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Bousquet-Mitterrand: la mémoire sélective de Robert Badinter

Badinter est resté fidèle à Mitterrand.


Bousquet-Mitterrand: la mémoire sélective de Robert Badinter
Robert Badinter, le 29/03/22 / PHOTO: RAPHAEL LUCAS/SIPA / 01069716_000020

Dans son dernier livre Le procès Bousquet. Haute Cour de Justice 20-23 juin 1949, Robert Badinter donne des éléments importants sur le procès Bousquet, mais omet les relations entre Bousquet et Mitterrand.


Robert Badinter est infatigable. A l’âge canonique de quatre-vingt-quatorze ans, l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand publie un nouveau livre, intitulé Le procès Bousquet. Haute Cour de Justice 20-23 juin 1949. Selon son auteur, ce livre constitué des comptes-rendus sténographiques du procès de l’ancien directeur de la Police de Vichy pose la question suivante : « Au-delà de l’intérêt historique que présente ce déni de justice, demeure une question essentielle : comment la Haute Cour a-t-elle pu acquitter René Bousquet et lui délivrer un véritable brevet de Résistance ? » 

Badinter avait déjà publié l’an dernier une pièce de théâtre, « Cellule 107 » dans laquelle il imaginait la rencontre entre Bousquet et Laval, à la veille de l’exécution de ce dernier à la prison de Fresnes. Pourquoi cet intérêt soudain pour la figure de Bousquet, de la part de Robert Badinter ? Une réponse possible nous est donnée par l’intéressé lui-même, dans une interview avec l’historien Laurent Joly. Lorsque ce dernier lui demande pourquoi Bousquet n’a jamais été jugé pour ses crimes, Robert Badinter répond que l’ancien fonctionnaire de Vichy était atteint de la maladie d’Alzheimer, ce qui aurait invalidé selon lui tout nouveau procès. « Vous imaginez Bousquet sénile dans le box, répondre de crimes commis cinquante ans plus tôt ? » demande Badinter.

En vérité, la raison principale pour laquelle René Bousquet n’a jamais été jugé tient sans doute à de toutes autres raisons, à savoir les relations étroites qu’il entretenait depuis la guerre dans différents milieux haut-placés, et notamment avec François Mitterrand. Il faut réécouter l’interview que ce dernier avait accordée à Jean-Pierre Elkabach en 1994, pour mesurer le gouffre qui sépare le discours de Badinter de celui de son ancien mentor. Mitterrand avait alors choisi de répondre aux questions d’Elkabach, en direct de l’Elysée, après la parution du livre de Pierre Péan, Une jeunesse française, pour tenter de répondre aux accusations concernant ses fréquentations pendant la période de Vichy.

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Quand Elkabach interroge Mitterrand sur l’aveuglement de tous ceux qui ont fréquenté Bousquet après la guerre, et lui fait remarquer que « moralement, vous ne pouvez pas l’acquitter », le président de la République a cette réponse étonnante : « Aveugles sur quoi ? Mais de quoi me parlez-vous ? Ils sont en face d’un homme qui a été acquitté par la Haute Cour de Justice ! » Mitterrand s’en tient donc à la version bien commode d’un Bousquet innocenté et « bien sous tous rapports », dont personne ne pouvait alors soupçonner les crimes. Ce qui n’empêche pas son ministre de la Justice de l’époque de dénoncer aujourd’hui la « parodie de justice » et le « scandale judiciaire » du procès de 1949.

Robert Badinter, qui a gardé toute sa tête, semble pourtant avoir la mémoire sélective quand il est question de François Mitterrand. Face à l’historien Laurent Joly, il se lance ainsi dans une diatribe dirigée contre… les manifestants qui avaient hué François Mitterrand, lors de la commémoration du Vel d’Hiv, en juillet 1993[1]. « C’était honteux ! » s’exclame Badinter, en repensant trente ans plus tard à sa fameuse colère d’alors, dont les images avaient fait le « buzz ». « Il y a un moment où la politique doit cesser », explique encore l’ancien proche de Mitterrand, ajoutant « cet incident monté de toutes pièces m’a fait horreur ». Badinter, contrairement à plusieurs des amis juifs du Président (Jacques Attali ou George-Marc Benamou notamment) n’a en effet jamais changé d’attitude envers François Mitterrand. Comme celui-ci à l’égard de Bousquet, il est fidèle en amitié. Le livre qu’il vient de publier est sans doute une pièce importante à verser au dossier de l’affaire Bousquet. Mais il ne nous apprendra rien des relations entre Bousquet et Mitterrand ni de l’admiration que Badinter voue encore à ce dernier.

Le procès Bousquet. Haute Cour de Justice 20-23 juin 1949, Robert Badinter, éd. Fayard, 512 p., 25€.

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[1] J’ajoute pour être complet que je me trouvais moi-même en première ligne parmi les manifestants.



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