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Tiens, voilà du Boudard!


Tiens, voilà du Boudard!
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Audiard avait du flair. On pouvait tout lui reprocher : ses dialogues recyclés jusqu’à la corde, ce parfum Vieux Paris qui prend à la gorge et sa casquette à carreaux afin d’amadouer le populo. Sauf que le p’tit cycliste du XIVème savait lire. Un vrai lecteur qui s’empiffre de mots pour tenter de surnager dans le cloaque de l’après-guerre. Et pas l’un de ces bachoteurs qui lisent pour briller en société ou ces énarques qui fichent la littérature comme on parque des sans-papiers.

Lorsqu’il tombe sur  La métamorphose des cloportes, histoire d’un ex-prisonnier qui cherche à retrouver ses anciens complices et les faire casquer, derechef, il  achète les droits. Comme d’habitude, il réunit sa « dream team ». Il hèle l’ami Simonin, pilier essentiel de l’édifice, qui se chargera de l’adaptation, Pierre Granier-Deferre se colle à la mise en scène et lui, se réserve une quarantaine de répliques censées faire rire la France du Général. Au casting, que du beau monde estampillé « France 1965 » : Lino Ventura, Pierre Brasseur, Charles Aznavour, Maurice Biraud, Georges Géret et la caution féminine, l’intrépide Françoise Rosay, toujours prête à refourguer de la belle marchandise. Rien de ce qui transperce les portes blindées ne lui est étranger. Dans le chalumeau ou, plus tard, le papier monnaie (Le cave se rebiffe), elle est redoutable d’efficacité. Le roman publié chez Plon est l’œuvre d’un inconnu.

Un certain Alphonse Boudard (1925-2000), son pedigree interpelle la Rive Gauche plus habituée à voir des Normaliens emprunter la carrière des lettres que des loquedus de son espèce. Il se définit ainsi : « Engagé volontaire, Blessé du poumon, Croix de guerre 1939-1945, Agrégé de l’Université de Fresnes-lez-Rungis ». Un drôle de coco, casseur de coffre-fort, héros de la Seconde Guerre, taulard et tubard qui débarque dans l’édition française comme un érudit chez Morandini. Michel Tournier craque pour « cette langue brutale et cynique (qui) traduit admirablement l’appétit de vivre ». Plon qui possède dans son catalogue une brochette d’académiciens et de colonels en goguette signe trois livres de cet énergumène pour la somme de 2 000 francs : La métamorphose, La Cerise (Prix Sainte-Beuve) et Les Vacances (prémices des Combattants du petit bonheur, Prix Renaudot 1977, qui paraîtra à la Table Ronde).

Cet ancien repris de justice en a sous le pied et dans le citron ! Quelques malveillants snobent ce « sous-Céline » de l’avenue de Choisy, mais l’immense majorité de la profession reconnait un futur cador. Les plus éminents critiques de l’époque (François Bott, Jean-Louis Bory, etc…) saluent l’artiste. A l’ombre ou à l’hosto, Alphonse n’a cessé de cracher de la copie, une prose argotique pleine de noirceur et de volupté. Un robinet de fiel qui se fait plus mélancolique lorsqu’il évoque son cher XIIIème arrondissement : « Même s’il n’est pas très beau, ce coin, s’il pue l’usine, l’eau de vaisselle, les choux de Bruxelles bouillis, l’habit-chiffons-ferraille à vendre, il ne passe pas par-là, l’homme, sans un regret, sans un regard un peu plus tendre ». Avec un premier tirage d’à peine 6 000 exemplaires, La métamorphose ne casse pas la baraque mais permet à Boudard d’envisager une autre vie, cette fois-ci en dehors des barreaux et des murs clos. Au cinéma, le film ne dépassera pas le million d’entrées ce qui est une contre-performance pour Ventura, déjà star du box-office. Les profanateurs d’Audiard crient à la vulgarité générale du propos et jugent la réalisation trop plan-plan.

Ce film de construction classique n’a pas vocation à révolutionner le 7ème art, il n’en demeure pas moins un agréable divertissement, hésitant entre la farce et la série noire, bien soutenu par la musique de Jimmy Smith et la présence d’acteurs hors-catégorie. Mention spéciale à Aznavour tordant dans son rôle de fakir et à la sensuelle Irina Demick.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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