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Bouteflika, candidat post-mortem?

Candidat à un cinquième mandat, le président algérien est en bout de course


Bouteflika, candidat post-mortem?
Abdelaziz Bouteflika, président de l'Algérie, 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22181214_000009

La nouvelle fait déjà beaucoup sourire à l’étranger : Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, postule à sa propre succession à l’élection présidentielle de 2019. Cet homme assis dans un fauteuil-roulant après un A.V.C., est absent physiquement de toutes les manifestations populaires et politiques depuis des mois. Remplacé par une photo. Comment l’un des pays les plus jeunes du pourtour méditerranéen peut-il encore confier son destin à un octogénaire dont l’existence même est remplie de mystère ? 


Réputé pour son amour débordant des jolies femmes, Abdelaziz Bouteflika est un pur produit de la guerre d’Indépendance. C’est en grande partie ce conflit qui en a fait un animal politique. Un habile stratège et un séducteur patenté armé d’un cynisme aiguisé.

Dans la garde rapprochée de Boumediene

Né en 1937 à Oujda au Maroc au sein d’une famille originaire de Tlemcen, le jeune Abdelaziz est initié au nationalisme dans les rangs des scouts musulmans, véritable vivier de futurs moudjahidines (« combattants » en arabe). En 1956, il intègre « l’Armée des frontières » basée au Maroc. Il ne connaît pas l’épreuve du feu mais va progressivement grimper les échelons de l’appareil clandestin au sein d’un petit groupe destiné à jouer un rôle central durant la guerre puis après l’indépendance : le clan d’Oujda. Centré autour de deux hommes, le colonel Boumediene et le colonel Boussouf, sorte de « Béria local », ce groupe fortement politisé et armé va progressivement mettre la main sur l’appareil du Front de Libération nationale (FLN) puis sur l’Algérie à partir de 1965. Bouteflika devient rapidement le secrétaire de Houari Boumediene. Il supervise à la fin de la guerre les troupes basées au sud du pays, à la frontière malienne.

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Proche de Houari Boumediene, Bouteflika est partie prenante du coup d’Etat contre Ben Bella le 19 juin 1965. Habile apparatchik, il devient sous Boumediene un jeune ministre des Affaires étrangères soucieux de faire de l’Algérie le chantre du Tiers monde. Il ouvre des négociations avec la France en faveur de l’émigration économique en signant l’accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, voyage énormément et se fait un solide carnet d’adresses.

Disgrâce et exil

Lorsque son mentor meurt, Bouteflika connaît une période plus trouble. Pourtant ministre d’État sous Chadli Bendjedid, il est accusé d’extorsion de fonds et doit s’exiler de 1981 à 1987 où il se lance dans des affaires fructueuses.

De retour au pays, il va, en bon spécialiste, comploter, ferrailler en interne et réussir à gravir pas à pas les sommets de l’appareil du FLN qui monopolise le pouvoir avec la compagnie pétrolière Sonatrach et l’efficace Direction du Renseignement et de la Surveillance. Durant la guerre civile (près de 100 000 morts et un million de déplacés en onze ans), il s’oppose à la ligne dure portée par le président Zeroual et choisit une solution plus conciliante vis-à-vis des islamistes.

Ancien du clan d’Oujda mais aussi ministre de Boumediene, il a pour lui la légitimité historique pour incarner en cette période de guerre civile à la fois l’unité de l’Etat et tenir un discours de paix civile.

1999 : le sacre du fils prodigue

Après les élections « libres » de 1991, la campagne de 1999 est d’une importance cruciale pour le pays. Opposé au socialiste Ait-Ahmed – l’un des « neuf chefs historiques du FLN » -, au libéral Mouloud Hamrouche et à l’islamiste Abdellah Djaballah, « l’indépendant »  Bouteflika gagne l’élection dès le 1er tour avec 73,5 % de votants. La réalité est moins lisse puisque les autres candidats se sont retirés du scrutin, reprochant le manque de transparence et les fraudes. Mais qu’importe, conforté par le président Zéroual, seul garant de la stabilité des institutions, Bouteflika est élu président de la République le 20 avril 1999.

Toutes les élections suivantes se déroulent suivant un scénario identique : des opposants inexistants, un président surpuissant aidé par une armée et une entreprise d’Etat et des scores de « démocratie populaire » en sa faveur : 85 % en 2004, 90,2 % en 2009 et 81 % en 2014. La messe est dite. Ou presque.

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Bouteflika reste l’homme de la réconciliation nationale. Il crée des aides financières pour les familles des victimes de l’islamisme, libère les militaires emprisonnés après des exactions contre des membres du Front islamique du salut (FIS)… Malgré les critiques des défenseurs des droits de l’homme, ces mesures sont appréciées par une population désireuse de tourner la page une bonne fois pour toutes.

SOS rente pétrolière

Au niveau économique, la flambée des prix du pétrole permet au pouvoir d’enchaîner les grands chantiers : métro d’Alger, amélioration des voies de communication, construction d’une grande mosquée. Sous-traités à des entreprises étrangères ne créant que très peu d’emplois locaux, ces chantiers nourrissent souvent la frustration des jeunes chômeurs. Devenus les premiers partenaires économiques d’Alger, les Chinois y amènent leurs ouvriers célibataires qui ne se mélangent que très peu avec la population locale. Une certaine xénophobie commence à éclore dans un pays ayant rompu tout contact avec l’altérité depuis l’exil des pieds-noirs en 1962.

Sous Bouteflika, les scandales financiers (Khalifa, Sonatrach…) s’enchaînent au cœur de la caste mêlant hommes d’Etat, militaires et nouveaux riches qui se partagent la rente pétrolière tandis qu’une grande partie du peuple affronte le chômage et la pauvreté.

Culturellement, l’Algérie de Bouteflika souffre de schizophrénie. Berbérophone ? Arabophone ? Francophone (la langue de l’ancien occupant) ? Socialiste ? Islamique ?… ou tout à la fois ?

Recherche identité désespérément 

Tiraillée entre une frange « occidentaliste et francophile » et une tendance « national-islamiste » dont les têtes pensantes étaient formées à Kairouan ou au Caire, l’Algérie peine à définir son identité culturelle. La guerre civile a forcé Bouteflika à donner des garanties aux conservateurs. Dans la ligne droite de la politique d’arabisation de Bendjedid, Bouteflika a fait fermer en 2006 quarante-deux établissements francophones tout en scolarisant sa famille dans des établissements privés tenus par… des prêtres français.

Le Printemps noir des Kabyles en 2004 a également obligé le gouvernement à offrir des garanties linguistiques et culturelles à ces irréductibles montagnards culturellement humiliés mais très présents au sein des armées ou de la police.

Au niveau diplomatique, l’Algérie de Bouteflika reste dans la ligne tiers-mondiste de Ben Bella et Boumediene. Soutien déterminé des Palestiniens, l’Algérie a toujours ses frontières fermées à l’ouest avec son voisin marocain. Elle s’est également rapprochée des Américains, notamment sur les questions de sécurité tout en restant très attachée à son armurier russe.

L’exception algérienne

Avec la France, c’est une autre affaire. L’ancienne puissance coloniale garde des intérêts économiques importants en Algérie même si la Chine l’a dépassée et que les Italiens arrivent à grands pas. Bouteflika a toujours eu un rapport conflictuel avec la France fait de mépris et d’admiration. Ancien moudjahidine, il surjoue souvent les contentieux historiques en période de crise tout en se faisant soigner aux hôpitaux de Grenoble et du Val-de-Grâce…

Dans un monde arabo-musulman secoué par les printemps arabes, l’Algérie est une exception. Dernier pays se revendiquant encore du socialisme, il est également le seul à avoir obtenu son indépendance après une guerre brutale et le premier à avoir subi l’islamisme avec les années noires.

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Mais le pays a changé. Il est jeune, connaît l’un des pires taux de chômage d’Afrique (17 % en 2014) et son pétrole n’est pas éternel. La majorité des forces vives du pays ne pensent qu’à décrocher un visa pour la France ou l’Amérique.

Malgré la grogne sociale, qu’illustrent les manifestations de ces cinq dernières années, et le caractère surnaturel de sa candidature, Bouteflika reste un symbole. Il est à la fois le dernier représentant des « résistants de 1962 », avec ses travers et ses espoirs mais aussi l’homme de l’unité recouvrée en 1999. Son maintien acharné au pouvoir montre l’inertie de cette société qui n’a pas su réellement relever le défi démocratique. Si les années noires ont vacciné la population contre toute dérive islamiste, aucune alternative crédible n’émerge pour le moment.

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