Homme de théâtre qui a tout sacrifié à son art, Michel Bouquet a emporté avec lui une idée radicale de son métier. Une intransigeance de l’acteur qu’il s’est efforcé d’exercer comme un sacerdoce.
Michel Bouquet est mort, et c’est un monde qui meurt avec lui. Il emporte dans le tombeau une époque dont il était l’acteur, des auteurs dont il était l’interprète, des acteurs dont il était le partenaire. Les trois derniers grands acteurs étaient, selon moi, trois Michel : Serrault, Galabru, Bouquet. Trois clowns tragiques, trois maîtres de leur art, trois personnalités écrasantes, trois fous. Ils sont désormais tous partis et nous laissent dans un monde bien raisonnable dans lequel leur folie ne sera plus là pour nous tirer de notre petit confort à nous satisfaire de peu.
Les adieux de Bouquet à la scène eurent lieu au Théâtre de la Porte Saint-Martin, dans le costume d’Orgon dessiné par Christian Lacroix, aux côtés de Michel Fau qui jouait Tartuffe et signait la mise en scène. Il avait alors 91 ans et, chaque soir, se pliait à cet art si difficile, à ce sport de haut niveau, à cette discipline de fer qu’est le grand rôle en alexandrins. Je l’ai vu quatre fois. Il était, certains soirs, plus fatigué que d’autres, certes, mais soudain, le personnage et le rythme des douze pieds répétés infiniment l’emportaient. Il entrait alors dans une sorte de transe, de fureur parfois, le regard devenait tragique, la voix s’amplifiait et allait frapper les murs les plus
