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Bordeaux, un vin trop riche?

Dopés par les marchés internationaux, les vins de Bordeaux se vendent à prix d'or


Bordeaux, un vin trop riche?
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Dopés pour les rendre plus épais et charnus, les vins de Bordeaux se vendent à prix d’or sur le marché international. Obsédées par l’intensité des couleurs et par les tanins, les grandes maisons de la négoce bordelaises fonctionnent comme des entreprises de la Silicon Valley : c’est la technologie qui gouverne. Heureusement, quelques rares bordeaux restent accessibles aux bourses et aux palais délicats.


« Pour moi, la supériorité du bordeaux vient de son naturel : il est né de ma terre, de mon soleil et de l’amour attentif que lui voue ma race. […] La première vertu du bordeaux, c’est l’honnêteté », écrivait François Mauriac.

« Quatre-vingt-quinze fois sur cent, la femme s’emmerde en baisant », chantait Brassens, car « s’il n’entend le cœur qui bat, le corps non plus ne bronche pas ». Quand on boit du bordeaux, c’est un peu la même chose… Les vins ont du corps, certes, avec tout ce qu’il faut là où il faut. Mais ont-ils du cœur ? C’est la question que nous aimerions traiter ici.

« Il n’existe de vrai vin qu’à Bordeaux » (Le Bordelais, Philippe Sollers)

Dans les années 1980, l’amateur de bordeaux passait encore pour un type respectable (comme Pierre Desproges, Jean-Paul Kauffmann). Le Bordelais Philippe Sollers pouvait délirer impunément – « Il n’existe de vrai vin qu’à Bordeaux. Je voudrais rendre sensible l’idée que le vin qui n’est pas de Bordeaux est un faux vin. » Il allait jusqu’à faire de sa ville natale l’emblème de « la France des échanges » contre la Bourgogne, symbole, selon lui, de « la France terrienne, avec son esprit paysan de collaboration » (La Guerre du goût). Dans les restaurants, la carte des vins était dominée aux trois quarts par les crus du Médoc et de Saint-Émilion.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé : « Plus aucun sommelier n’ose vous conseiller un bordeaux », soupire, fataliste, le directeur des célèbres caves Legrand à Paris. On n’entend plus beaucoup Sollers. Et ces mêmes châteaux renommés, aux pieds de qui il fallait se prosterner pour obtenir une caisse, n’hésitent plus, désormais, à envoyer des émissaires pour proposer leurs vins aux restaurateurs, qui les refusent avec dédain, pour la plupart, comme si cracher sur le bordeaux était devenu un réflexe, un marqueur idéologique commun à la gauche et à la droite, la première lui reprochant son esprit de classe et son indifférence environnementale (7 % de vignerons bio seulement), la seconde d’avoir trahi l’identité historique de ses terroirs au profit d’un goût formaté et mondialisé. S’il s’est étendu hors de nos frontières, le bordeaux-bashing demeure, pour l’essentiel, un phénomène très franco-français (les exportations continuent à bien se porter). Préoccupée, dans les limites que lui autorise la décence, la place de Bordeaux s’efforce péniblement de restaurer son image. Ainsi, en 2014, la plus importante maison de négoce de la ville, Duclot, filiale de Château Pétrus (67 millions de chiffre d’affaires, 6 000 références, 10 millions de bouteilles stockées dans un chai ultramoderne) n’a-t-elle pas hésité à faire venir à sa tête une femme brillante, sortie major de Centrale, mais qui, de son aveu même, « n’y connaissait rien en vins » (elle a vite appris depuis !) : Ariane Khaida, à qui on donna pour mission de « réconcilier les Français avec Bordeaux. »

En 1982, on pouvait s’offrir un Mouton-Rothschild à moins de 200 francs la bouteille

On rappellera brièvement les raisons de la brouille, bien connues au demeurant. D’abord, il y a la question des prix (grimace des Bordelais aussitôt que l’on prononce ce mot)… Qui se souvient qu’en 1982 on pouvait s’offrir un premier cru classé (un mouton-rothschild par exemple) à moins de 200 francs la bouteille ? Depuis l’an 2000 et l’arrivée de l’Asie sur le marché, c’est impossible. « 2005 fut le millésime le plus cher du siècle », se souvient Pierre Bérot, ancien directeur des caves Taillevent, devenu le bras droit d’Ariane Khaida. « Rien qu’en primeur, Ausone 2005 se vendait déjà 500 euros la bouteille. C’est de cette année que date le divorce avec les Français. »

Comment le brave type qui, depuis toujours, commandait chaque année ses bordeaux préférés en primeur, prévoyant d’en garder quelques caisses pour le mariage de sa fillotte, ne se serait-il pas senti trahi en voyant soudain leur cote s’envoler ? Or, c’est exactement ce qui s’est produit !

Attention, on ne parle ici que des 50 ou des 100 châteaux les plus célèbres de Bordeaux, ceux qui ont fait sa gloire internationale, alors qu’il en existe des milliers d’autres, condamnés à faire bon pour survivre, chez qui on peut trouver d’excellents vins à moins de 15 euros : « Bordeaux est la région où il y a les meilleurs rapports qualité-prix du monde », assure Alain Vauthier, propriétaire du mythique Château Ausone à Saint-Émilion. Aux lecteurs non conformistes de Causeur, nous conseillerons ainsi ces deux perles que sont Château Falfas (Côtes-de-Bourg) et Château Magence (Graves), deux vrais bordeaux « à l’ancienne », produits en biodynamie, merveilleusement frais et digestes, que l’on pourra acheter en direct à moins de 13 euros la bouteille.

« Dans dix ans, si le gouvernement ne fait rien, il n’y aura plus à Saint-Émilion que des vins produits par des banques »

Même à Saint-Émilion, qui est l’un des villages viticoles les plus touristiques du monde, il est possible de trouver des pépites, comme chez François Despagne, propriétaire d’un grand cru classé (Grand Corbin-Despagne) : « Je pourrais vendre tous mes vins à prix d’or aux Chinois si je voulais, mais, contrairement à d’autres, j’ai tenu à garder les clients français qui m’ont toujours soutenu. Trente pour cent de mes vins sont donc en vente directe au château à un prix accessible. » (Vingt-cinq euros la bouteille.) Pour autant, notre homme n’est pas très optimiste. Alors que ses ancêtres cultivaient déjà ici la vigne au XVIIe siècle, lui se bat pour rester l’un des derniers vignerons indépendants du village, où le coût du foncier a atteint des cimes himalayesques, un hectare de vignes de grand cru classé pouvant coûter jusqu’à 5 millions d’euros ! Comme ils ne peuvent plus payer l’impôt sur la succession, les vignerons sont contraints de céder leurs terres à des multinationales : « Dans dix ans, si le gouvernement ne fait rien, il n’y aura plus à Saint-Émilion que des vins produits par des banques et des fonds de pension. »

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Deuxième raison : l’arrogance bordelaise. Egos surdimensionnés. Mégalomanie. Rivalités. C’est à qui aura le chai construit par l’architecte le plus célèbre (Christian de Portzamparc à Cheval Blanc, Norman Foster à Margaux, Wilmotte à Cos d’Estournel), les plus beaux fûts neufs, la meilleure note dans le guide Parker… « Saint-Émilion, c’est moi ! » nous confiait l’an dernier sans rire Gérard Perse, propriétaire de Château Pavie, un vin noir comme de l’encre, que ce millionnaire de génie, ayant fait fortune dans la vente de supérettes, et dont le chai gigantesque tout en marbre évoque le palais de Ceaucescu à Bucarest, a réussi à faire classer grand cru « A » (à l’égal d’Ausone et de Cheval Blanc)… Mais chez les seigneurs du Médoc (la rive gauche formant la quintessence de l’aristocratie bordelaise), c’est pire. Même bien intentionnés, journalistes et sommeliers français y sont reçus comme de la valetaille à qui l’on consent à faire goûter des fonds de bouteilles ouvertes depuis une semaine. On marche sur des œufs. Par exemple, n’allez pas demander aux maîtres de céans si, par hasard, le fameux classement de 1855 commandé par Napoléon III, qui fut établi, comme chacun sait, par les courtiers de la chambre de commerce de Bordeaux sur la base exclusive des prix de vente (les vins les plus chers étaient les mieux classés !) ne serait pas, peut-être (excusez-moi de vous poser cette question), un peu… dépassé, 163 ans plus tard. Sacrilège ! Pour les Bordelais, ce classement est éternel et immuable. C’est leur Coran. Pourtant, combien de premiers crus classés se sont-ils agrandis depuis 1855 et ont fait entrer dans leur premier vin des raisins provenant de terroirs beaucoup moins prestigieux ? Combien, à l’inverse, de modestes cinquièmes crus classés ont fait des progrès fulgurants, comme Château Pontet-Canet, à Pauillac, dont les vins éclatants et profonds n’ont plus rien à envier à leurs voisins premiers crus classés ?

La réputation d’arrogance est aussi renforcée par le fait que la plupart des « grands vins » de Bordeaux sont vendus et distribués par les maisons de négoce qui constituent le cœur de cette machine commerciale unique au monde, créée il y a des siècles, et qui a pour nom « place de Bordeaux ». Cette structure médiévale aussi opaque que puissante a fait connaître Bordeaux dans le monde entier. Mais, vu de l’extérieur, l’amateur la perçoit aussi comme une machine froide lui interdisant d’acheter les vins en direct au château. Pour tailler une bavette avec le vigneron, sentir l’odeur de son chai et déguster ses vins sur place avec une rondelle de saucisson… mieux vaut aller en Auvergne !

Ce qui explique le rejet des Bordeaux par les Français, c’est leur goût conventionnel

Mais tout cela n’est rien. Ce qui explique vraiment le rejet des vins de Bordeaux par les Français, c’est leur goût conventionnel, l’impression que l’on a, en les dégustant, de boire toujours le même vin, techniquement parfait, maîtrisé de bout en bout, sans « lâcher-prise », sans émotion, sans vibration, sans mystère… « Depuis la fin des années 1980, les Bordelais font de la pornographie, assène le caviste parisien Bruno Quenioux dont la tête est mise à prix à Bordeaux… Ils ont confondu “grand vin” et “gros vin” : en réalité, c’est “gros vin de Bordeaux” qu’ils devraient inscrire sur leur étiquette ! Pour eux, l’expression d’un vin passe par son épaisseur et sa matière, alors qu’elle passe par sa longueur et sa finesse. C’est une erreur philosophique. »

Au XVIIIe siècle, les vins de Bordeaux étaient tellement clairs et fins que les Anglais les avaient surnommés « claret ». Le vin noir (que l’on nous vante aujourd’hui) était alors considéré avec mépris (comme le pain noir), c’était le vin du populo. Pour Quenioux, cette dérive matérialiste remonte au xixe siècle, quand les courtiers de Bordeaux commencèrent à courtiser le goût de leurs clients américains en insistant sur la nécessité de faire des vins plus épais, plus mûrs, plus charnus et exubérants. On privilégia alors certains cépages solaires apportant de la rondeur et de la suavité (comme le merlot).

Toutefois, jusque dans les années 1980, on pouvait encore boire des bordeaux non bodybuildés d’une finesse et d’une élégance fabuleuses, comme Malartic-Lagravière 1916, Branaire-Ducru 1949, Ducru-Beaucaillou 1970, Haut-Brion 1971, sans oublier tous les Château Figeac de Thierry Manoncourt, l’un des rares Bordelais à avoir osé dire son fait à Robert Parker : « Les vins que vous aimez me brûlent la gorge, jamais je n’en ferai de semblables ! » (De cette audace, il paya le prix.)

Les grands châteaux bordelais ressemblent désormais aux entreprises de la Silicon Valley. La technologie a pris le pouvoir. Et la recette est toujours la même. « Nous procédons tous à peu près de la même façon, reconnaît Alain Vauthier, comment vendrions-nous nos vins autrement ? » Extraction des couleurs et des tanins. Concentration. Micro-bullage. Utilisation de levures sélectionnées pour sécuriser les vins et accentuer certains arômes flatteurs susceptibles d’enthousiasmer les golden boys de Wall Street prêts à dépenser un million de dollars de leur prime annuelle rien qu’en vins de prestige… Sans oublier le plus important, les fûts neufs chauffés qui apporteront aux vins un petit goût de vanille et de caramel : on est loin d’un Château Rayas (l’un des plus grands vins du monde), à Châteauneuf-du-Pape, où les fûts vieux de 80 ans sont posés à même le sol et n’impriment aucun maquillage aux vins, lesquels, manipulés le moins possible, expriment tout l’éclat naturel de leur fruit et de leur terroir !

Pour déterminer la date des vendanges, pas question de se fier au seul palais du vigneron : les baies sont analysées en laboratoire (sucres, acidité, épaisseur de la peau). Parfois, le maître de chai vous accueille en s’exclamant : « Cette année, on est au top, on a un indice IPT de tant ! » Cet indice mesure la quantité de polyphénols dans le vin, comme s’il s’agissait d’un critère absolu, alors qu’en Bourgogne les vins ont un taux plus faible, mais possèdent une expression fabuleuse… « Est-ce que ce que je fais est en adéquation avec mon terroir et permet de l’exprimer ? » Pour Bruno Quenioux, « c’est précisément ce type de questions que la plupart des vignerons de Bordeaux ne se posent plus. »

Est-il nécessaire d’avoir de grands terroirs pour faire des vins solaires à 15 degrés ? Pour ça, on ira dans les Corbières, le Languedoc ou le Minervois… Or, Bordeaux en possède d’immenses (Ausone à Saint-Émilion, Latour à Pauillac, Cos d’Estournel à Saint-Estèphe), réputés depuis des siècles pour la finesse et la longueur qu’ils génèrent dans leurs vins. Pourquoi donc les maquiller et les trahir ?

À tort ou à raison, on a beaucoup insisté sur le rôle joué par le dégustateur autodidacte américain Robert Parker (qui était avocat de profession). Dès 1982, celui-ci se fait le porte-parole de ses compatriotes et incite les Bordelais à produire des vins plus mûrs, plus alcoolisés, plus boisés, plus concentrés, plus aguicheurs pour conquérir le marché américain. Les vins bien notés par lui se vendant aussitôt aux États-Unis, son conseil est suivi à la lettre et même précédé…

Son mérite était d’être un dégustateur instinctif et constant dans ses goûts, capable de dire avec des mots simples ce qu’il éprouvait en buvant : au moins défendait-il une certaine conception du vin, même si ce n’est pas la nôtre. « Les Bordelais devraient lui ériger une statue, grâce à lui, nous nous sommes enrichis, et, personnellement, j’adhère totalement à ses goûts ! » me confiait il y a quelques années Jean-Luc Thunevin, l’inventeur des fameux « vins de garage » encensés par Parker dès 1991.

Dans les années 2000, on assista à l’émergence de monstres, des vins tellement concentrés qu’ils en devenaient imbuvables (« dans les restaurants, la bouteille restait à moitié pleine », se souvient Gérard Margeon, le sommelier d’Alain Ducasse), comme Château Angélus, à Saint-Émilion, l’un des vins préférés de Vladimir Poutine.

Sourds aux avertissements que leur lançaient certains professionnels (comme le meilleur sommelier de France Philippe Bourguignon), les Bordelais se mirent à faire du vin pour les journalistes anglo-saxons (identifiés par eux comme source du pouvoir) et se détournèrent de leurs clients français. Ils le payent aujourd’hui.

Les capacités de résistance de Bordeaux sont heureusement énormes. De plus en plus de jeunes vignerons aspirent ainsi à retrouver le goût de leur terroir (qui n’est pas une notion fasciste) pendant qu’une nouvelle génération d’œnologues bordelais (comme Stéphane Beuret) milite pour le retour à la finesse et contre l’extraction. Longtemps perçu comme une lubie, le bio devient la norme. Bref, les choses bougent… lentement !

Dans les années 2000, ont émergé des vins tellement concentrés qu’ils en devenaient imbuvables

Pour accéder à la magie légendaire des « grands vins de Bordeaux », la première étape est de ne plus fantasmer sur les étiquettes. Acheter un Château Margaux 2009 à 1 800 euros la bouteille n’a strictement aucun sens, à moins de vouloir stocker la caisse dans un coffre à Genève. D’abord, c’est un vin qui ne s’ouvrira pas avant 10 ou 20 ans. Ensuite, Château Margaux est-il aujourd’hui à la hauteur de sa légende ? Pour nous être rendus sur place cette année, nous posons humblement la question…

Tout l’été, nous avons sauté sur les rares occasions qu’a encore l’homme blanc de se coltiner aux rudes joies du terroir… Nous sommes allés à la rencontre de vignerons passionnés et honnêtes. Ce sont eux, les héros. En voici deux, dont les vins nous ont enthousiasmés.

Le sage de Pomerol

Archétype du grand vigneron humble et discret, Jean-Marie Bouldy est le propriétaire du Château Bellegrave à Pomerol. On a beau se frotter les yeux, après avoir goûté ses nectars, non, on ne rêve pas : de 32 à 39 euros la bouteille en vente directe au château (contre 3 000 ou 4 000 euros la bouteille de Pétrus)… « À l’exception de Jacques Dupond, seul journaliste à m’avoir consacré un article dans Le Point, les “spécialistes” m’ignorent, je ne suis pas assez spectaculaire pour eux. Pourtant, je fournis des grands chefs étoilés qui adorent mes vins, Pierre Gagnaire, Guy Savoy et La Tour d’Argent. »

Originaire du Périgord, son père avait acheté cette propriété à un horloger parisien en 1951. Dans les années 1970, comme la plupart des vignerons de France, il s’était laissé embarqué par le tout chimique qui offrait une économie de travail phénoménale. À partir de 2001, Jean-Marie a peu à peu abandonné les intrants chimiques avant de se convertir officiellement au bio en 2009 : « Mes raisins ont retrouvé de l’éclat, et mes vins de la profondeur. On vendange plus tôt (car les produits de traitement retardent la maturité du raisin), les grains sont naturellement plus concentrés, avec plus d’acidité et moins d’alcool. Normal, la chimie stérilisait les sols ! »

À taille humaine, son chai simplement blanchi à la chaux inspire plus de sympathie que les monstres architecturaux de ses voisins prestigieux. Surtout, on est impressionné par la gourmandise de ses vins, leur absence de lourdeur, leur honnêteté… On redécouvre surtout à travers eux l’identité singulière de Pomerol : la rondeur, la dentelle, et les petites notes de truffe noire et de violette. Jean-Marie Bouldy est un orfèvre méconnu qui sait donner de la fraîcheur et un côté cristallin à ses pomerols, même sur le très solaire millésime 2009 ! En 2017, il a produit un millésime exceptionnel (toujours en cours d’élevage) à partir de raisins ayant survécu au gel printanier : un miracle de la nature aussi délectable qu’un baiser d’Audrey Hepburn.

Le renouveau de Margaux

À Margaux, il n’y a pas que les grosses locomotives, comme Château Margaux et Château Palmer, où la moindre quille coûte plusieurs centaines d’euros. On trouve aussi des vignerons petits par la taille, mais grands par le talent, comme Michel Théron, du Clos du Jaugueyron, au village d’Arsac. D’origine languedocienne, Michel vit avec son épouse Stéphanie dans une hutte en bois au milieu de la pinède, comme la famille Ingalls dans La Petite Maison dans la prairie… Tous deux parlent avec douceur, sans afféterie. « Il y a 20 ans, les petites propriétés comme la nôtre n’existaient pas à Margaux. Aujourd’hui, il y a un renouveau. Une énergie. L’avantage, par rapport aux grands châteaux, c’est que nous restons au contact des vignes. »

Comme Jean-Marie Bouldy, que nous lui avons fait rencontrer, Michel Théron cultive son minuscule vignoble en biodynamie et recherche la fraîcheur. En 1988, il y a trente ans, il découvrait avec fascination les terroirs du Haut-Médoc et de Margaux : « Ce sont des sols caillouteux qui absorbent l’eau très vite sans faire de boue. Cette particularité géologique donne aux vins de l’élégance, à condition de ne pas les déformer et les tasser en les concentrant comme c’est la mode depuis 20 ans ! » Cette rencontre entre un Languedocien plein d’enthousiasme et cette appellation prestigieuse, mais un peu rance, dont on avait fini par oublier qu’elle pouvait aussi être sympathique et vivante, a donné naissance à des vins délicats et soyeux au fruit éclatant, riches, élégants, pleins de sève et buvables, dépourvus d’extraction… Pour Michel Théron, un vin de Margaux doit attendre 10 ans pour que son terroir affiche sa différence. Mais ses 2013, 2014 et 2015 sont déjà sensationnels (à partir de 30 euros la bouteille).

Clos du Jaugueyron
33460 Arsac
Tél. : 05 56 58 89 43
www.closdujaugueyron.fr

Château Bellegrave
Tél. : 05 57 51 20 47
www.chateaubellegravepomerol.fr

Septembre 2018 - Causeur #60

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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