Dans son dernier roman « Avez-vous l’adresse du paradis ? », François Bott joue les entremetteurs entre huit personnages, des hommes et des femmes, plus ou moins jeunes, qui s’entrecroisent au cours d’un laps de temps donné. L’écrivain se fait alors géographe des intermittences du cœur entre New-York, Paris et la Normandie, bravant les fuseaux horaires et le hasard. Son délicieux récit se découpe précisément en sept journées qui s’étalent du 7 novembre 2010 au 14 juillet 2011.
Rendez-vous manqués, rencontres fortuites, évocations du passé, relations d’un soir, espoirs, chagrins, abandons, les cartes sont sans cesse rebattues dans ce court roman sensible. Qui manipule ces destins ? Y a-t-il une logique à l’existence ? François Bott, général en chef de ce foutoir, tire des lignes de vie, à sa façon, élégante et discrète. Rassurez-vous, ce chassé-croisé amoureux n’a rien d’ésotérique. Nous ne sommes pas ici dans un roman New Age aux idées fumeuses ou dans les pantalonnades du théâtre de boulevard. Le terrain d’expression de Bott est la littérature. La grande a sa préférence. Le journaliste qui dirigeait jadis Le Monde des livres aime nous faire partager son goût pour les auteurs américains notamment Fitzgerald, Hemingway ou le brillant nouvelliste Ring Lardner. On prend donc beaucoup de plaisir à le lire, son écriture limpide dévoile un joli vibrato nostalgique.
En ces temps de rentrée littéraire, un livre bien écrit à la prose harmonieuse est accueilli avec ferveur. Le style de Bott, sa musique rétro entêtante, son émotion contenue, sa mélancolie larbaldienne sont des bouées de sauvetage dans une mer déchaînée. En 2012, il est encore possible d’écrire un roman en langue française qui a de la tenue en faisant fi des modes et des errements de notre époque. Nous avons parfois tendance à l’oublier face au déferlement boueux de septembre dans les librairies. Ce roman qui voit des couples se faire et se défaire est avant tout une formidable déclaration d’amour à la littérature et aux lecteurs. Bott est habile, rusé même, on se dit en ouvrant les premières pages « tiens, voilà un roman d’amour à plusieurs voix bien agréable, troussé à l’ancienne, un sujet conventionnel traité avec talent, mais rien d’original là-dedans » et plus les pages défilent, plus un territoire se dessine. Nous entrons alors dans une cartographie intime.
Un bon écrivain dépasse toujours son histoire en faisant exploser le cadre, son empreinte est toujours ailleurs, dans les interstices. Ne serait-ce que les multiples références littéraires qui parsèment l’ouvrage, elles résonneront longtemps dans votre tête, elles ricocheront et vous donneront envie de relire Flaubert, Proust ou Morand. Si vous êtes sensible comme moi aux villes de province, à leur charme désuet, à la pluie lancinante qui s’infiltre dans les cœurs, aux femmes juste entraperçues qui bouleversent une vie entière, aux rendez-vous manqués et aux quais de gare sordides, ce roman vous tiendra chaud cet automne. Il réveillera en douceur votre spleen. Quelle merveilleuse sensation ! C’est un sentiment tellement plaisant et apaisant de s’abandonner à la mélancolie. Un luxe de nos jours où la performance doit guider chacun de nos pas. Dans sa galerie de portraits, Bott a croqué des caractères dissonants – ce qui rend cette symphonie inachevée tellement plus belle. Vous trouverez, dans ce livre chic et drôle, un père fraîchement quitté et un fils apprenti diplomate aussi ambitieux qu’inexpérimenté, un sosie de Robert Mitchum au cœur tendre, une professeure rousse et désirable, une Lady rejouant l’éducation sentimentale à la terrasse du Dôme, un Gatsby, héritier d’une maison de champagne, échoué dans un Ibis de Laon ou une « madone des parkings » en quête de rédemption. Vous n’êtes pas à l’abri de tomber amoureux de Juliette, une rouquine d’un 1,57 mètre, qui « avait des airs de fête nationale française, même en novembre, même à New-York ».
« Avez-vous l’adresse du paradis ? », François Bott (Cherche midi)
*Photo : Jeff Wignall.
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