Bonnes feuilles du nouvel essai de Sophie de Menthon, La France sens dessus dessous (Éditions Eyrolles)
Nous avons transposé la lutte des classes de notre révolution pas si bien digérée au monde de l’entreprise : des exploitants et des exploités. Le travail reste chez nous une punition divine et une exploitation de l’homme par l’homme. Le progrès social en France, c’est clairement de travailler moins… mais pas question de savoir s’il faut travailler plus pour gagner plus, plus longtemps. Les contraintes se multiplient en ce sens, depuis les 35 heures qui, bien qu’à peu près assimilées, restent un coup d’arrêt traumatisant de l’économie. Certains continuent de rêver aux 32 heures…
La France qui trinque
Les congés de toutes sortes diminuant le temps de travail augmentent. Comme dit la chanson : « Le travail c’est la santé, ne rien faire, c’est la conserver !» Protégeons ces Français qu’on exploite. On veut les faire travailler trop, ils ont droit aux « congés » maladie, aux RTT, aux congés sabbatiques, congés de paternité, de rentrée scolaire… « Trop travailler nuit gravement à la santé », comme pour le tabac, le principe de précaution pourrait donner lieu à une campagne publicitaire de prévention. C’est grâce à ces incitations subliminales permanentes ou explicites que l’économie française descend en pente douce et met ainsi les salariés en danger. La France qui trinque, c’est la France du milieu : le Français moyen, qui a la malchance de ne pas être dans le créneau des aides, ou les petits entrepreneurs, qui n’ont pas de parachutes pour prendre des risques. La classe moyenne, aujourd’hui, a un pouvoir d’achat qui s’amoindrit. Une autre France tire au flanc, inconsciemment, avec bonne conscience. L’utilisation abusive des lois protectrices des salariés s’est transformée en une sorte de produit de consommation permanent offert par l’État. Les garanties de toutes sortes sont utilisées sans aucune restriction. « Profiter » devient un art de vivre de l’entreprise française sur lequel on aura beaucoup de mal à revenir.
Une révolution culturelle
Au nom de ceux qui souffrent et non pas pour les nantis, une révolution culturelle est indispensable. C’est tout un rapport au travail à reconstruire : un nouvel équilibre moral et économique où chacun devra revoir ses positions et ses exigences (syndicats, patrons et politiques). Il faut faire évoluer les mentalités, mais aussi reconnaître et faire connaître la réalité. Toute personne qui souhaite se former doit être entendue et encouragée, qu’il s’agisse de la mère de famille qui veut s’arrêter deux ou trois ans et qui doit pouvoir revenir dans l’univers professionnel, ou du salarié qui veut changer de métier…
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L’État doit gérer nos familles et nos rapports de couple! Quelles qu’en soient les bonnes raisons, était-ce, par exemple, le moment d’imposer par la contrainte et par la loi le doublement d’un congé de paternité «obligatoire»? Sympathique exemple certes, de la dérive du «toujours plus » de notre pays. Et, en outre, est-ce à l’État de décider de la vie privée des familles ? En ce moment, faut-il vraiment encore contribuer à la diminution, même partielle et spécifique, du temps de travail ? Alors que les chefs d’entreprise mettent toute leur énergie à impliquer tous les salariés pour compenser le manque à gagner. L’application de cette loi en juillet 2021 n’est en aucun cas une circonstance atténuante car les entreprises seront loin d’avoir retrouvé une profitabilité. Ce sont en outre les TPE et les PME qui en seront les premières « victimes ». Sans parler de celles qui ont un couple parmi leurs salariés dont la femme vient d’accoucher. Le financement de cette mesure est encore le signe d’une irresponsabilité politique, ce « cadeau» va être financé par une caisse primaire d’assurance maladie encore plus malade du fait de la pandémie malgré quelques nouveaux milliards tombés du ciel. C’est l’entreprise qui devra contribuer au bout du compte. L’enfer est pavé de bonnes intentions Certains pères voudraient partager davantage une naissance, et on le comprend, mais où s’arrêter ? Rendre équivalent le rôle du père et de la mère ? Le congé maternité, lui, est quasi systématiquement rallongé pour « congé » pathologique (avant terme et prolongé après…). Bien sûr, concilier grossesse et activité professionnelle est une source de fatigue, mais il faut alors organiser cette période différemment et au sein de l’entreprise, au plus près de la réalité et des contraintes. Pour une petite entreprise, ne plus revoir une salariée pendant dix-huit mois d’affilée (sans avoir le droit de ne pas la reprendre, ni même de la remplacer puisqu’elle doit retrouver le même poste et le même salaire) peut mettre toute la boîte en difficulté. Cruel dilemme, il faut protéger les femmes… mais les PME aussi !
(…)
Salariat déguisé, un danger !
Hélas, de nouveaux services sous forme de plateformes indépendantes sont apparus. L’ubérisation (du nom des premiers chauffeurs de VTC bravant le monopole des taxis) pullule au sein de notre économie, on parle de salariat déguisé (Deliveroo, Uber, Glovo, Frichti, Taxify, Kapten, etc.). Le contrat de travail classique suppose la subordination du salarié à son employeur dans la réalisation de ses objectifs. En opposition, le contrat de mission implique une indépendance et une autonomie complète dans la gestion du temps de travail. Les anomalies commencent quand l’auto-entrepreneur se voit contraint par des horaires. À partir de ce moment-là, le statut n’est plus le bon. Or, certaines entreprises en abusent. Elles n’ont plus de charges à payer car ce ne sont pas leurs salariés…
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Rappelons qu’une large majorité des auto-entrepreneurs sont peu ou pas assurés. «Dans un monde de services régi par le numérique, il nous faut un nouveau contrat de travail, hors cadre salarial, pour permettre à ces auto-entrepreneurs d’exercer demain leurs activités dans les entreprises, sans risque de requalification bien protégés socialement et en bonne intelligence avec des travailleurs salariés. C’est ce que j’appelle l’acte 2 de l’auto-entrepreneur», reconnaît Hervé Novelli.
Réduire le coût des charges patronales
La vérité, c’est que les chefs d’entreprise, malgré une bonne volonté affichée de lutter contre le chômage et d’inciter à la création d’emplois, sont toujours dans un carcan législatif et souffrent du coût du travail. Un salarié payé 2 500 euros brut, touche 1 950 euros net et cela coûte 3 400 euros à l’employeur. Une différence beaucoup trop importante. Dans l’acte 2 annoncé par Hervé Novelli, ne faudrait-il pas finalement que le coût de recrutement pour l’employeur soit à peu près équivalent aux charges liées à l’auto-entrepreneur? Ensuite, il faut réfléchir à des statuts totalement différents et adaptés au monde du travail vers lequel nous nous dirigeons. L’auto-entrepreneur et l’entrepreneur font face à des plateformes de service qui cassent le marché, mais il faut comprendre la nécessité d’ouverture 24 h/24, le besoin de saisonnalité de plus en plus fort avec une réactivité instantanée, etc. C’est un sujet qui ne figure pas dans la liste des grandes réformes. Ce n’est pas à l’État de se montrer créatif, mais à ceux qui sont concernés. Cela mérite vraiment une concertation des employeurs, des auto-entrepreneurs, des indépendants, des artisans, etc. Si l’on aligne et unifie ces systèmes, il faut bien sûr que ce soit vers le plus petit dénominateur commun en termes de charges et de cotisations ! On nous a plutôt habitués au contraire… L’enjeu est fondamental et les emplois de demain ainsi que la sécurité des travailleurs dépendent d’une meilleure compréhension du monde du travail et de ses besoins. En fait, il est humain, vital, logique que l’entrepreneur cherche la formule la plus efficace et la moins coûteuse en charges pour son entreprise afin, bien sûr, de lui donner une rentabilité maximale. Il faut fuir les charges sociales qui plombent le coût du travail; non pas les fuir parce qu’elles sont inutiles, mais parce qu’elles pèsent trop. Il faut savoir que, dans tous les domaines, les entrepreneurs trouveront la formule d’évitement ou le montage (légal) qui allège les coûts ou la complexité.
C’est ainsi qu’est haï dans notre peuple le magnifique « abus de droit» – le comble !
Le droit est ainsi fait, dans son éminente complexité, que des montages expérimentés permettent d’améliorer le quotidien administratif et fiscal… En combinant astucieusement les possibilités, on arrive à des solutions tout à fait satisfaisantes. Il fallait réagir! Ainsi fut-il fait et naquit le fameux « abus de droit» une magnifique contradiction, un véritable oxymore qui n’a pas gêné nos hauts fonctionnaires ! Vous abusez du droit… Comment abuser d’une contrainte, de surcroît légale? Punis parce que trop respectueux du droit finalement ? Simplifions et on abusera beaucoup moins.
La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne
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