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Guerres picrocholines aux Francofolies

Les rappeurs Booba et Vald n'ont pas cessé de se provoquer, vendredi dernier, nécessitant l'intervention des CRS au festival de La Rochelle


Guerres picrocholines aux Francofolies
Le rappeur Vald sur la scène des Francofolies, La Rochelle, 15 juillet 2022 © Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA

Pour empêcher deux rappeurs, Booba et Vald, de déclencher une bagarre générale aux Francofolies, qui aurait pu mettre une partie du public en danger, c’est tout un cordon de CRS que l’État a dû déployer. Est-ce au contribuable de payer ?


On ne peut s’empêcher de penser que ces forces seraient plus utiles ailleurs ! Quelle part du coût de la sécurisation incombe aux organisateurs et quelle part retombe sur les contribuables est une excellente question. Il serait utile, aussi, de s’interroger sur les récurrences des provocations entre rappeurs comme sur l’absence de sens des responsabilités de programmateurs qui les font se succéder sur la même scène. N’est-ce pas une façon cynique d’utiliser une forme de violence à des fins publicitaires, en toute irresponsabilité ?

Le rappeur français Booba (de son vrai nom Elie Yaffa), lors de la huitième édition du festival « We Love Green » sur la pelouse du bois de Vincennes, près de Paris, le 1er juin 2019 © SADAKA EDMOND/SIPA

Il fut un temps où quand des adultes se comportaient en adolescents attardés, ils n’essuyaient que le mépris de leurs contemporains et étaient exclus des lieux de rassemblement qu’ils mettaient à sac ou menaçaient. Aujourd’hui, quand deux irresponsables aux poches pleines de fric jouent à la guerre des gangs, c’est l’État qui doit mobiliser un cordon de CRS pour les séparer. La police est instrumentalisée pour empêcher que des rappeurs mettent en danger leur propre public, parce que l’infatuation de leur ego les amène à cultiver la haine et la violence et à considérer le passage à l’acte comme le comble de la virilité. Le pire est qu’ils sont considérés comme des modèles par des têtes pleines d’eau, admiratrices de leur impunité comme de leurs provocations. Pourtant, être un homme au sens d’être un être humain accompli passe plutôt par la maîtrise de soi et l’exercice de sa responsabilité. Des notions inaccessibles à ces adolescents attardés imbus d’eux-mêmes.

À La Rochelle, on ne bat pas que des records de chaleur…

L’histoire en elle-même est d’un ridicule achevé. Deux rappeurs, Vald et Booba, échangent des messages provocateurs sur les réseaux pour faire monter la tension entre eux. Or il se trouve qu’ils doivent se succéder sur la scène des Francofolies. Tout le monde se met alors à attendre la bagarre généralisée qu’une telle rencontre annonce. Cela fait même partie du spectacle et peut rameuter du monde. Le rappeur 1, prénommé Vald, monte sur scène accompagné d’une trentaine de malabars, en mode gardes du corps, puis son concert fini, s’installe sur la scène dans un transat pour bloquer l’arrivée du rappeur 2, Booba. Cela aurait pu mal finir, mais il se trouve qu’une circonstance particulière va contraindre le dénommé Booba à calmer le jeu. Celui-ci est sous le coup d’une condamnation avec sursis pour avoir déclenché une bagarre dans l’aéroport d’Orly avec un autre rappeur, Kaaris. Les deux protagonistes avaient écopé dans cette autre affaire au pénal de 18 mois de prison avec sursis et d’une amende de 50 000 euros. Or ce langage-là est le seul qu’ils comprennent. En effet, Booba, qui veut éviter la prison et tout préjudice financier, n’ira pas au contact et finira par monter sur scène avec une heure et demie de retard, entouré d’un cordon de CRS. 

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Disons-le tout de suite : la bêtise n’est pas la seule cause d’une histoire aussi lamentable. Derrière il y a aussi le désir de publicité, le fait pour Vald d’exploiter la situation inconfortable de « B2O » pour se faire de la notoriété sur son dos et le fait de servir à un public ce qu’il adore : l’exaltation du modèle racaille. Tout cela génère de la notoriété, du bruit médiatique et de l’argent, qui va avec, argent qui est la seule mesure de la réussite dans ce triste milieu. Peu importe si des mouvements de foule peuvent entraîner des blessés voire des morts. Du moment que cela rapporte, tout est bon à prendre. Derrière la bêtise profonde de ce genre d’attitude, se cache un véritable cynisme, l’appât du gain et l’incapacité de mesurer les conséquences de ces actes. En même temps, pourquoi se gêner, pour l’instant cette histoire ne génère que des bénéfices pour ceux qui l’ont initiée, le buzz fonctionne et les retombées en terme de notoriété sont réelles. Quant à la soi-disant « image du rap » qui serait atteinte, c’est ce que l’on appelle en langage commun « faire l’âne pour avoir du son ». En effet cette musique véhicule trop souvent un modèle de rapport humain où violence et domination sont valorisées. Ce type d’attitude gratuitement délétère est donc parfaitement valide et attendue dans ce cadre.

Qui va payer la facture ?

En dernier ressort, toute cette affaire aura mobilisé des CRS alors même que les forces de police sont épuisées tant elles sont sollicitées et seraient bien plus utiles ailleurs. Que la police soit mobilisée pour assurer la sécurité des spectateurs, surtout lors d’un évènement gratuit, se comprend. Qu’elle soit mobilisée pour gérer des incidents provoqués par deux rappeurs est indécent. On peut également s’interroger sur le coût de cette mobilisation pour les contribuables. Certes, ce type de prestation fait en général l’objet d’une facturation, mais hélas dans une véritable opacité. Il se trouve également qu’en lisant la directive du 8 avril 2022 du ministère de l’Intérieur relative à l’indemnisation des services d’ordre (laquelle évoque les difficultés des services de gendarmerie pour évaluer le coût de prestations accomplies en faveur de tiers), on comprend entre les lignes que faire le tri entre les missions relevant de la responsabilité de la puissance publique et celles constituant des prestations au service des organisateurs n’est pas toujours facile. Cette ambiguïté peut permettre de faire baisser drastiquement des factures qui seraient fort élevées s’il fallait faire appel à des entreprises de sécurité privée. Les élus et organisateurs le savent et jouent sciemment dessous. Il arrive aussi que pour faire plaisir à un organisateur puissant, la facture ne couvre pas l’intégralité des frais engagés, voire soit sciemment sous-évaluée: c’est donc le contribuable qui assume la différence. Au demeurant, lorsqu’on mobilise des forces de police parce que deux rappeurs veulent se faire de la publicité en instrumentalisant un public facile à manipuler, on peut sincèrement se demander si les CRS ne seraient pas plus utiles ailleurs. Si ce genre d’histoire avaient des conséquences financières lourdes pour les protagonistes et les organisateurs, ils éviteraient probablement les provocations gratuites. 

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L’épée de Damoclès de la prison a été efficace sur Booba qui a évité la confrontation directe avec Vald. La perspective d’une autre amende a pesé également. On peut penser que si ces deux rappeurs devaient faire l’objet d’interdictions temporaires de monter sur scène pour cause de risque de trouble à l’ordre public, l’impact que cela aurait sur leur revenu les inciterait à se calmer. Si les organisateurs étaient aussi tenus pour responsables de leur incapacité à gérer ces personnalités et devaient payer une amende pour avoir, par leur complaisance, fait courir un danger au public, ils se montreraient plus sélectifs dans leur programmation et plus prudents dans leur gestion des évènements. Autre point positif, une telle fermeté montrerait aussi l’imposture et l’impasse de l’attitude de ces rappeurs qui valorisent un modèle de comportement en mode guerre des gangs et influencent un public qui croit ainsi que la violence et l’insulte sont un moyen d’affirmer sa virilité et confondent « être respecté et respectable » et « se comporter en caïd ». En attendant, tant que l’on fermera les yeux sur ce type de débordements et qu’ils rapporteront aux rappeurs et organisateurs plus qu’ils ne leur coûtent, rien ne changera.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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