Dans l’affaire des nominations au Conseil constitutionnel et à la Cour des comptes, le président de la République s’est montré dans sa meilleure forme, et a effectué des choix réellement judicieux. Personne, sauf un obscur député UMP des Alpes-Maritimes, n’a contesté la nomination du socialiste Didier Migaud au poste de premier président de la Cour des comptes. Ce type-là peut vous réciter par cœur le budget de la France, ligne par ligne, et peut-être même en commençant par la fin. Il n’a pas le style flamboyant, colérique et fonceur de son défunt prédécesseur Philippe Séguin, mais gare à celui qui lui présentera la bouche en coeur un budget à double fond et tiroirs secrets.
Migaud a le chic pour débusquer les astuces les plus tordues utilisées par les gestionnaires de l’argent public pour mettre un supplément de beurre dans leurs épinards. Même si on est un partisan inconditionnel de la droite, on aurait mauvaise grâce, comme citoyen et contribuable, à se priver d’un homme qui veillera sur vos sous avec la vigilance et l’intransigeance d’un rottweiler.
On n’entend pas beaucoup, à cette occasion, le chœur des contempteurs habituel de « l’omniprésident », qui nous serinent que Sarkozy est le démolisseur en chef de la démocratie en France, et que notre pays va tout droit vers la république bananière. Ils auraient sans doute préféré que le président nommât Balkany à la Cour des comptes… Je n’ai pas souvenir qu’un président de gauche se soit privé de nommer ses proches dans des fonctions prestigieuses de l’Etat, pour le meilleur (Badinter, Joxe), comme pour le pire (Dumas).
S’il avait voulu se protéger des fouineurs de la rue Cambon, et flamber façon bling-bling avec le budget de l’Elysée, il aurait choisi quelqu’un d’autre, car les lâches, les faibles et les courtisans ne manquent pas dans la petite cohorte apte à briguer cette fonction.
Mais il ne faut pas se faire d’illusions : on trouvera bien un biais pour mettre cette nomination au débit de l’action présidentielle : machiavélisme d’un pouvoir privant le PS de ses meilleurs éléments, ou petit calcul misant sur le fait que Migaud, qui est encore jeune, voudra préserver ses chances de revenir un jour à la politique, et par conséquent se garder à droite comme à gauche.
En revanche, la nomination de Michel Charasse au Conseil constitutionnel fait déjà jaser dans les chaumières anti-sarkozystes. Que cet Auvergnat ultra-laïque, chasseur passionné, amateur de cigares et de blagues grivoises ait été préféré à une femme pour siéger rue de Montpensier provoque des hurlements chez les bien-pensants de la gauche parisienne. Sarko=macho, s’étrangle Hervé Algalarondo du Nouvel Obs. Les femmes parlementaires de toutes tendances poussent les hauts cris. Oui et alors ? Fallait-il obligatoirement désigner une dame pour remplacer l’excellente Dominique Schnapper arrivée au terme de son mandat ? S’il y en avait une qui se fût imposée de manière naturelle et incontestable, comme Simone Veil en son temps, l’affaire eût été simple. Comme Martine Aubry n’est pas (encore) disponible, ce sera donc pour la prochaine fois.
L’idée de Sarkozy, qui n’est pas stupide, est de repolitiser cette institution trop influencée à son goût par les juristes pur sucre. La Cour constitutionnelle n’est pas un tribunal ordinaire, elle doit aussi prendre en compte la dimension politique des cas qui lui sont soumis et juger en conscience autant qu’en droit. Alors le trio qui arrive me paraît bien équilibré : Jacques Barrot, de son propre aveu veut apporter un « souffle européen » au Conseil, Hubert Haenel, c’est le bon sens provincial, version alsacienne. Et Charasse ? On ne peut plus le considérer comme un homme du PS venant prêcher la bonne parole de gauche chez les Sages, comme le fit, avec talent, Pierre Joxe. D’abord, il a été viré du parti comme un vulgaire Frêche pour avoir désobéi lors de l’élection du président du Conseil général du Puy-de-Dôme. Justement, il s’était opposé à l’élection d’une femme socialiste à la tête du département des bougnats… Il est avant tout un vétéran de la mitterrandie, celui qui fomentait dans l’ombre des couloirs de l’Elysée les coups politiques les plus subtils au profit de son patron, notamment en période de cohabitation. Nicolas Sarkozy, qui était en face comme secrétaire d’Etat au budget, en a pris de la graine. Comme Charasse est de surcroît un fin constitutionnaliste, sa nomination n’a rien de scandaleux. Elle est même salutaire à l’heure où le péquin de base va pouvoir, sous certaines conditions, saisir directement le Conseil. Il n’est pas inutile qu’un homme soit là pour défendre les bouffe-curés contre les cul-bénits de toutes obédiences, les chasseurs et les éleveurs de moutons contre les adorateurs du loup, les mangeurs de tripoux contre les bouffeurs de carottes. Un homme qui, quand il passe à table pour y consommer des plats à haute teneur calorique, desserre sa cravate, enfile un coin de la serviette dans son col et arrime les coins latéraux de ladite serviette sous ses bretelles mérite toute notre confiance.
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