La « Borloose »[1. Joli mot emprunté à la volée à une camarade de Médiapart] volume 2. Il y a un peu moins d’un an, Matignon passait sous le nez de Jean-Louis Borloo qui en profitait pour « reprendre sa liberté » en claquant la porte du gouvernement. Dix mois de libre cogitation plus tard, il s’invite sur le plateau de TF1 pour annoncer gravement, trémolos dans la voix, que le puissant esprit de « responsabilité » qui l’anime lui commande de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2012. Traduction : il soutient Sarkozy au premier tour de la présidentielle. Vivats à droite, surprise au centre, et Yade rama toute la soirée… Très « triste » comme toute la petite galaxie borlooiste. On la comprend, tous ces efforts de mise en scène tragique, quasi sacrificielle, pour finir par jeter l’éponge… Pas vraiment glorieux, voire un peu piteux. Au moins l’UMP pourra-t-elle la ramasser, l’éponge, pour tenter de nettoyer ses casseroles.
Pour les rares personnes que la putative candidature Borloo intéressait vraiment, ce retrait était attendu, la seule inconnue en était le moment. Jacques Chirac aimait répéter « les centristes, on les roule dans la farine et on les fait frire ». La première fournée vient donc de plonger dans la friteuse, les autres suivront, car « force est de constater que la dynamique des centres ne s’est pas créée » comme l’a écrit le désormais non-candidat dans une lettre mise en ligne juste après son annonce au 20 heures. Ce n’est rien de le dire.
Je ne prends aucun risque en prenant le pari qu’Hervé Morin, président du Nouveau Centre (NC) crédité d’un bon 1% dans les sondages, empruntera d’ici quelques jours ou quelques semaines un chemin analogue à celui de son camarade de l’Alliance républicaine écologiste et sociale[2. ARES, regroupant le Parti radical, le Nouveau Centre, la Gauche moderne et la Convention démocrate- créée en juin dernier en vue de présenter un candidat unique du centre].Si d’aventure il présente un candidat contre Nicolas Sarkozy, le Nouveau Centre serait laminé dans une confrontation face à l’UMP aux législatives. Le tempérament du député centriste moyen n’ayant jamais été porté skaur le hara-kiri, l’affrontement fratricide n’aura pas lieu.
Ce non événement qu’est le retrait de Borloo révèle une fois de plus le malaise profond du centre en France, qui ne s’est jamais remis de l’éclatement de l’UDF au lendemain de l’échec de François Bayrou à la présidentielle de 2007 et de la caporalisation qui s’en est suivie de la grande majorité de ses sous-ensembles autour de l’UMP. Un centre indépendant politiquement est-il encore possible en France ? François Bayrou veut y croire, il en connaît le prix à payer.
Sur le fond, sa ligne de conduite n’a pas changé depuis qu’il décida en janvier 2006 d’affranchir totalement l’UDF de la droite parlementaire en faisant approuver en congrès une motion définissant sa formation comme un « parti libre et indépendant ». Il y a deux semaines, lors de l’université de rentrée du Modem, il fut incroyablement dur à l’égard du pouvoir. « Les voyous, les truands les trafiquants on les a installés au cœur de l’État » tonnait-il avant de se lancer dans la liste exhaustive de ce qu’il fallait « passer au kärcher : Affaire Karachi, affaire Djouri, affaire Guérini, Affaire Bourgi, affaire Takieddine, affaire Tapie ». « Nous n’avons pas à accepter toutes les compromissions et toutes les soumissions qui ont eu lieu ces dernières années ». Et il prévenait « nous ne serons jamais dans un deal de quelque poil que sera le dealer ».
Le « dealer » de l’Élysée connaît la résolution de fer du leader du Modem et a pris soin de le cajoler depuis quelque temps déjà, le recevant, l’appelant régulièrement, lui demandant conseil en période de gros temps… Une paix armée, en bonne et due forme, qui arrange les deux parties. Après ses cuisants échecs aux européennes et aux régionales, Bayrou a fait le deuil de l’anti-sarkozysme stérile. Et dans la pensée élyséenne, le Modem réduit à une peau de chagrin n’est plus qu’en mesure « de fixer les électeurs de gauche », alors qu’un Borloo aurait ratissé directement sur les plates-bandes présidentielles.
Puisque nous sommes joueurs, nous n’enterrerons pas tout de suite Dominique de Villepin dans la grande bataille du centre pour 2012, mais il semble bien que son vainqueur soit déjà François Bayrou…avec la bénédiction de l’Élysée.
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