».

Les élections générales de 2017 ont marqué le retour des monarchistes au parlement. Parmi lesquels le neveu du prétendant au trône, le prince Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance, un temps pressenti pour prendre la vice-présidence du gouvernement. Non-dynaste, il est actuellement considéré comme le dauphin de Jair Bolsonarao avec lequel il s’affiche régulièrement. Le descendant de Dom Pedro II est un monarchiste passionné et à l’origine d’un projet de constitution commandé par le président brésilien lui-même, où l’on retrouve en bonne place la possibilité de restaurer la monarchie. Infatigable parlementaire, il tweete aussi vite qu’il instagrame, suivi par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux dont il se méfie pourtant. D’ailleurs, ce nationaliste n’a pas hésité à signer un accord d’association avec l’ancien président américain, Donald Trump, et accepté un poste de directeur financier au sein d’un nouveau groupe, né de la fusion de Digital World Acquisition Group, de Trump Media et de Technology Group, qui a donné naissance au réseau social Truth Social. Les cibles du prince: les partis de gauche en Amérique du Sud et l’ancien président Lula da Silva, qui va affronter Bolsonaro au second tour de l’élection présidentielle prévu le 30 octobre prochain.

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Le groupe monarchiste parlementaire compte 15 députés, élus sous diverses couleurs politiques, qui se sont affichés avec un drapeau impérial, et qui ont même réussi à l’imposer comme emblème national dans l’État de Rondônia. Tant et si bien, qu’une pétition (ayant recueilli le quorum obligatoire) a été vainement soumise au Sénat afin que la chambre accepte de valider la mise en place d’un référendum sur le rétablissement de la monarchie. Une question qui a été déjà posée aux Brésiliens en 1993, mais qui n’avait recueilli que 13% des voix en sa faveur. Un échec pour la maison impériale, principalement expliqué par de profondes divisions internes et les manœuvres des partis républicains qui se sont ligués pour couper l’herbe sous les pieds des monarchistes au moment où les sondages se montraient largement favorables à l’idée monarchique (aujourd’hui, on évoque 20% des Brésiliens qui souhaiteraient le retour d’un « imperador »). Un groupe royaliste se maintient puisque certains d’entre eux ont été réélus lors de la dernière élection législative d’octobre 2022. Ils siégeront aux côtés du Parti Libéral de Bolsonaro (dont quelques-uns sont des membres notables, comme la journaliste Carla Zambelli, pasionaria monarchiste) et leurs alliés qui dominent toujours le Congrès et le Sénat.

Face à ce succès qui se poursuit, Dom Bertrand se veut confiant dans l’avenir. En marge de sa rencontre avec les élus de la République au ministère des Affaires étrangères, il avait déclaré à la presse « avoir trouvé des interlocuteurs qui partagent ses positions, en complète harmonie ». Francophone, le prince impérial est le coordinateur et le porte-parole de Paz no campo (Paix dans les champs), un mouvement qui défend les propriétaires terriens contre les « sans-terre » et les Indiens dont il souhaite l’évangélisation générale. Membre du mouvement ultra-catholique Tradition, famille et propriété (TFP) qui rejette l’esprit de 1789, Dom Bertrand est un opposant au mariage pour tous. Il a d’ailleurs participé aux rassemblements français de la Manif’ pour tous en 2013, considérant « l’homosexualité comme une déviance telle que la doctrine catholique le perçoit », souhaitant l’abolition du divorce (c’est un célibataire endurci) et la fin du droit à l’avortement… Auteur d’un livre très controversé, intitulé Psicose Ambientalista (Psychose Environnementaliste), cet ancien réserviste de l’air, très introduit dans les milieux militaires (dans les années 1980, ils ont offert une couronne à son père), dénonce régulièrement les thèses sur le réchauffement climatique, « ces canulars créés par les écologistes radicaux et par les éco-terroristes » selon lui.

Des thèses et des positions qui font écho aux propos tenus à diverses reprises par Jair Bolsonaro. Reçu au palais présidentiel le 22 août dernier, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance a été un invité d’honneur, installée dans la tribune présidentielle, pour les festivités du bicentenaire de l’indépendance. Une proximité qui ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la maison impériale. Une partie de ses membres déplore publiquement ce soutien à Bolsonaro, estimant que ce manque de neutralité est contre-productif pour l’idée monarchique et que le mélange des genres ne permettra pas la restauration de l’institution impériale à court terme.




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Journaliste , conférencier et historien.

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