En septembre 1970, disparaissait le plus populaire des acteurs français. Sa tendresse nous manque toujours autant…
La gentillesse, la vraie, non truquée, non trafiquée, est une tare dans nos sociétés venimeuses. On s’en méfierait presque. Elle est, au pire la marque d’une faiblesse de caractère ; au mieux, une innocence béate donc suspecte. Dans les deux cas, elle disqualifie l’Homme et ridiculise l’Artiste.
Made in Normandie
Pour réussir dans les professions aventureuses, il faut être rusé, finaud, barricadé dans ses certitudes et imperméable au jugement des autres. Pour se maintenir dans le succès, il faut être méchant, vorace, sournois, jaloux et volontiers despotique avec son entourage. Sinon, la caravane passe et vous laisse sur le trottoir avec vos rêves de gloire envolée. Le cynisme des gens du spectacle est une manière de se protéger et d’avancer coûte que coûte. Car, il est si facile d’abandonner aux premières critiques. L’égo se froisse si vite. L’éreintement fait pourtant partie du quotidien de l’homme en scène. Les mauvais papiers forgeront son tempérament et sa capacité à résister aux productions les plus ineptes.
À de rares exceptions, rencontrer des vedettes de premier ordre en dehors des plateaux ou des studios se révèle une expérience assez traumatisante. L’image est trompeuse, le décalage hors-champ est plus que déroutant. Complètement absentes ou absolument tyranniques, effacées jusqu’à l’extrême ou vibrionnant de suffisance, ces stars de cinéma sont souvent inadaptées à la vie courante. D’humeur changeante et vides de sens, elles semblent seulement animées par leur carrière et sont soucieuses de leur effet sur les masses. Elles partagent avec les fauves politiques et les capitaines d’industrie, les mêmes sautes d’humeur, les mêmes dérèglements psychologiques. Il y en a un qui échappait à la sauvagerie de son biotope, qui ne capitalisait pas sur des réflexes de survie, qui laissait filtrer une tendresse débordante, voire déconcertante, dans un monde drapé dans une ironie froide.
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Il ne laissait pas l’ire commander son comportement. Avec un autre, on aurait ri, on se serait moqué, on aurait trouvé cette farce paysanne un peu trop démago ; avec lui, l’émotion cantonale nous submerge, nous emplit d’une candeur réjouissante. Nous n’avons plus honte de nos élans romantico-ruraux. Nous sommes « Made in Normandie ». Et notre cœur bat du côté des faibles et des humiliés, des besogneux et des naïfs, de tous les empêtrés de l’existence. Nous faisions corps derrière lui, il était notre rempart à la méchanceté et à la bêtise ambiante. Au lieu de nous faire rougir, ses maladresses nous enorgueillissaient.
Avec Bourvil « des concerts parisiens et de la banlieue aussi », l’innocence avait des accents lunaires et poétiques, une forme d’humanité enfin retrouvée. Il nous rendait notre dignité perdue par des chansons aigres-douces à la sensibilité affleurante et des rôles de quidam broyé par la foule. Il éloignait les malfaisants par cette onde bienveillante tellement originale et salutaire.
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Peu de grands comédiens se sont risqués dans cette voie périlleuse où le moindre écart pouvait sonner faux, où la moindre intonation pouvait heurter le public par une sorte d’excès troupier, un chemin si souvent emprunté par les comédiens de sa génération. Avec Bourvil, nous n’étions plus dans la concurrence, le marché, la gagne à tout prix et le camouflage sentimental. Il osait l’impensable : la simplicité rieuse avec ce brin de désenchantement qui ne voulait pas dire découragement mais acceptation de son sort. Il savait fendre l’armure, sans mièvrerie, sans calcul, sans tactique, avec comme armes, la sincérité et le « bon cœur ».
Magie facétieuse
Bourvil fut ce professionnel-là, immensément populaire et respecté, adulé et inclassable.
Prodigieux dans la comédie ou le drame, avec ce style cahotant de drôlerie et de non-dits, le souffre-douleur du cinéma français ne laissait personne indifférent. Les plus blasés d’entre nous s’adoucirent à son contact visuel. On ne peut pas revoir « Le Cercle rouge » de Melville sans penser à sa souffrance. La maladie allait l’emporter. Dans la série « Une maison, un artiste » diffusée sur France 5 (en replay sur Pluzz), Dominique Thiéry a réalisé un très joli documentaire sur la villa de Montainville dans les Yvelines achetée en 1955 par l’acteur, il a notamment interrogé ses fils sur la relation que leur père entretenait avec ce « val perdu ». Une manière de mieux comprendre l’homme et de saisir sa magie facétieuse.
Une maison, un artiste – Bourvil : son petit val perdu en streaming – Replay sur France 5