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Boualem Sansal et les curieux états d’âme de l’Algérie

La chronique géopolitique de Richard Prasquier


Boualem Sansal et les curieux états d’âme de l’Algérie
Défilé militaire lors des célébrations marquant le 70ᵉ anniversaire de la Révolution du 1ᵉʳ novembre 1954, supervisé par Abdelmadjid Tebboune, le 1ᵉʳ novembre 2024 © Algerian Presidency/SIPA

Boualem Sansal, le Soljenitsyne algérien


Boualem Sansal a été arrêté le 16 novembre par la police algérienne, il est détenu pour atteinte à la sûreté de l’État, une incrimination particulièrement grave et je veux exprimer mon admiration pour cet homme qui a fait de la liberté d’expression et de critique sa boussole de vie.

En Algérie, la crise que vit la France démocratique d’aujourd’hui est inenvisageable. C’est un pays où l’armée a le pouvoir, dont elle délègue l’apparence à un président, Abdelmadjid Tebboune, élu il y a deux mois soi-disant par 95% des votants, un chiffre qu’il a lui-même demandé qu’on le diminue pour le rendre plus présentable à l’international… La commission de contrôle a obligeamment baissé à 85%, et ce pourcentage fabriqué ne tient de toute façon pas compte de l’abstention massive, comme en Kabylie.

L’Algérie, pays orwellien

Cet État qui risque de ressembler à celui de Orwell, Sansal en a décrit une dystopie terrible en 2018 dans son livre, 2084 ou la fin du monde. Il fait face avec la seule arme dont il dispose, sa plume.

Boualem Sansal © Hannah Assouline

Comme Soljenitsyne avant lui, il a fait des études scientifiques. Chacun d’eux a puisé dans ses expériences personnelles et a commencé à écrire tard, à plus de 40 ans pour le Russe, qui avait passé huit ans au goulag, à près de 50 pour Sansal, qui, comme haut fonctionnaire au Ministère de l’Industrie a pu approcher quelques-uns des secrets de la décennie noire de lutte contre l’islamisme, une période dont il est aujourd’hui encore interdit de débattre, ce qui a valu à Kamel Daoud le déchainement de la presse algérienne après son prix Goncourt. 

A lire aussi: Jean-Christophe Rufin sur Boualem Sansal: «Le silence n’a jamais rien arrangé»

Inutile de dire que Boualem Sansal, après Le Serment des Barbares, son premier roman, en 1999, qui mettait le doigt sur les non-dits tragiques de la période, a quitté son poste et est devenu écrivain à temps plein.

En 2012, son livre, Rue Darwin, avait reçu le Prix du Roman arabe. Les ambassadeurs des pays arabes avaient réclamé son annulation. Le jury a maintenu son choix et Gallimard a organisé une cérémonie. C’est alors que j’ai fait sa connaissance. Sansal m’a invité en tant que président du Crif, probablement parce que, après les assassinats de Toulouse, il voulait montrer qu’il y avait une autre Algérie que celle d’où était originaire le meurtrier. Je lui ai demandé s’il ne craignait pas qu’on le considère comme un suppôt du Crif, il m’a répondu qu’il n’en avait cure, bien au contraire. J’ai été impressionné.

Le héros de la rue Darwin, revenu de loin dans son Algérie natale à laquelle le rattache le souvenir ambivalent d’une mère adoptive mystérieuse, proche et lointaine à la fois, donne peut-être la clef de l’acharnement de Boualem Sansal à rester dans son pays, et à y témoigner malgré les menaces.

L’accusation de sionisme, une accusation qui vaut anathème, est continuellement lancée contre Boualem Sansal en Algérie. « Marionnette du Crif », ou « du Crif et de la Licra » en sont deux variantes classiques.

Rappelons qu’il y avait en Algérie des Juifs longtemps avant qu’il n’y eût des Arabes sur les terres que ce pays revendique aujourd’hui pour la Palestine. Il n’y en a plus aucun et l’Algérie, prompte à réclamer des Français une repentance sans circonstances atténuantes, n’a aucun état d’âme sur la disparition des Juifs de son territoire. 

Notre dossier: Pour l’indépendance de l’Algérie, coupons le cordon !

Sur certains sites soutenus par le régime, comme «Algérie patriotique», l’Algérie est présentée comme La Mecque de l’anticolonialisme, un phare pour le monde et la cible d’une nouvelle guerre menée par le lâche et génocidaire ennemi sioniste.

Cette rhétorique guerrière est commune aux hiérarques militaires et aux dignitaires religieux qui, malgré les terribles conflits du passé, se partagent le pouvoir et la rente pétrolière. Afficher sa sympathie pour Israël nécessite dans ces conditions un courage exceptionnel.

Dans le livre Le village de l’Allemand, un officier SS est devenu héros de la lutte anti-coloniale. Si en 2008, cette comparaison paraissait saugrenue à certains, on comprend mieux aujourd’hui en Occident, et notamment depuis le 7-Octobre, pourquoi Boualem Sansal établissait un lien entre la barbarie nazie et l’islamisme radical. Il fallait évidemment délégitimer cette réflexion en la déclarant sioniste….

Le « en même temps » d’Emmanuel Macron n’a pas aidé

Il y a donc 25 ans que Boualem Sansal critique le régime algérien. Que s’est-il passé pour qu’il soit arrêté le mois dernier?

Boualem Sansal avait déclaré récemment dans le media Frontières que l’Algérie n’avait pas été un véritable État et que ses confins occidentaux d’aujourd’hui avaient été des terres marocaines. D’où l’accusation de collusion avec l’ennemi, en l’occurrence le Maroc, ou plutôt la coalition néo-coloniale anti-algérienne dont le roi du Maroc est un serviteur et dont la France est un agent. 

A lire ensuite, Henri Beaumont: Les étranges défaites

La presse se déchaine contre la France et son président, d’autant plus attaqué qu’il a multiplié les mots et les gestes pour câliner l’Algérie, dernièrement un épisode particulièrement maladroit du « en même temps », où venant d’affirmer son soutien aux revendications marocaines sur le Sahara occidental, Emmanuel Macron reconnait que le dirigeant historique du FLN Larbi M’Hidi avait été pendu en 1967 par les Français et qu’il ne s’était pas suicidé, comme il était prétendu. « Entourloupette, coup de com, un crime sur un million » ont été parmi les réactions des Algériens qui apprendront trois jours plus tard que le Goncourt revient à Kamel Daoud pour un livre sur la guerre civile algérienne, sujet tabou entre tous….

Il était dès lors tentant, en arrêtant Boualem Sansal, devenu récemment citoyen français, de narguer notre pays dont la diplomatie peine à établir un rapport de force avec l’Algérie aussi bien du fait du passé que de la crainte que le régime ne mobilise les Français musulmans d’origine algérienne et que les Russes ne s’y installent. M. Tebboune n’a-t-il pas déclaré récemment que Poutine est un « bienfaiteur de l’humanité » ? Nul ne sera par ailleurs étonné du silence de LFI, dont la mythologie mélenchonienne est celle-là même que proclament les dirigeants algériens qui depuis des décennies ont mis leur pays en coupe réglée et dont l’admirable Boualem Sansal est aujourd’hui l’otage.

Retrouvez Richard Prasquier au micro de Radio J

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est président d'honneur du CRIF.

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